Mauvaises fréquentations

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Mon prochain contact avec le gang n'est pas passé par l'intermédiaire de Hakeem, contrairement à ce qu'il m'avait promis. Cela s'est fait dans les couloirs de l'école, alors que je sortais d'un cours particulièrement barbant.

(Peut-être qu'il ne l'était pas vraiment, par ailleurs, mais, - depuis les révélations de mon frère - je me découvrais plus distraite qu'auparavant, moins patiente aussi. En bref, moins prête à écouter sagement en classe.)

Je me souviens très bien, j'étais en train de discuter avec une pote lorsqu'une grande silhouette s'est approchée de moi, bloquant le passage. Surprise, je me suis figée et mon regard a remonté jusqu'au visage de Dog.

- Salut, princesse.

Pas sûre que j'appréciais le surnom.

Oubliant momentanément la fille à mes côtés, j'ai senti mon corps se crisper. Le fait de le trouver ici, face à nous, dans les couloirs de l'école dont il faisait pourtant partie, me donnait la sensation bizarre de voir deux mondes s'entrechoquer.

- Tu veux quoi ?

J'étais agressive, sans doute trop. Je n'arrivais pas à m'en empêcher.

- Raïra, ça va ?

J'ai tourné les yeux vers ma camarade : elle avait fait un pas en arrière et tenait son sac contre elle comme une sorte de bouclier. Un sourire sans joie s'est machinalement formé sur mes lèvres.

- Ouais, t'inquiète. Réserve-moi une place à la cafet ok ? Je te rejoins après.

Elle a hoché la tête - visiblement impressionnée - avant de s'éclipser sans conviction, me laissant seule avec le punk et ses yeux de serpent.

- C'est gentil de nous couvrir.

Un sarcasme déplaisant suintait de ses mots. J'ai soupiré, essayé de me faire plus grande que je l'étais. En réponse à cette tentative, Dog s'est approché encore, me faisant reculer par réflexe. Sa main s'est plaqué à côté de ma tête alors que mes épaules heurtaient le mur. J'ai aboyé :

- Tu crois que tu me fais peur ?

Dog s'est mis à rire.

- Non, non.

Il me fixait sans ciller.

- J'en suis sûr, au contraire.

S'il m'impressionnait ? Pour sûr. Mais j'aurais préféré crever que de le lui montrer.

- Qu'est-ce que tu veux ?

Un frisson alors que la proposition qu'il m'avait fait lors de notre première rencontre me revenait en tête. Mon regard a balayé les alentours en quête d'une issue : pourquoi Hakeem n'était pas avec lui ?

- C'est Face qui m'envoie.

Nouveau frisson. Feignant du mieux que je pouvais un calme que j'étais loin de ressentir, j'ai répliqué :

- Qu'est-ce qu'il veut ?

Quelques secondes de silence. Dog souriait, visiblement très content de me foutre mal à l'aise. A bout de patience, j'ai repris :

- T'as perdu ta langue ou quoi ?

Et il s'est mis à rire, ce connard. Comme si mes tentatives de le déstabiliser étaient une blague.

- Tu ferais mieux d'être plus sympa, ma belle, parce qu'on va passer notre jeudi soir ensemble.

Il y eut un silence alors que j'assimilais ses paroles. Stupidement, ma première pensée a été que ça allait être chaud puisque, le lendemain, il y aurait école. J'ai retenu ma remarque et ai hoché la tête à la place.

- C'est noté.

Je n'étais absolument pas d'accord mais qu'est-ce que je pouvais dire ? J'étais sûre qu'il me testait et, même s'il m'emmerdait, c'était dans son droit. Après tout c'était moi qui avait voulu me faire une place, c'était à moi d'assumer.

Ce qui ne m'empêchait absolument pas de me sentir en danger.

- Heu. Tu peux dégager, s'il te plait ?

- Pourquoi, t'aimes pas quand je suis comme ça ?

Il s'est rapproché encore plus, assez pour que je sente son odeur de métal et de clope froide.

- Je te plais pas ?

C'était difficile de répondre. Honnêtement, une partie de moi l'aurait sans doute trouvé classe s'il n'avait pas été un tel connard. De plus en plus énervée, j'ai fini par me décaler sur le côté, passant sous le bras de Dog comme s'il avait été une porte ouverte. Il s'est laissé bousculer, s'est même reculé en levant les deux mains - pattes blanches à la manque sur lesquelles j'avais envie de cracher. Ma bulle se reformait, je retrouvais ma liberté de mouvement. Je pouvais fuir, si je le voulais.

Ça allait mieux.

Un silence.

- On va faire quoi ?

Il m'a adressé un nouveau sourire.

- Tu verras.

Il fa fait mine de s'en aller. Alors qu'il se détournait, je l'ai appelé.

- Hakeem est pas avec toi ?

- Nan. Il bosse.

Il était dehors, donc.

J'aurais pu m'en douter.

Cinq minutes plus tard, j'étais à la cantine. Je me suis affalée à ma table habituelle, entre deux camarades avant de remarquer que plusieurs autres me dévisageaient.

- Tu leur as dit ?

Ma pote s'est braquée, j'avais été un peu trop agressive.

- Juste à Cole mais d'autres m'ont entendue.

- Super, merci.

Je sentais que j'étais trop brusque sans pouvoir m'arrêter.

- T'as vu avec qui tu traînes en même temps ?

- Je traîne avec vous, ok. Personne d'autre.

Kate et Cole se sont jeté un regard qui ne m'a pas échappée. Un silence, j'ai soupiré avant que Kate ne reprenne :

- Il te voulait quoi ?

- Rien qui vous regarde.

C'était tendu, j'avais envie de me casser. Avant qu'une remarque ne me fasse péter les plombs, je me suis levée pour aller chercher à manger.

Je connaissais Kate et Cole depuis plusieurs années, c'était donc normal que mes fréquentations les inquiètent. Seulement, à cet instant, leurs préoccupations ne faisaient que m'énerver : je savais ce que je faisais mais n'avais pas l'intention de le leur dire. C'étaient les affaires de mon frère et moi, pas les leurs.

Quand je suis revenue avec mon plateau, quelques minutes après, d'autres connaissances s'étaient installés avec nous et parlaient avec animation. Je me suis approchée, n'ai rien décelé qui me concerne. Au regard que m'adressai Kate, j'ai vu que la discussion était remise à plus tard.

En l'occurence, à la sortie des cours.

- Ce mec est super flippant, on a le droit de s'inquiéter.

- Surtout que t'avais pas l'air ravie de le voir...

- C'est pas mon pote, ok ?

Ils refusaient de me lâcher et - comme je faisais une partie du chemin du retour avec eux - je n'avais pas vraiment avantage à changer de trajet.

- Tu veux vraiment pas nous dire ce qu'il te voulait ?

- Non, c'est pas vos affaires.

- Sérieux ?

- Sérieux.

Un silence furieux, j'avais accéléré le pas. Kate a fait de même et m'a attrapé le bras. Alors que je me dégageais en la foudroyant du regard, elle a repris :

- Sois juste prudente, ok.

On voudrait pas que tu finisses comme Hakeem.

C'était dit en silence, ça flottait entre nous ; l'école qui nous rassemblait avait beau compter beaucoup d'élèves, les bruits de couloirs se répandaient vite et encore plus lorsqu'il s'agissait de personnages populaires. J'ai haussé les épaules, hésitant entre une réaction - compréhensive et mature - et l'autre.

L'autre l'a emporté. De peu.

- T'es pas ma mère.

Cette réplique, je l'avais presque crachée avant de m'éloigner, déterminée à faire un détour pour ne plus me les coltiner.

Lorsque je suis rentrée, Rosie faisait le ménage dans la cuisine. Après lui avoir fait un trop bref résumé de ma journée, je me suis enfermée dans ma chambre avec ma mauvaise humeur et une gaufre, pour le goûter. Hakeem ne devait pas rentrer avant le repas et il était hors de question que je le confronte devant notre gouvernante. Rageusement, j'ai jeté mon sac sur mon lit : le stress de mon entrevue avec Dog mêlé à mon irritation devant le comportement de mes amis m'avaient laissé nerveuse et fébrile, prête à casser quelque chose. J'ai tenté de faire mes devoirs avant de m'interrompre après 5 minutes, incapable de me concentrer. Je me suis énervée, ai capitulé et me suis décidée à sortir : il fallait que je me défoule.

A quelques blocs du nôtre, entre deux bâtiments de briques rouges, il y avait un terrain de streetball. J'avais découvert le lieu un peu au hasard et y était revenue plusieurs fois pour taper un peu dans la balle : les habitués, légèrement plus jeunes que moi, m'avaient acceptée sans soucis - certains même avec joie.

Après un match amical, je me suis appuyée contre un mur, à l'écart : j'étais en sueur et le vent froid de l'automne me faisait frissonner, mais je me sentais mieux, ma colère était retombée.

Une silhouette familière s'est profilée à mes côtés.

- Salut, Raï.

C'était Will, un gamin d'à peu près mon âge ou peut-être moins - je n'en avais aucune idée. D'après ce que j'avais compris, la plupart des joueurs étaient de sa famille, mais je n'avais jamais vraiment demandé. Je l'avais découvert en même temps que les lieux et on s'entendait bien - de ce genre de liens qui se formaient par les activités communes.

- Yo.

Nonchalamment, il s'est adossé à côté de moi.

- T'avais la rage, sur le terrain.

Je me suis passée la main sur la nuque, presque embarrassée.

- Un peu.

- Il s'est passé un truc ?

J'ai jeté un regard en coin à Will : il jouait avec ses tresses, l'air de s'en foutre.

- Je sais pas trop.

Une part de moi avait envie de lui en parler, à lui : c'était bizarre parce que j'étais loin d'être aussi proche de lui que de Kate et Cole. Mais peut-être était-ce ça qui me motivait : je savais que Will risquerait moins de me juger, que mes emmerdes ne lui retomberaient pas dessus.

- Tu sais que j'ai un frère ?

- Ouais. Tu m'en as parlé une fois, je crois.

J'ai soupiré, sans trop savoir comment résumer l'histoire. Le bruit d'un dribble, suivi d'un cri, m'est parvenu : quelqu'un avait marqué un panier.

- Il s'est mis dans des embrouilles bizarres et je suis en train de le suivre.

- Pourquoi ?

Will fixait les façade des immeubles voisins, éclairées par les rayons orange d'un soleil crépusculaire. J'ai haussé les épaules.

- Je veux pas qu'il soit seul.

- C'est noble.

Un silence, brisé par une nouvelle exclamation.

- Donc, tu flippes.

- Pas vraiment. Mais je sais pas où je vais et ça me stresse.

Il se détacha du mur.

- Si t'es aussi forte dans ta vie que tu l'es pour marquer des paniers, t'as pas à t'inquiéter.

J'ai souri, lui pareil.

- T'es con.

Je l'insultais mais sans vraiment le penser : ça m'avait clairement fait du bien, d'en parler.

Peu après, je suis rentrée.

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