Un rire. Laissant aller son dos contre le dossier de son siège, Hakeem m'a adressé un sourire fier - de ceux qui m'avaient manqué, avec les mois. Assise en face de lui, je finissais de lui raconter ma soirée tout en me gelant le palais à coup de glace vanille et pistache. L'établissement était désert à l’exception de nous deux. Mais bon, il fallait dire que le temps - pluvieux et morose - n'encourageait guère à sortir.

- Après, on est rentrés et le lendemain, mon frère m'a offert une glace.

- Magnifique.

Hakeem a joint ses mains, me gratifiant d'un lent applaudissement. Je feignais la nonchalance mais me réjouissais en vérité : cela faisait longtemps qu'on était plus sortis comme ça, juste lui et moi.

- Merci, merci.

- Je suis fier de toi.

Jeu d'indifférence, j'ai haussé les épaules.

- Il va se passer quoi, maintenant ?

Personne ne m'avait donné d'instructions concernant la suite. Hakeem a pris son temps pour me répondre.

- Face va décider quel est le prochain truc que tu devras faire et je te le dirai dès que je serai au courant.

- Ok.

Je me suis adossée à ma chaise, soulagée de ne pas devoir me retrouver en entretien avec le chef, à nouveau.

- Si c'est aussi facile qu'hier, je devrais y arriver.

- C'est bien que tu prennes la confiance, Raïra, mais... reste prudente.

Hakeem a jeté un regard au vendeur de glace - occupé à lire son journal derrière son comptoir - avant de se pencher vers moi.

- Gold a été sympa avec toi. Il t'a défendue.

Un temps. Gravement, Hakeem a repris :

- Je pense pas que les autres feront pareil.

- C'est ce qu'on verra.

Au fond, bien sûr que le ton de mon frère m'inquiétait. Je voyais à son regard les mises en garde qu'il cherchait à me transmettre.

Et puis, je n'avais pas oublié le type, dans la ruelle.

Je me suis penchée vers Hakeem et ai lancé, plus bas :

- J'ai demandé à Gold d'où venait son fric.

La question à mille dollars.

Mon frère a froncé les sourcils et a fait la moue.

- Il t'a dit quoi ?

- Que j'étais trop curieuse.

Un tout petit sourire, énervant à souhait.

- Il a bien fait.

A nouveau, on évitait ma question. Agacée, j’ai planté ma cuillère dans ce qui me restait de glace.

- Vous avez conscience que vous pourrez pas me tenir dans le noir très longtemps, hein ?

Hakeem soupira. J'avais parlé un peu trop sèchement, réussissant l'exploit de l'engueuler à voix basse. En guise de réponse, il fait glisser sa veste sur ses épaules.

- Viens, on sort.

J’ai à peine eu le temps d'engloutir ce qui me restait de pistache que mon frère me saisissait par le bras, me traînant dehors.

La pluie battait, fine et désagréable. Je m'étais dégagée et marchais aux côtés d'Hakeem, adaptant mon pas au sien. Lui gardait son regard droit, une expression revêche collée à son visage ciselé.

- Tu vas me le dire quand ??

Je devais parler plus fort, pour couvrir le bruit du vent.

- Pas dans un lieu public.

- Tu préfères en parler à la maison ?

C'était une idée ridicule et il le savait ;

- Rosie est là ce soir, tu sais qu'elle entend tout.

Hakeem n’a pas répondu. Bras croisés sur mon ventre, j’ai repris :

- Tu sais que je te lâcherai pas.

Il s’est tourné brutalement vers moi, m'empêchant d'avancer. Prise dans mon élan, je l'ai heurté.

- Je sais, Raïra. Mais c'est vraiment pas le moment pour en parler, là.

Un temps. La pluie nous trempait comme dans un mauvais film.

- Fais-moi confiance, tu le sauras bien assez tôt.

Voilà qu'il me refaisait ces yeux. Les mêmes qu'avant. Le même genre d'expression qu'il adressait aux filles, le genre de regard à s'oublier dedans.

La pluie et le froid aidant, j'ai cédé.

Quelques minutes plus tard, on était rentrés.