Dehors, encore

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Il faisait un froid mortel dehors, du genre à vous donner envie de vous coller à tout ce qui pouvait émettre une quelconque forme de chaleur. Assise aux côtés de Gold, j'avais fait le choix de garder mon intégrité et me contentais de croiser les bras, recroquevillée sur la pierre.

- Est-ce qu'il t'a maltraitée ?

Sa voix grave m'a tirée de mes réflexions. Surprise, je n'ai pas répondu tout de suite. Devant ma gêne, mon chaperon a souri et a glissé son bras derrière mes épaules.

- Pourquoi tu veux le savoir ?

Ça tenait chaud, d'un coup, mais ça me dérangeait aussi. Pour autant, je n'ai pas osé le repousser.

- Parce que ça m'intéresse, Raïra.

Bien sûr que ça l'intéressait, qu'est-ce que je pouvais être conne. J'ai commencé à me tortiller, mal à l'aise. Le ton de Gold laissait présager que ma réponse aurait des conséquences.

- Franchement ?

- Franchement.

Je me souviens encore de la condescendance gerbante de son regard.

- Il m'a filé une tape derrière le crâne. C'est rien.

L'expression de mon accompagnateur s'est faite plus grave et sincèrement soucieuse - du moins c'était ce que, quelque part, j'avais envie de croire.

- C'est pas rien, au contraire.

- Ça m'a pas fait mal.

Je n'avais aucune idée de pourquoi, d'un seul coup, je me mettais à défendre Craig. Le regard de Gold s'est assombri encore.

- Je m'en fous.

Un temps. Plus posément, il a repris :

- Personne ne touche aux membres du gang.

- Mais... j'en suis pas, du gang.

Ma voix m'a paru plus frêle que jamais, emplie d'un espoir pathétique - comme si Gold allait s'indigner de mon manque d'assurance, m'assurer qu'au contraire, j'en étais désormais.

Comme si les choses pouvaient être aussi simples.

- Craig n'a pas à le savoir.

Je n'ai rien trouvé à répondre, alors je suis restée là. Muette alors qu'il me tenait toujours et fixait l'asphalte avec cet éternel sourire serein - l'expression d'un ours repu.

- Je t'aime bien, Raïra.

- C'est pour ça que tu me lâches pas ?

C'était sorti tout seul et je m'en suis immédiatement voulue. Gold, quant à lui, s'est contenté de rire et de retirer son bras avant de reprendre posément :

- Leçon numéro 1 : sois sans pitié. Ni Face ni moi n'avons besoin du fric que Craig me doit, mais c'est le mien. Il faut donc qu'il apprenne à ne pas plaisanter avec moi.

D'où la baffe, j'ai songé. L'image d'un Craig paniqué fouillant ses fonds de tiroir en quête de billets égarés s'imposa à moi sans que je ne la contrôle. Est-ce que j'avais pitié de lui ? Sans doute un peu, même si je n'avais pas envie pour autant de pardonner la façon dont il m'avait traitée.

La façon dont il m'avait qualifiée.

Ça.

En y repensant, mes poings se sont serrés.

- Il vient d'où, cet argent ?

J'ai sursauté quand la grosse main de Gold s'est abattue sur ma tête pour m'ébouriffer les cheveux.

- Tu es trop curieuse.

Il n'y avait aucun reproche dans sa voix, que de l'affection et pourtant je me suis surprise à frissonner un peu. Le constat s'est imposé à moi, clair comme de l'eau de roche : je ne lui faisais toujours pas confiance et je n'avais absolument pas envie qu'il me touche.

Le bruit d'une respiration saccadée a interrompu notre échange. Craig a dévalé les escaliers et s'est retourné, essoufflé, pour nous faire face.

- J'ai... ton fric... Gold.

Mon chaperon s'est mis à sourire, une fois encore. En y repensant, il le faisait énormément mais j'avais de la peine à détecter de la nuance dans ses expressions. C'était, en vrai, une compétence que j'allais développer avec le temps.

- Super.

Gold a tendu les paumes tout en réussissant l'exploit de ne pas avoir l'air de demander.

- Amène.

Craig y a déposé un tas de billets, comme un basketteur qui mettrait un panier. J'ai retenu ma respiration : à vue de nez, ça faisait beaucoup de fric. Avec patience, Gold s'est mis à compter devant moi, séparant chaque billet avec parcimonie de ses mains baguées.

- ... on dirait bien que le compte y est. Merci, Craig.

- M-merci à toi.

D'un seul coup, l'organisateur de la fête semblait dégouliner de servilité. Je l'ai fixé, dégoûtée d'un coup par la soumission qui suintait dans son attitude.

- On est quittes alors ?

Gold s'est levé, posément. Sans trop savoir ce que je devais faire, je l'ai imité.

- On va dire que oui.

Sans aucune retenue, Craig a lâché un soupir gros comme un camion.

- ... ok. Super. J'y retourne alors.

- Va donc. Bonne soirée, Craig.

Il a hoché la tête, tentant un sourire vague avant de grimper une marche. Mais avant qu'il n'ait atteint le sommet du perron, il y a eu un autre imprévu.

La main de Gold a agrippé ses cheveux, le forçant à se baisser à sa hauteur. Puis, alors que Craig couinait de surprise, j'ai entendu mon chaperon murmurer à son oreille :

- Prends-toi encore une fois à elle et je te bute.

Et bim. Aussi simplement que cela, une menace de mort. Devant moi et - encore plus effarant - pour moi.

Je suis restée interdite alors que Craig hochait frénétiquement la tête.

- C'est d'accord, c-c'est d'accord !

Gold fit un pas de côté, rapprochant la tronche du type de la mienne.

- Tu veux que je lui fasse quelque chose, ma belle ?

L'appelation dégoulinait de condescendance. J'aurais pu m'en offusquer mais j'avais autre chose en tête. Après tout, le type qui s'était amusé à me saisir au col était désormais devant moi, maintenu par quelqu'un d'autre.

A ma merci totale.

Un coup d'oeil à Gold, qui me fixait avec gravité. Dans son hochement de tête, il y avait la réponse à ma question muette : oui, tout ce que tu veux.

- Ouais.

J'ai vu Craig se raidir, me suis retenue d'envoyer mon poing dans la gueule.

- Je veux qu'il s'excuse.

Il s'est exécuté immédiatement.

C'était tout, je n'avais pas besoin de plus que ça. (Avec le temps, j'apprendrais à me ne plus m'en satisfaire).

La suite de la soirée est floue, faite d'impressions confuses. Je me souviens que nous avons laissé Craig sur son perron, que nous sommes partis bras-dessus bras-dessous comme de vieux amis avant de retrouver Hakeem. Je me rappelle aussi la boule chaude dans ma poitrine, cette fierté imbécile qui ne me quittait plus alors que mon chaperon contait mes louanges à mon frère. J'avais survécu, après tout, j'avais réussi haut la main le premier test.

Il ne manquait plus que les autres, ceux qui allaient tout autant - si ce n'est plus - m'en faire baver.

Et qui m'apprendraient, surtout, comment faire cohabiter honte et fierté.

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