Dehors

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- Faut que tu comprennes que t'es en droit de refuser si Gold te demande un truc avec lequel t'es pas d'accord.

J'ai hoché la tête. Face au miroir, Hakeem finissait d'ajuster les boutons de sa chemise. Il était plus classe que d'habitude, pas pingouin mais presque - si on comparait avec son air usuel. Une partie de moi a eu envie de le lui dire, mais les mots se sont modifiés en chemin.

- Tu t'habilles jamais comme ça, quand les parents débarquent.

Coup d’œil vers moi, il a ricané.

- Comme si toi, tu faisais des efforts.

J’ai haussé les épaules : c'était tacite, un jour on avait juste arrêté de se faire mignons quand ils venaient. Sans doute la compréhension qu'au final, ça n'aurait rien changé.

Je me suis levée, nerveuse.

- T'es prêt ?

- Ouais.

Je l'ai regardé quelques instants et un truc s'est noué dans ma gorge : Hakeem était beau mais il faisait bien plus que son âge comme ça. Moi, je m'étais fringuée normalement - personne ne m'avait donné d'indications. Je me sentais moche et sans charisme à côté de lui.

- On y va.

J'étais pas prête mais je l'ai suivi quand même.

30 minutes après, on était dehors. Au coin d'une rue où il faisait anormalement froid. Appuyé contre un mur, Gold nous attendait en discutant avec un type que je ne connaissais pas. Hakeem s'est approché d'eux et les a salués avec nonchalance pendant que je restais en retrait. Les basses d'une chanson technoïde suintaient de derrière les briques, se mêlant à leurs paroles. Gold m'a fait signe de m'approcher.

- Bonsoir, Raïra.

- Salut.
J'avais la gorge nouée.

- On y va ?

La question venait du type que je ne connaissais pas. Je voulais avoir l'air cool mais le regard que j'ai jeté à Hakeem devait sans doute ressembler à celui d'un chien qu'on laisse au bord de la route. Il m'a pressé l'épaule, brièvement, avant d'acquiescer et de s'adresser à Gold.

- Prends soin d'elle.

- Bien sûr.

En un sourire, j’ai vu sa dent jaune briller sous les néons.

On est restés seuls, face à face. J'étais déterminée mais pas rassurée : ce n'était pas parce que Gold m'inspirait plus confiance que Face que j'étais à l'aise pour autant. De l'autre côté du mur, les basses s'étaient faites plus sourdes, presque nébuleuses. Brouillées.

- Je vais devoir faire quoi ?

Gold a mis quelques secondes avant de m'accorder de l'attention. Son regard sombre s’est posé sur moi, me fixant avec une curiosité presque férale.

- Tu vas m'aider à faire mon job, ce soir.

- Ok.

Je frottais mes bras, agressée par le froid. Ma nervosité animait mes mouvements, me rendait fébrile comme un animal dans une pièce close. Gold prenait son temps, ça m'énervait. Sans me lâcher du regard, il a repris :

- Tu entends la musique ?

- Ouais.

Basses sur basses, rythmes sourds sur rythmes sourds. Comme un cœur qui battait.

- Il y a une soirée, là-bas. Tu vas t'y rendre.

J'ai hoché la tête, assimilant le peu d'information que Gold me laissait. Dans ma naïveté, je ne comprenais pas en quoi ses problèmes financiers avaient à voir avec le gang. Hakeem m'avait vaguement parlé d'un commerce, mais je ne comprenais pas de quoi (Évidemment, j'allais finir par l'apprendre). Jetant sa clope sur le bitume, mon chaperon d'un soir s’est mis à sortir de la ruelle. Il marchait vite mais sans en avoir l'air, je devais me presser pour rester à sa hauteur. Le temps de contourner la bâtisse, se retrouver devant un perron. La musique se faisait plus forte, Gold m'a jeté un regard.

- L'organisateur de la fête me doit de la tune. Il sait combien. Je t'attends ici et tu me le ramènes soit lui, soit mon fric.

- T'as pas son nom ?

Sourire bizarre, du genre à mettre mal à l'aise. A nouveau, Gold prenait son temps.

- Craig. Il s'appelle Craig.

Un temps. J’ai sa main se presser contre mes omoplates et me pousser sur le perron.

- On a pas toute la soirée, gamine.

J'ai eu honte de me sentir mal à l'aise. Je n'aimais pas être bousculée ni être appelée comme ça. Mais c'était mon épreuve et j'avais pas mon mot à dire alors je me suis contentée de fuir en avant, vers cette porte derrière laquelle on bougeait. Un dernier arrêt devant l'entrée, un regard en arrière : Gold ne bronchait pas, je ne voyais plus que ses dents. La musique battait à travers le mur, j'avais l'impression qu'elle l'animait. Comme si le bâtiment entier était un être vivant qui respirait, s'apprêtait à me bouffer. J'ai inspiré, accroché la poignée.

- Allez...

C'était un murmure, de moi à moi-même. Un rappel que trouver un type et lui parler, je savais faire. Bien entendu, ma mission était floue mais ça n'empêchait pas mes motivations d'être claires.

Hakeem, je faisais ça pour Hakeem.

C'est cette pensée qui m’a fait entrer.

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