Hostilités

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A peine arrivé, Al s'est enfermé avec Mina et Face. Hope m'a remplacée, ce qui me semblait logique : bien que je m'entendais plutôt bien avec Mina, je restais celle qui l'envoyais baiser les porcs qui faisaient notre fric et n'étais sans doute pas la mieux placée pour la réconforter. Quand je suis revenue au salon, ceux qui avaient assisté à notre retour m'ont assaillie de questions. Suivant l'ordre de Face, je les ai toutes esquivées et me suis contentée de répéter que Mina s'en sortirait.
(De toute façon, je n'étais pas sûre que cela leur importe vraiment. La plupart des types de la Meute méprisaient les filles, ne traînaient avec que pour des coups d'un soir et ils ne faisaient pas exception pour Mina - aussi adorable soit-elle).

Attendre a été difficile. Alors que le soir tombait, les membres rentraient et la rumeur que quelque chose de grave s'était produit se répandait. Je restais imperturbable, passais le temps comme si de rien n'était. Gold, Dog et Steel ont fini par arriver à leur tour et Face, après s'être entretenu avec eux quelques minutes, a refait son apparition.

Un discours - ou du moins une mise à jour face à la situation - s'imposait. Avec une placidité qui, me semblait-il, était moins parfaite qu'à l'accoutumée, Face a rassemblé ceux qui étaient là et les a mis au courant : c'était bel et bien à des membres du Noeud que Mina avait eu affaire. Alors qu'elle racolait, elle s'était fait enlever et avait subi les mutilations que j'avais pu voir de près.

- Et Chuck ? Il était pas avec elle ?

La question, posée par l'un de ses potes proches, a fait taire les commentaires. Froidement, Face a répliqué :

- Ils l'ont descendu.

Un silence glaçant s'est abattu sur l'assemblée, avant que des insultes ne jaillissent un peu partout, éclats de colère qui surgissaient comme des foyers d'incendie dans la forêt. J'aurais sans doute dû faire pareil, mais voilà : une partie de moi repensait à la nuit où je m'étais réveillée sur le carrelage et me rappelait que c'était Dog et Chuck qui m'avaient ramenée, avant le blackout.

Peut-être qu'il le méritait, alors.

Frisson glacé : penser ça, c'était trahir la Meute et pourtant je n'avais pas pu m'en empêcher. J'aurais dû en vouloir au Noeud mais mon esprit refusait de coopérer. Je n'étais pas soulagée de la mort de Chuck mais pas triste non plus, et cet état de fait me nouait l'estomac.

- On va faire quoi ?

La question a agité notre groupe. Face y a répondu :

- On va continuer de faire comme d'habitude et continuer de recruter. Il faut qu'on s'agrandisse, qu'on se fortifie. Qu'on soit prudents aussi, ces chiens ne sont pas à prendre à la légère. Mais ne vous inquiétez pas, on passera à l'offensive quand ce sera le moment.

Son ton s'est fait plus dur encore :

- Ils crèveront avant que je les laisse nous baiser comme ça une deuxième fois.

Le reste de la séance s'est passé dans le chaos. Un peu sonnée, je suis restée sans rien faire jusqu'à ce que Hakeem m'entraîne à l'écart. En me voyant, le visage de mon frère s'est adouci.

- Ça va ?

J'ai menti :

- Ouais. Toi ?

- Ça va aller. Tu as pu voir Mina ?

- Ouais.

Un peu plus bas, j'ai lancé :

- J'étais là quand elle est rentrée.

- Ah, merde.

Son ton peiné m'a filé la gerbe. J'ai grogné :

- Regarde moi pas comme ça, putain.

Son expression s'est durcie.

- ... pardon.

D'un seul coup, l'atmosphère du QG m'a paru étouffante. Le coeur battant, j'ai détourné le regard, marmonné que j'allais rentrer.

- Tu veux pas la revoir ?

- C'est pas ma gosse.

Ce n'était qu'une pute, ce n'était qu'un gang. Les mots se répétaient dans ma tête, me donnaient le tournis. Nauséeuse, j'ai quitté le squat avec l'impression de trahir mon clan.

***

Quand j'ai débarqué dans le silence de l'appart, je n'ai eu qu'une envie : entendre la voix de Leïla.

Avec une hésitation un peu étrange - mes mains tremblaient et j'avais froid - j'ai saisi le combiné et composé son numéro. Au bout de quelques sonneries, elle a décroché.

- Hey.

- Raïra, ça va pas ? T'as vu l'heure ???

Elle chuchotait : j'avais dû la surprendre.

Comme déconnectée, je me suis demandée où le téléphone de sa maison était situé, et si ses parents l'entendaient. Bizarrement, l'idée ne m'a fait ni chaud ni froid.

- ... Raïra ?

- Pardon, je... je.

J'ai reniflé. Ma sensation de nausée s'était calmée mais le tremblement de mes mains s'était transmis au reste de mon corps.

- Tu me manques, Leï.

- ... oh.

Un silence, à l'autre bout du combiné. Puis elle a repris, plus doucement :

- Il s'est passé un truc ? Tu veux que je vienne ?

- ... non, non, ça va aller... j'avais...

J'ai hésité : même avec elle, c'était dur de se montrer vulnérable.

- ... j'avais juste besoin de t'entendre.

- Tu es sûre que ça va ?

Une envie de lui dire de fermer sa gueule m'a traversée : je détestais qu'elle me presse comme ça. Pourtant je lui ai dit la vérité.

- ... pas vraiment, non. Mais je te raconterai, t'inquiète. Ça va déjà mieux, de t'entendre.

Un autre bruit, dans le combiné. D'un seul coup, je n'ai plus entendu la respiration de Leïla et - par mimétisme, j'ai retenu la mienne également. Au bout de quelques secondes, elle a repris :

- Je vais devoir raccrocher, je pense. Tu veux que je vienne ?

- Non, je veux pas te créer de problèmes. Mais Leï ?

- Oui ?

- Je t'aime.

- Moi aussi.

Elle a repris, d'une voix un peu étranglée :

- Et putain, Raïra... j'espère vraiment que tu t'es pas attirée trop d'ennuis.

Sur ce juron qui lui ressemblait si peu, elle a raccroché.

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