Chapitre 9 - Un dessin du passé

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J’ai trouvé mon homme. Dans un théâtre. Dans une banlieue. À donner des cours à des élèves. Fini le prestige du temps passé où il était demandé et financé de partout. N’ayant jamais suivi les carrières de mes anciens camarades de jeu après mon départ, ça ne m’étonne pas. Ce métier est parfois une roulette russe dont on ne sort pas indemne non plus. Il avait pris vingt kilos de plus, et ses yeux d’illuminés étaient comme en sommeil, presque éteints, tel un zombi. Lui qui était en vogue était devenu son propre fantôme. Il donnait des cours pour garder son statut et pour bouffer, mais les paillettes, les soirées interminables, et les budgets colossaux où les dépenses parfois étaient complètement irraisonnées, c’était fini. Le temps avait joué son pendule de Foucault et il s’était ramassé, foutu aux oubliettes, dans la sphère de l’incognito, à faire des heures sans compter, pour une bouchée de pain, et pour espérer, à chaque saison, de préserver son statut. Obtenir le sésame pour garder ses droits.

On s’est retrouvé dans un café après ses cours, et on s’est installé au fond de la salle, dans les coins canapés. En sourdine, diffusée par des hauts parleurs discrets la voix de Diana Krall nous berce de sa version groove et blues de Cry Me A River. Je sens Gary fatigué, usé, méconnaissable, sans doute malade. Une fin qui ne dit pas son nom. J’ai eu du mal à le reconnaître, mais sa voix reste la même, toujours aussi bafouillant à cause de l’alcool. Il buvait déjà pas mal quand je l’ai connu, mais sa descente aux enfers par la suite l’a fait tomber dans le cubi permanent, jusqu’à qu’il se sort de la barrique avec le soutien des A.A. Du moins, c’est ce qu’il m’explique après son second café, que j’offre de bonnes grâces, non par pitié, mais pour le bon vieux temps…

Lui aussi a fait table rase. La mort de… Laure en a déstabilisé plus d’un, moi y compris. Mais, pour Gary – c’était son prénom, son vrai prénom –, ce fut le début des ennuis, jusqu’à la déchéance ; une vraie descente dans les cercles de Dante. Et, l’alcool ne fut pas la seule raison. Après la mort de notre « ami » commun, et mon abandon définitif, Gary n’avait pu trouvé de remplaçants de notre acabit. Je ne me suis jamais considéré assez bon pour être une star, bien que des personnalités du spectacle le sont sans forcément avoir quelques mérites ; seulement un coup de bol ou le hasard, ou parce qu’ils avaient un nom, fils ou fille de ! D’autres, au contraire, triment dans les conservatoires, et resteront dans le noir. La loi de la loterie est ainsi faite. Certaines récompenses peuvent être considérées comme méritées, d’autres, on cherche encore à savoir comment c’est possible, tout art confondu…

Mais, par expérience, je peux dire que la gloire n’est qu’un feu follet, un mirage aux alouettes, et ça ne dure jamais très longtemps, à l’image d’une étoile filante qui traverse le ciel, au hasard de notre contemplation étoilée un soir d’août par exemple. Mais, la gueule de bois arrive plus vite qu’on ne le croit. Le réveil est un peu comme au lendemain d’une cuite… un bon retour de flamme !

Seul compte le travail. Un travail d’artisan, souvent mal chaussé, mais tant pis. Ça bosse. Ça bosse. Ça bosse. Et, ça se remet en cause dans chaque pièce, pour chaque rôle. Un travail de fourmi incessant, toujours en mouvement, évitant l’immobilisme de l’acquis.

Et, je comprends qu’aux dires de Gary, ses raisons viennent de là. La remise en cause fut impossible. Il se croyait meilleur ! Un petit génie ! Parce qu’on l’adulait. Parce qu’on le voulait, tant que le succès était au rendez, tant que les prods étaient remboursées de leurs investissements, bien que pour certains d’entre eux, ils jouaient beaucoup de subventions, pour éviter tout risque de pertes. Mais, pour Gary, on finançait sur sa tête les yeux fermés ; mais, c’était sans compter sur un appuie de taille : les comédiens et comédiennes qu’il avait sous sa direction. Le succès, la gloire, les florilèges, les critiques, étaient partagés.

Les auteurs aussi avaient leur importance. Sans eux, pas de jeux. Sans eux, pas de spectacles, pas de prods, pas d’artistes, pas de métiers en tout genre sans qui ils vivent et dépendent. Mais Gary montait que des auteurs classiques, afin d’éviter de payer des droits d’auteur aux vivants, ou récemment mort à cause des ayants droits, mais aussi parce qu’il estimait – à tort ou à raison – que les auteurs classiques avaient déjà tout dit, tout écrit, dans tout thème social et que depuis lors les auteurs dits contemporains n’ont fait que recopier. Je me souviens qu’un jour il nous avait parlé de Huit-clos de Sartre, une des pièces les plus spoliées dans le monde des écrivaillons du dimanche. Gary était imbu de sa personne à l’époque, et bien qu’aujourd’hui il vivotait telle une épave à travers un océan de nostalgie et de désarroi, son idée reçue sur les auteurs n’avait pas changé d’un iota. Personnellement, j’ai toujours lu les auteurs, qu’importe leur siècle, et j’ai toujours trouvé qu’ils apportaient une pierre à l’édifice ; et tant que cet édifice n’était pas une tour de Babel, il n’y avait rien à craindre d’eux.

Mais, cette discussion du bon vieux temps n’apportait pas de l’eau à mon moulin. Et, je n’étais pas là non plus pour retisser des liens. Je lui relate donc les faits qui m’arrangent sur les raisons de ma venue, et j’oriente la conversation sur un point précis.

(.../...)

Pour lire la suite, je vous invite à le découvrir sur mon blog créé à cet effet, et qui récapitule aussi les chapitres précédents :

https://www.francoisxaviertorre.com/post/à-l-ombre-d-un-rôle-chapitre-9-un-dessin-du-passé


Fx'







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