Entretien avec un vampire

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 Les trois camarades suivirent Jérémy d’un pas pressé jusqu’au troisième étage, où il les fit entrer dans sa chambre avec une moue contrariée. À l’intérieur, tout était aussi sombre que dans le reste du bâtiment. Un chandelier, certainement plus ancien que la maman d’Agatha, fournissait l’unique source de lumière de la pièce. Il était posé sur un bureau dans lequel on avait sculpté moult symboles inconnus. À en juger par le carnet de mathématiques posé à côté, Jérémy était en train de faire ses devoirs avant qu'ils viennent le déranger. Un tapis persan recouvrait presque l’entièreté du sol et un lit, taillé tel un cercueil, constituait l’un des seuls meubles de la pièce. Il n’y avait pas d’armoires pour ranger ses vêtements ou pour ses jouets. Cependant, vu la taille de l’édifice, une pièce de l’habitation devait y être consacrée. Il restait tout de même un aquarium dans lequel nageaient trois poissons qu’Agatha jugea être des piranhas.

 Jérémy s’avança et tira la chaise de son bureau pour s’y installer avant de jeter un regard dédaigneux sur ses invités surprises. Il ne leur proposa pas de s’asseoir sur son lit, ni nulle part ailleurs. Agatha et Romulus restèrent debout et Lisa bien à l’abri dans son tableau.

 — Bon, alors, qu’est-ce que vous faites chez moi ? demanda enfin le jeune vampire.

 — Nous sommes venus te poser des questions à propos de ce qu’il s’est passé chez Béatrice, samedi dernier, se lança la sorcière.

 — J’m’en doutais, cracha Jérémy, irrité. Ça ne me concerne pas.

 — Bien sûr que si, ça te concerne ! répliqua Romulus, sur la défensive. T’étais présent, et tu as offert la poupée le lendemain à Jacky !

 — Elle est venue vous trouver, c’est ça ? maugréa-t-il. Tss, après tout ce que j’ai fait pour elle, vraiment, quelle sale petite…

 — Elle a aussi affirmé que ce n’était pas la poupée volée, l’interrompit sèchement Agatha en serrant les poings.

 — Elle n’est pas complètement stupide, alors…

 Il détourna la tête, eut un petit rictus satisfait puis les fusilla à nouveau du regard. Son attitude hautaine le rendait particulièrement désagréable. Agatha avait presque du mal à croire qu’ils étaient dans la même classe. C’était à se demander pourquoi tant de filles de leur âge tombaient amoureuses de lui. Que diable lui trouvaient-elles ?

 — Et du coup, vous êtes venus pour quoi ?

 — Parce que nous, par contre, on n’y croit pas, répliqua Romulus.

 Les deux garçons se montrèrent les dents dans une tentative d’intimider l’autre. Lisa, depuis son cadre, semblait n’avoir jamais été aussi heureuse d’être un portrait. Exaspérée par l’attitude des deux monstres, Agatha se plaça entre eux, les bras croisés, comme si elle s’impatientait.

 — Où étais-tu caché lors de la partie de cache-cache, samedi dernier, chez Béa ?

 — Pourquoi je te répondrais ? grimaça le vampire.

 — Jérémy, bon sang, tu n’as pas l’impression d’être le suspect numéro un avec ton attitude de gamin !? s’énerva soudain la sorcière en tapant du pied. Tu vas répondre à nos questions ou je laisse tout le monde te traiter de voleur jusqu’à la fin de tes jours !

 Il était rare de voir Agatha s’agacer ainsi. Elle paraissait furieuse qu’il refuse de collaborer avec eux. Lisa et Romulus en restaient sans voix et il en était de même pour l’héritier Carotide. Elle était parvenue à lui rabattre le caquet et, s’il n'en était guère enchanté, il soupira avant de répondre.

 — J’étais dans le dressing du manoir. C’est bon, t’es contente ?

 — Tu t’es transformé en chauve-souris immédiatement ?

 — Oui, c’était plus discret, pourquoi ?

 — Et tu n’as pas essayé d’ouvrir la fenêtre et de te glisser dehors ?

 — T’es folle ou quoi ? En plein jour, je te garantis que ça se serait vu, j’aurais eu des coups de soleil sur tout le corps.

 Si Romulus avait paru satisfait de le voir coopérer, il écarquilla grand les yeux de surprise, si bien que le fils Carotide lui fit une grimace, croyant qu’il se moquait de lui. Le soleil. Le loup-garou n’y avait pas pensé mais le vampire était obligé de se trimballer plusieurs protections afin de rester à l’ombre et épargner sa peau très sensible aux rayons du jour. C’était aussi le cas sous sa forme de chauve-souris. Plus discrète, Lisa se contenta de jeter un coup d’œil à Agatha, qui affichait une mine étrangement satisfaite.

 — C’est bien ce que je pensais. Du coup, d’où vient la Mortadelle que tu as offerte à Jacky ?

 — Du magasin ? répliqua Jérémy, ironique. Elle ne me parlait que du super cadeau que son amie allait recevoir. Alors quand c’était le jour de l’arrivée des poupées au Broc à jouets, j’ai envoyé Franck, notre majordome, lui en acheter une de ma part. J’ai la souche ici.

 Il ouvrit un tiroir de son bureau, rempli de paperasse comme aucun enfant n’en accumulait jamais. Il ne chercha pas longtemps avant de tendre un papier à Agatha, tout en jetant un regard narquois à Romulus qui tombait de plus en plus des nues.

 — Il a l’air authentique, confirma Agatha après l’avoir examiné à la loupe et à la lumière du chandelier.

 — C’est bon, ou vous avez encore des questions ? grommela-t-il en récupérant la preuve de son innocence.

 — Une dernière, après on te laisse tranquille. Même si tu en étais plus loin que les autres, tu te souviens avoir entendu du bruit venant des escaliers ?

 — Les chauves-souris ont les meilleures oreilles du règne animal, sourit le vampire en montrant ses longues canines effilées. Ouais, j’ai entendu des bruits de pas dans l’escalier et une porte qui se fermait. Puis de nouveau des bruits, dans l’autre escalier, c’était l’ogre qui débarquait.

 — Bien, je te remercie pour tes réponses, souffla la sorcière en hochant la tête, réfléchissant en même temps aux conclusions à en tirer.

 — Je ne vous raccompagne pas, il paraît qu’on a un devoir de calculs à faire. FRANCK !

 Il se détourna d’eux et s’accouda à son bureau tandis qu’Agatha sortait d’un pas pressé de la chambre, suivie de Romulus, la queue entre les jambes et le portrait de Lisa entre les mains. À peine étaient-ils dans le couloir que le majordome aux points de suture les intercepta et les guida jusqu’à la sortie. Plus personne ne prononça le moindre mot jusqu’à ce qu’ils soient dehors. Ils firent encore quelques mètres, le temps de s’éloigner du Manoir Carotide. Avec un dernier regard en arrière, Agatha constata que les rideaux de la chambre de leur camarade bougeaient légèrement. Lisa poussa alors de tels soupirs qu’elle éclata de rire.

 — Plus jamais ! s’écria le portrait. Plus jamais on entre là-bas !

 — J’espère bien, grommela le loup-garou. D’autant que maintenant, je ne sais plus quoi en penser !

 — Moi je trouve qu’on a pas mal avancé aujourd’hui, reprit Agatha avec un sourire satisfait. Je suis sûre qu’il ne me manque plus grand-chose pour trouver la solution !

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