Sous le toit des Carotide

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 Le lendemain, à l’école, Agatha fit part de la nouvelle à Lisa et Romulus. Pour ces deux-là, il ne faisait plus aucun doute que Jérémy était le coupable. C’était forcément lui qui avait volé la poupée de Béatrice avant de l’offrir à Jacky. Pourtant, Agatha hésitait encore. Elle affirmait que l’enquête n’était pas close et qu’ils devaient laisser une chance au vampire de se justifier.

 Jacky lui avait fait promettre de ne rien en dire à Béatrice. La gobeline, comme les autres, y aurait forcément vu la preuve irréfutable. Pire, cela aurait provoqué une terrible dispute entre les deux meilleures amies et Agatha ne voulait pas en être responsable. Aussi garda-t-elle le secret pendant la journée.

 La jeune sorcière fut peu attentive en cours ce jour-là et Monsieur Mate la réprimanda à plusieurs reprises. Il la jugeait dans la lune, alors qu’en vérité, elle surveillait du coin de l’œil son suspect numéro un tout en élaborant toutes les hypothèses que ses petites cellules grises pouvaient imaginer.

 La sonnerie annonça la fin de la journée et Agatha rangea précipitamment son plumier dans son cartable et sortit en trombe, laissant ses deux amis pantois. Romulus aida Lisa à reprendre ses affaires et la plaça dans sa brouette. La sorcière avait déjà disparu des couloirs de l’école. Inquiets, ils pressèrent le pas et la retrouvèrent finalement devant les grilles de l’établissement. Elle avait l’air d’épier quelque chose sur la route.

 — On peut savoir ce qui t’arrive ? lui lança Romulus, mécontent.

 — Chuut ! l’intima-t-elle.

 — Comment ça, chut ?

 Elle leur fit signe de se montrer plus discrets et de la rejoindre tandis qu’elle s’écartait un peu plus du portail. Les parents venaient rechercher leurs enfants dans une cacophonie et un mélange de couleur singulier. À leur grande surprise, Agatha changea de trottoir et s’adossa à un réverbère. Elle surveillait la foule de monde, aux aguets. Soudain, une calèche tirée par un centaure déboula dans la rue et se gara à quelques mètres de l’entrée. Jérémy s’y engouffra et Agatha poussa un juron, ce qui eut l’effet d’une bombe pour ses deux camarades.

 — Agatha ! la fustigea Lisa.

 — Désolée, mais je voulais prendre Jérémy en filature et il part en taxi ! J’avais oublié ça ! Comment on va trouver où il habite, maintenant ?

 — Moi je sais où c’est, intervint Romulus.

 — Quoi ? Tu es déjà allé chez lui, toi ?

 — Papa s’y rend de temps en temps, je l’ai déjà attendu. C’est rue Stocker, difficile de rater, ils ont un vieux manoir encore plus grand que celui de Béa.

 — Et tu ne pouvais pas me le dire plus tôt ?

 — Tu n’avais qu’à me dire que tu voulais savoir où il habitait !

 Les deux amis se chamaillèrent encore un peu avant que le loup-garou n'accepte de guider ses camarades jusqu’au manoir Carotide. Plus ils s’approchaient, cependant, et plus chacun changeait d’attitude. Si Agatha semblait très excitée à l’idée d’enfin interroger Jérémy, Romulus, lui, restait sur ses gardes. Il avait encore les recommandations de son père en tête concernant la famille du Comte. Lisa, quant à elle commençait tout doucement à paniquer. Selon elle, se rendre dans un lieu infesté de vampires n’avait rien de réjouissant. Elle tenta quelques fois de reporter leur visite en prétextant qu’ils avaient des devoirs à faire mais Agatha resta sourde à ses arguments.

 Le Manoir Carotide dominait la rue Stoker. Si la demeure des Grindriz disposait d’une longue allée et d’un beau jardin, ce n’était cependant pas le cas de celle-ci. Le bâtiment était plus haut, par contre, et il avait l’air aussi plus ancien. Surtout, il était plus lugubre. Malgré un grand nombre de fenêtres, des rideaux rouge sang cachaient l’intérieur de chaque pièce.

 Agatha se dirigea vers la porte d’entrée et, sans une once d’hésitation, y frappa trois coups. Romulus et Lisa, en retrait, observaient la façade avec malaise. Ils crurent voir un rideau bouger, comme si quelqu’un les épiait. Après un bref instant, un vieux majordome couvert de points de suture sur le visage leur ouvrit. Il leva un sourcil, silencieux, et attendit une explication.

 — Bonjour, monsieur, nous sommes des camarades de classe de Jérémy. Pouvons-nous entrer ?

 L’être accorda un bref coup d’œil à Lisa et Romulus derrière elle avant de s’écarter, les laissant entrer. Romulus laissa là la brouette et saisit le portrait de Lisa pour suivre Agatha qui ne s’était pas laissée prier. À l’intérieur, la pénombre régnait en maître et seules quelques bougies étaient allumées, par-ci par-là, offrant de faibles lueurs dans une obscurité ambiante. Romulus sursauta et faillit lâcher Lisa quand le majordome fit claquer la porte derrière eux. Il leur passa devant et, toujours muet, les accompagna jusqu’au salon.

 Là-bas, dans un fauteuil, le Comte Lestat Carotide lisait son journal. Le vampire était sûrement le monstre le plus riche d’Halloween. Son costume, à la fois chic et effrayant, faisait honneur à sa réputation. Un verre à vin rempli d’un liquide rouge attendait sur la table basse, à ses pieds. À l'odeur, Romulus devina qu’il ne s’agissait pas d’alcool… Le Comte accorda un bref coup d’œil aux nouveaux venus et fit un signe nonchalant de la main. Le majordome s’inclina et abandonna là les trois enfants qui ne savaient pas où se mettre.

 À la manière de son employé, le Comte ne prononça pas un mot. En fait, il ne leur accorda pas plus d’attention que s’ils avaient été une toile d’araignée dans un placard à balai. Le malaise de Lisa et Romulus s’accentua encore plus lorsqu’ils posèrent les yeux sur ce qui les entourait. La pièce débordait de décorations luxueuses, vases en porcelaine et autres trophées de chasse. D’étranges flacons abritaient des créatures mystérieuses, figées dans du formol. Même Lisa qui était un portrait vivant n’était pas rassurée à la vue des toiles pourtant dénuées de toute magie. Les figures sévères, non vivantes, semblaient malgré tout les juger depuis les murs. Toute une collection d’armes anciennes était exposée, de la masse d’arme au sabre asiatique, en passant par l’épée de chevalier. Agatha voulut effleurer une canne ouvragée qui trônait près d’elle mais un simple claquement de langue du Comte le lui interdit. Mieux valait ne pas faire de zèle ici.

 — Qu’est-ce que vous faites chez moi ? les fustigea soudain la voix de Jérémy.

 Le jeune vampire était arrivé tout aussi silencieusement que tout ce qui se trouvait ici. Décidément, cette absence de bruit avait de quoi oppresser la petite bande qui s’était vivement retournée vers lui. Dans son propre environnement, Jérémy portait toujours sa cape. En revanche, il s’était défait de son ombrelle et de ses lunettes de soleil.

 — Je vous saurai gré de bien vouloir régler vos problèmes autre part, fils, intervint le comte en tournant une page de son journal. J’aimerais ne pas être distrait par vos simagrées.

 — Oui père, répondit l’héritier avec un respect qui ne lui ressemblait pas. Vous, suivez-moi.

 Ils échangèrent un regard peu rassuré. S’ils voulaient faire demi-tour, c’était peut-être leur dernière chance. Malheureusement pour eux, la sorcière força la main de ses camarades en suivant Jérémy qui les guidait dans un couloir adjacent, puis dans une cage d’escalier. Leurs trois cœurs battaient la chamade. De peur et d’appréhension pour Lisa et Romulus, mais surtout d’excitation pour Agatha.

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