Lisa ne tenait plus en place. Si elle n’avait pas été forcée de rester accrochée au tableau qui l’avait vue naitre, elle se serait d’elle-même précipitée à l’intérieur de la boutique. Son père ne l’y avait jamais emmenée, or elle en rêvait depuis déjà longtemps. La petite sorcière le savait pertinemment. Leur enquête était ainsi l’occasion parfaite de satisfaire la curiosité de son amie, en plus de se faire pardonner pour les parties d’échelles et serpents qu’elle lui avait imposées.

 Excitée comme une puce, Lisa frappait dans ses mains tandis que Romulus poussait sa brouette à l’intérieur. Le spectacle qui les attendait une fois la porte passée était à la hauteur de ce que les vitrines proposaient. Des étagères remplies de jouets aux couleurs chatoyantes formaient un véritable labyrinthe dans lequel les enfants se perdaient volontiers à force de contempler les merveilleuses marchandises.

 Tandis que Lisa laissait son regard dériver tout autour d’elle, des étoiles dans les yeux, Agatha examinait la devanture, là où se trouvaient les dernières publicités ainsi que les horaires du magasin. Puis elle passa devant ses deux amis et leur proposa d’aller se promener dans les rayons, à la recherche des fameuses poupées Mortadelles. Tel un capitaine sur son navire, Lisa pointa une direction et ils s’y engouffrèrent.

 Le Broc à jouets était sans nul doute la boutique la plus populaire auprès des enfants d’Halloween et elle méritait largement son titre. Ils découvrirent d'abord toute une série de déguisements plus réalistes les uns que les autres. Dans le rayon suivant, ils purent admirer des tas de jeux de sociétés, dont une partie avait été sortie de leur boite pour montrer à quoi ressemblaient les plateaux. S’ils ignorèrent les jeux d’échelles et serpents, la farandole de jeux de table laissa Lisa sans-voix et intrigua même Romulus et Agatha. L’école était loin d’avoir autant de diversité disponible lors du lundi-loisir ! Ils passèrent ensuite dans une partie réservée aux peluches de toutes les tailles et de toutes les couleurs. À Halloween, les chauves-souris, les citrouilles et les chats volaient la vedette des ours traditionnels.

 Une multitude de jeux de construction occupait les étagères suivantes et quelques automates parcouraient des villes entières de pièces multicolores, côtoyant d’autres figurines, immobiles. La partie dédiée au sport attira l’attention toute particulière de Romulus, qui avait bien besoin d’un nouveau ballon. Ils s’amusèrent à essayer moustaches et accessoires postiches dans le rayon des farces et attrapes après être passés devant tout un tas de bibelots en bois, fabriqués à la main par des lutins du Pôle Nord. Moins fréquentée mais toute aussi fournie, une immense bibliothèque happa le regard d’Agatha, Elle déchanta très vite en découvrant qu'il s'agissait essentiellement d’histoire d’adolescentes, de livres de coloriage et de bandes dessinées. Il y avait aussi toute une série de livrets roses aux pages vierges, accompagnés de cadenas pour servir de journaux intimes. Tandis que Lisa se laissait tenter à feuilleter ce qui était exposé, Romulus les abandonna un instant afin de jeter un coup d’œil dans le rayon des cartes à collectionner.

 Ils passèrent ainsi d’agréables moments à s’imaginer avec telle ou telle babiole. Pourtant, ils eurent beau fouiller la boutique de fond en comble, rien de ce qu’ils y virent ne s’apparentait à une poupée vaudou. Si Lisa avait trop d’étoiles dans les yeux pour y penser, cette absence avait de quoi intriguer la petite sorcière. Elle abandonna ses deux complices devant la vitrine des derniers jeux vidéo du moment dans le but de poser directement la question au vendeur. Celui-ci, une sorte de grizzli cornu aux poils orangés, venait de quitter un client. Comme personne n’était alors à la caisse, Agatha en profita pour l’accaparer.

 — Excusez-moi ! le héla-t-elle. Je recherche les poupées vaudou Mortadelle, je ne les ai pas trouvées, dans quel rayon sont-elles exposées ?

 — Ah, je suis désolé, mais je suis en rupture de stock, répondit le gérant en soupirant.

 — Déjà ? s’étonna la sorcière. Je veux dire, elles sont arrivées récemment, non ?

 — Et elles ont eu un succès fou ! Vous n’imaginez pas, j’ai presque été dévalisé, en une journée, j’avais déjà vendu les trente exemplaires !

 Agatha resta sans voix face à cette information. Tout le foin que ses camarades avaient fait autour de la Mortadelle était donc justifié, on s’arrachait cette poupée. Le papa de Béatrice avait eu bien de la chance de se la procurer assez vite mais, dans ce cas, peut-être que quelqu’un d’autre avait été moins chanceux ?

 — Du coup, c’est un produit qui doit vous être beaucoup demandé, depuis une semaine ? demanda-t-elle, l’air de rien.

 — Oh oui, j’ai déjà quelques réservations. Mon contact à Hawaï prend son temps pour les désensorceler, nous ne les aurons pas avant quelques semaines, voire des mois. Ça n’empêche pas quelques collectionneurs de passer tous les jours me demander où nous en sommes, remarquez.

 — Des collectionneurs ? Il y en a beaucoup ?

 — Ils sont une petite poignée à avoir raté le coche, confirma le vendeur. Vous n’imaginez pas quelle somme ils seraient prêts à mettre pour une poupée de la première édition. L’un d’eux m’a proposé un nombre à quatre chiffres s’ils m’en restaient une en stock. Ah, si j’avais su, je la lui aurais bien gardée…

 — Vous m’en direz tant.

 — Vous voulez que je vous inscrive sur la liste des commandes, mademoiselle ?

 — Ce ne sera pas la peine, j’ai déjà tout ce que je voulais, merci monsieur !

 Le gérant haussa un sourcil, surpris, tandis que la petite sorcière rejoignait ses amis à leurs contemplations. S’ils n’achetèrent rien, faute d’argent de poche, ils passèrent encore un agréable moment à s’imaginer en possession de tout un tas de bricoles. Comme l’heure avançait, ils quittèrent le Broc à jouets sous le flot de paroles de Lisa et Romulus. Agatha, elle, resta silencieuse. De nouvelles hypothèses germaient dans son esprit.