Lisa joue à échelles et serpents

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Le cadre de Lisa avait été déposé sur une chaise haute. Elle pouvait ainsi s’en extirper et participer au jeu de table. Lorsque la sonnerie avait retenti, Agatha et Romulus étaient immédiatement sortis et la jeune fille-portrait les avait hélés, en vain. Qu'ils l'ignorent faisait partie du plan d’Agatha pour forcer l'altercation entre son amie et Juliette, que Lisa avait appelée à son secours. Comme la gorgone souhaitait profiter du lundi-loisir, elle ne vit aucune objection à aider Lisa à s’y rendre. En chemin, elle lui avait proposé de remplacer son partenaire de jeu habituel. Après tout, elles se retrouvaient toutes les deux seules. C’était une occasion parfaite de disputer une manche d’échelles et serpents.

Ce n’est qu’une fois installée que la jeune fille passa aux aveux. Elle ignorait toujours les règles. Ce n'était pas faute d'avoir demandé. Juliette parut surprise, mais rassura sa camarade : elle allait les lui expliquer. Le jeu se passait sur un plateau composé de cent cases. Chaque joueur démarrait sur la première et avait pour objectif de monter jusqu’à la dernière. Pour les aider, ils pouvaient se servir d’escaliers, sortes de raccourcis, tout en évitant les serpents qui, eux, ramenaient les pions en arrière. Afin de varier les plaisirs à chaque partie, leur version du jeu était composée d’escaliers en cartons qu’elles pouvaient disposer comme bon leur semblait. Lisa laissa la gorgone les placer, accoudée sur la table, la tête entre les mains. Elle haussa les sourcils, perplexe.

­ — Je ne vois pas les serpents, s’étonna-t-elle.

 — Ils sont dans la boite, mais moi, je joue avec ceux-ci, sourit Juliette.

Elle passa une main dans sa chevelure et attrapa quelques reptiles. Lisa eut un mouvement de recul quand sa camarade de classe les déposa sur le plateau. Les serpents rampèrent au milieu puis, dressés, se figèrent, la gueule et le bout de la queue au centre de différentes cases. Leur plateau était prêt.

 Pour faire avancer son pion, les joueurs devaient lancer un dé. Juliette laissa Lisa démarrer et elle fit un cinq. Elle déplaça sa figurine qui atterrit sur une case sans particularité. Elle poussa un petit soupir, rassurée. Finalement, ce n’était rien de plus qu’un jeu de l’oie.

 Le jeu se poursuivit sans encombre. Juliette emprunta rapidement un escalier et prit une avance considérable, évitant de justesse les serpents tandis que la malchance s’acharnait sur le pion de Lisa, qui se vit par trois fois passer de la case 41 à 35. La gorgone s’en réjouissait, si bien que le portrait commençait à se demander si les serpents n’étaient pas de mèche. Elle se rappela alors qu’elle avait quelques questions à lui poser.

 — Tu lui as offert quoi, encore, à Béa ?

 — Un kit pour fabriquer ses propres savons, soupira Juliette. Une idée de ma mère, c’est chouette à faire, mais rien à voir avec… enfin tu sais.

 — La Mortadelle ?

 Juliette acquiesça en soupirant tandis qu’elle avançait son pion et empruntait un escalier, grimpant ainsi à la case 78. Ses parents ne roulaient pas sur l’or, Lisa le savait. Elle semblait déçue par le peu d’impact de son cadeau sur leur amie commune.

 — Tu sais, moi j’ai juste pu lui offrir des pinceaux et de la peinture. Mon père était trop occupé pour aller me chercher autre chose. Et finalement, la poupée a disparu ! Qu’est-ce que t’en penses, toi ?

 — C’est clairement Jérémy. Tu as vu comme moi à quel point il était détestable, samedi.

 — Et tu penses qu’il a fait comment ?

 — Je ne sais pas, il s’est peut-être changé en chauve-souris pour s’y rendre en douce. La fenêtre était ouverte, je crois ? Il y serait allé pendant la partie de cache-cache, ou un autre moment, j’sais pas trop…

 — D’ailleurs, tu étais cachée où, toi ?

 — La salle de bain, sous un tas de peignoirs. Une minute… Pourquoi tu me demandes ça ?

 Lisa s’apprêtait à déplacer son pion, non loin d’une queue de serpent qui aurait pu la faire retomber encore plus loin qu’elle ne l’était déjà. Mais en voyant le regard pénétrant de Juliette, elle se figea, comme changée en statue. Le portrait déglutit, mal à l’aise, avant d’enfin terminer son mouvement.

 — Avec Agatha et Romulus, on essaye de trouver qui a fait le coup, murmura-t-elle sous le ton de la confidence. On était dehors, nous, on voulait savoir où les autres étaient cachés…

 — Ce n’est pas moi, répliqua Juliette en croisant les bras. J’ai pas volé la poupée de Béa. C’est ma copine !

 — Mais t’aurais pas voulu l’avoir, toi, la Mortadelle ? demanda maladroitement Lisa, qui commençait à perdre ses moyens.

 — Non ! Je veux dire, ça a l’air d’être un super jouet, mais il y a des choses beaucoup plus importantes que ça, dans la vie ! Jamais j’aurais volé une copine !

 Juliette était furieuse à l’idée d’être suspectée. Les serpents qui composaient sa chevelure l’étaient tout autant, puisqu’ils sifflaient avec fureur, grouillant dans tous les sens. Lisa sentait bien qu’elle avait manqué de tact, sur ce coup, elle comprenait la gorgone. Après tout, elle non plus n’aurait pas apprécié d’être accusée d’un crime qu’elle n’avait pas commis.

 — C’est à toi de lancer le dé…, bredouilla timidement Lisa.

 Le concert de sifflements s’amenuisa avant de s’éteindre. Juliette détourna le regard, attrapa le cube qu’elle lança puis avança son pion d’autant de cases que nécessaire. La partie reprit ainsi de plus belle sans qu’aucune des deux filles ne parle. Lorsque Juliette gagna, elle ne laissa pas le temps à Lisa de proposer autre chose et prépara le plateau pour une seconde manche en modifiant la place des escaliers et celle des reptiles. Le portrait vivant la laissa faire et, au cours de celle-ci, entama timidement une conversation sur un autre sujet. Elle n’avait pas pu poser toutes les questions qu’Agatha lui avait listées, mais peu importe. Elle ne voulait pas se disputer avec sa camarade, d’autant plus si celle-ci avait à son commandement une multitude de couleuvres qui réagissaient à ses humeurs.

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