Comme prévu, Romulus sortit dans la cour de récréation. Si une partie de lui regrettait de ne pouvoir participer au lundi-loisir, une autre se réjouissait de profiter d’un air frais et de se défouler. De discrètes éclaircies perçaient les nuages d’Halloween. Il hésita d’ailleurs, l’espace d’un millième de seconde, à se précipiter comme une majorité des garçons de l’école vers le terrain de foot. Son sens du devoir l’emporta sur ses désirs. Il avait promis à Agatha de l’aider. Même si, à bien y réfléchir, elle l’y avait contraint, il n’était pas du genre à revenir sur ses paroles.

 Il balaya la cour du regard à la recherche de ses cibles. Il repéra vite Cléo, qui semblait hésitant devant les toilettes, à ne savoir dans laquelle entrer. Personne ne savait si la momie était une fille ou un garçon, Cléo lui-même changeant de discours quand ça l’arrangeait. C’était là un mystère qu’Agatha n’était pas encore parvenue à résoudre. Curieux, Romulus fit quelques pas vers la momie mais se fit bousculer. Il se rattrapa de justesse et fusilla le responsable du regard.

 Jérémy Carotide, le suspect numéro un, se dirigeait sans un regard en arrière vers le préau, là où se trouvaient les paniers de basket. Il se protégeait du soleil avec une large ombrelle sombre et parée de dorures sur le côté. Sa peau était particulièrement sensible à la lumière du jour, ce qui l’empêchait de participer à la plupart des loisirs en extérieur et plus encore quand il y avait des éclaircies. Par contre, cela lui donnait un motif pour venir avec tous ses accessoires, des lunettes sombres, sa fidèle ombrelle et une cape aux armoiries de sa famille voletant dans le vent. Il ne se séparait de tout cela qu’en intérieur.

 Romulus n’appréciait guère Jérémy. Le vampire se pavanait partout en ne parlant que de sa riche famille et de l’argent qu’il dépensait sans compter pour tout et n’importe quoi. Plus d’une fois, à la maison, il avait entendu son père maugréer à propos des Carotide, comme quoi ils se croyaient au-dessus des lois. Aussi se méfiait-il particulièrement de lui. Il n’avait qu’une envie, prouver sa culpabilité.

 Cependant, Cléo avait disparu pendant qu’il regardait ailleurs. Dieu seul savait si la momie avait opté pour les toilettes des garçons ou celles des filles. Le loup-garou maudit Jérémy pour sa diversion mais repéra Jonah dans un groupe qui observait deux garçons plus âgés jouer aux billes. Il se rapprocha et fit d’abord mine de regarder la partie avec intérêt. Un cyclope se concentrait, l’unique sourcil plissé, sous l’œil inquiet de son adversaire, un épouvantail à tête de betterave.

 — Je peux te parler deux minutes, Jonah ? demanda-t-il discrètement.

 — Ah, c’est toi, Rom’ ? sursauta la fée à la voix si grave. Je t’avais pas vu.

 — Désolé ! Ça te dérange si on s’écarte un peu ? Après la partie, si tu veux.

 Comme celle-ci se terminait justement sur la victoire du cyclope, acclamé par deux camarades, Jonah battit des ailes pour s’éloigner des autres qui proposaient chacun au gagnant de l’affronter à leur tour. La fée lui adressa un regard interrogateur tandis que Romulus vérifiait si personne ne les écoutait autour d’eux. Les autres enfants vaquaient à leurs propres occupations sans se soucier d’eux. Rassuré, il prit une grande inspiration avant de commencer.

 — C’est à propos de ce qu’il s’est passé samedi, chez Béa.

 — Vous pensez quand même pas que c’est moi le voleur ? s’exclama soudain Jonah en devenant tout blême. C’est pas moi !

 — Non non ! s’écria Romulus, surpris par sa réaction. C’est juste que je voulais te poser des questions et…

 — Pourquoi faire ? J’suis innocent, j’te dis !

 — C’est Agatha qui m’a demandé, se justifia le loup-garou. Elle veut savoir où tu t’étais caché pendant la partie de cache-cache.

 — J’étais dans l’amphore, dans le hall d’entrée. Je m’y suis glissé dès que la partie a commencé. L’ogre, là, il m’a vite trouvé. J’ai même cru qu’il allait m’écraser avec son gros pouce quand il m’a touché !

 — Et tu n’as vu personne depuis ta cachette ?

 — Si ! Je vous ai vus, toi et les filles, sortir dans le parc. Les autres étaient montés à l’étage, je crois. Y a juste Jacky qui a couru vers une pièce plus loin.

 — Et tu as été trouvé en premier ? demanda Romulus en vérifiant la fiche de la sorcière au sujet de son interlocuteur.

 — Je crois… Jacky est arrivée juste avant Agatha et Lisa.

Romulus acquiesça tout en prenant de rapides notes sous les questions qu’Agatha avait écrites. Il ne lui en restait plus qu’une à poser, mais il hésita avant de la formuler.

 — Tu aurais voulu l’avoir, la Mortadelle, toi ? demanda le loup-garou.

 — Les poupées, c’est pour les filles, répliqua Jonah en croisant les bras, sur la défensive. Ça m’intéresse pas.

 — Les gars, les gars, vous voulez jouer à chat ? les interrompit soudain la voix de Cléo qui courait vers eux d’un pas malhabile.

 — Ah, justement, Cléo, je voulais te poser des questions ! s’exclama le loup-garou.

 — A moi ?

 — Je peux partir, dis, moi ?

 — Oui vas-y, j’ai fini ! Viens, Cléo…

 La momie s’approcha plus lentement tandis que Jonah prenait la poudre d’escampette en direction des jeux de billes. Romulus remarqua qu’elle avait un morceau de papier toilette collé sous le pied, à moins qu’il ne s’agisse d’un morceau de ses bandelettes qui s’était décollé. Tête en l’air comme elle l’était, l’un comme l’autre n’aurait pas surpris le garçon.

 — Dis, t’étais caché où pendant la partie de cache-cache, chez Béa ? demanda Romulus sans y aller par quatre chemins, craignant une vive réaction comme celle de Jonah.

 — Euh… Je sais plus… Un placard, je crois…

 — Un placard où ? Au premier étage, au deuxième ?

 — Je ne sais plus… au premier, je crois… Ou au deuxième… attends…

 Le loup-garou fit de son mieux pour cacher son exaspération. Cléo n’était pas connu pour son excellente mémoire. Sachant pertinemment qu’il ne tirerait rien de fiable de son témoignage, il lui demanda plutôt s’il avait vu les autres passer.

 — Je sais plus… je pense pas. Y a eu du bruit, à un moment, dans le couloir. Des pas et une porte qui se ferme je crois, j’ai pas osé regarder où. Puis y a eu le majordome de Béa qui est passé un peu après et il m’a vite trouvé.

 — Bon ok… Et toi, la Mortadelle, t’aurais envie de l’avoir ?

 — J’sais pas… J’aurais bien aimé, je crois, la publicité, elle disait qu’elle était trop bien ! C’est une vraie poupée vaudou, c’est trop mille fois rare !

 — D’accord, marmonna Romulus en gribouillant sur sa fiche. Merci, Cléo !

 — Pourquoi tu me demandes ça, au fait ?

 — Oh, rien ! On joue à chat, finalement ?