Lundi matin, deux jours après la disparition de la poupée Mortadelle, Agatha, Lisa et Romulus arrivèrent ensemble à l’école. La petite sorcière passait toujours chercher son amie avant de retrouver le loup-garou sur le chemin. Ils se relayaient tous les deux pour pousser la brouette de Lisa qui, d’habitude, monopolisait la conversation. Cette fois-ci, pourtant, c’est Agatha qui ne cessait de papoter à propos de son enquête et de la marche à suivre pour la résoudre.

 — Tu vas vraiment passer ta journée à interroger tout le monde ? s’enquit Romulus.

 — Pas tout le monde, juste tous les invités de Béa, ainsi que ses parents, son majordome…

 — Aujourd’hui, c’est le jour des jeux de société, à midi, fit remarquer Lisa. Tu ne vas pas manquer ça, quand même ?

 Tous les premiers jours de la semaine, les enfants étaient autorisés à rester dans les classes pour jouer aux jeux de société au lieu d’aller se dépenser dehors. Les profs appelaient ça le « lundi loisir ». Si la petite bande en profitait généralement avec plaisir, d’autres élèves préféraient se dégourdir les jambes ou les ailes. Pour Lisa, c’était un rendez-vous incontournable, d’autant que sa condition de portrait ne l’y gênait pas. Tout le contraire de la cour de récréation dans laquelle elle était forcée de voir les autres courir partout sans pouvoir participer.

 — Il y aura bien un témoin qui ira aussi, répondit Agatha en haussant les épaules. Et puis, je crois qu’il faudrait qu’on se répartisse le travail !

 — Qu’est-ce que tu entends par là ? s’étonna Romulus, relevant un de ses sourcils touffus avec méfiance.

 — On va tous les trois interroger les autres. Lisa, toi, j’aimerais que tu essayes de parler à Juliette pour savoir où elle était cachée et si elle connait les cachettes des autres.

 — Moi ? Pourquoi Juliette ?

 — Elle aussi profite souvent du lundi loisir pour jouer à échelles et serpents avec Romain. Mais s’il est encore malade, tu pourrais le remplacer et poser discrètement nos questions !

 — Agatha, je ne sais pas jouer à échelles et serpents ! signala Lisa, déconfite.

 — Pendant ce temps-là, Romulus ira interroger Cléo ou Jonah, ou les deux s’il a le temps, et moi j’irai voir Béa et Jacky.

 — Tu oublies quelqu’un, fit remarquer le garçon.

 — Jérémy, oui, je le garde pour plus tard.

 — C’est pourtant lui, le coupable idéal, non ?

 — Justement, j’aimerais l’interroger avec un maximum de témoignages à exploiter. Déjà que je ne suis pas sûre qu’il nous laissera lui poser des questions, hautain comme il est...

 — Est-ce que l’un de vous sait jouer à échelles et serpents ? demanda la voix suppliante de Lisa.

 — Bon ça marche, soupira Romulus. Mais faudra que tu nous dises exactement ce que tu voudrais savoir, je sens que je vais oublier des choses.

 — On se verra à la récréation de dix heures pour que je vous donne les fiches que j’ai faites, assura Agatha.

 — Mais enfin, c’est quoi les règles d’échelles et serpents !

 Au grand désarroi de Lisa, la sonnerie masqua la réponse de ses amis. À force de parler, ils s’étaient arrêtés devant la grille de leur école et ils devaient maintenant se hâter de rejoindre leur rang. Elle ignorait que ses camarades ne connaissaient pas plus qu’elle les règles de ce jeu de société qu’affectionnait tant la gorgone.

 En arrivant en classe, Agatha remarqua avec satisfaction que la place de Romain était vide, comme prévu. Le diablotin était malade, sûrement encore un coup de froid, lui qui supportait mal les basses températures. La potion pour la toux de sa maman allait le remettre sur pied. En attendant, Juliette se retrouvait seule un lundi-loisir. Ce serait l’occasion parfaite pour que Lisa la questionne, même si cette dernière semblait prendre ça d’une manière moins enthousiaste.

 Leur enseignant, Mr Mate, corrigea d’abord avec eux leurs devoirs avant de leur donner toute une série de multiplications écrites à réaliser. Il enchaîna ensuite avec une leçon sur le cercle et le disque, s’extasiant lui-même à propos d’un nombre abracadabrantesque qu’il nommait « Pi ». Parfois, les enfants trouvaient qu’il portait bien son nom. Qui aurait cru que, derrière sa crinière de lion et sa queue semblable à celle des scorpions, se cachait un esprit aussi passionné de nombres… ?

 Après ce début de matinée studieuse, Romulus n’aspirait plus qu’à se dégourdir les jambes autour d’un ballon. Cependant, avant qu’il puisse rejoindre Cléo, Harry ou Loïc pour une partie de foot bien méritée, Agatha le happa et il se retrouva piégé entre les deux filles sous le pommier de la cour de récréation. Ce qui n’aurait dû être qu’un briefing dura leurs vingt minutes de liberté. La petite sorcière leur fit répéter plusieurs fois tout ce qu’ils devaient dire et leur expliqua en détail ce qu’elle avait déjà noté sur chacun. Aussi, quand le loup-garou fut délivré, Mr Choucroute fit résonner la cloche qui leur demandait de retourner en classe.

 S’en suivirent deux heures qui en parurent des dizaines au jeune loup-garou. Enfin, Mr Mate leur demanda d’aller chercher leur repas. Le garçon rapprocha sa chaise du banc des filles mais le regretta bien vite. Entre Lisa qui les priait de lui expliquer les règles d’un jeu qu’ils ignoraient et Agatha qui répétait en boucle tout ce qu’ils devaient faire pour tirer les vers du nez de chaque enfant, il n’eut pas l’occasion d’en placer une. Heureusement, Mr Mate les libéra vite, leur rappelant au passage que c’était lundi-loisir et que les jeux de société étaient disponibles. Tandis que les autres élèves se levaient, les trois compères échangèrent un regard complice. Le moment était venu. Ils allaient résoudre cette affaire ensemble. Plus vite ce serait réglé, plus vite ils pourraient faire autre chose !