Les ingrédients d'une bonne enquête

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 Dans le chaudron, la mixture bouillonnait joyeusement tandis que Clarisa Petipois touillait au rythme de la musique de ses écouteurs. D’une main agile, elle émietta des feuilles de mandragore séchées au-dessus de sa préparation qui prit soudainement une teinte olivâtre. D’un pied, elle activa le soufflet qui aviva les flammes. Sans lâcher sa louche, elle ajouta les pattes de tarentules. L’effet fut immédiat et la substance dégagea soudainement un épais nuage de vapeur grise qui arbora la forme d’un crâne. Nullement impressionnée, la sorcière s’éventa avant de constater avec satisfaction que son philtre était maintenant devenu rouge sang. Il ne restait plus grand-chose afin de finaliser sa recette. À tâtons, elle essaya d’attraper l'ingrédient essentiel à toute potion magique. Hélas, sa main ne rencontra que le vide. Elle tourna rapidement la tête et pesta en constatant qu’elle avait laissé le pot trop loin.

­ — Agatha ! Tu veux bien me passer le sucre, s’il-te-plait ?

 Pas de réponse. Sa fille était pourtant là, à l’autre bout de la table, la tête dans les mains et penchée sur un petit carnet. Elle était si concentrée qu’elle n’avait pas entendu sa maman l’appeler. Celle-ci dut répéter et hausser le ton pour lui rappeler sa présence.

 — Désolée, je n’avais pas entendu ! s’exclama-t-elle en accédant enfin à sa requête.

 — C’est tes devoirs qui t’accaparent comme ça ?

 — Non, c’est mon enquête, bien sûr !

 Clarisa acquiesça vaguement avant de verser le sucre dans son chaudron. Aussitôt, le contenu changea de couleur et vira au rose bonbon. Une délicieuse odeur de barbe-à-papa s’en échappait désormais et elle retira enfin sa louche alors que le liquide continuait de tournoyer tout seul. Elle se baissa pour en goûter une cuillérée et poussa un soupir de contentement. Il ne restait plus qu’à laisser à l’élixir le temps de reposer. Elle se retourna et vit que sa fille était retournée à sa place.

 — Tu disais ? demanda-t-elle en retirant ses écouteurs.

 De nouveau, Agatha ne releva pas la tête, trop occupée à prendre des notes. Intriguée, sa mère se glissa derrière elle et jeta un coup d’œil par-dessus ses épaules. Elle put y lire de nombreuses phrases et flèches dans tous les sens, si bien qu’il était compliqué de comprendre ce dont il était question.

 — Qu’est-ce que tu fabriques ?

 — J’essaye de mettre dans l’ordre tout ce qui s’est passé le jour du crime jusqu’à ce qu’il soit commis, expliqua Agatha avec dépit.

 — Tu devrais laisser les adultes gérer ça, lui conseilla sa mère. Tu disais hier que le commissaire était sur le coup.

 — Le papa de Romulus m’a laissée reprendre une preuve, répliqua Agatha. Je parie qu’il ne va même pas chercher la poupée de Béa. Vous, les adultes, vous n’avez pas les mêmes priorités !

 Clarisa pouffa de rire en entendant les arguments de sa fille. Elle savait très bien qu’elle rêvait de résoudre une enquête depuis qu’elle avait commencé ses lectures policières. Si Agatha était aussi bornée qu’elle à son âge, alors elle n’avait aucune chance de la dissuader de poursuivre son entreprise. La sorcière passa sa main dans ses longs cheveux blancs puis reporta son attention sur les annotations de sa progéniture.

 — Tu devrais essayer de structurer ça, proposa-t-elle. Aucune chance que tu t’y retrouves avec toutes tes flèches et tes ratures.

 — Le souci, c’est qu’il y a plein de chose que j’ignore encore !

 — Alors tu devrais d’abord chercher à découvrir les réponses à tes questions. C’est ce que tu devrais lister en premier.

 Agatha fronça les sourcils avant d’hocher la tête. Les enquêteurs dont elle avait lu les aventures retraçaient toujours le fil du crime, mais ils ne l’exposaient jamais qu’à la fin, après avoir répondu à toutes leurs interrogations et éclairci les zones d’ombre. Sa mère avait raison, c’était ainsi qu’elle pourrait y voir plus clair et remonter jusqu’au voleur du cadeau d’anniversaire.

 — Je crois que je vais faire une liste de questions par suspect, lança-t-elle avec enthousiasme. Après tout, ce sont les personnages qui font les ingrédients d’une bonne enquête !

 Sa mère lui ébouriffa ses cheveux blonds avant de retourner à son chaudron. La mixture bloblotait paresseusement, elle devait encore la laisser refroidir, mais elle pouvait préparer ses flacons. Elle fit sortir Miss Marple, leur chat noir, afin qu’elle n’en profite pas pour tout casser comme elle l’avait déjà fait. Quand elle reporta son attention sur le travail d’Agatha, elle fut surprise de voir autant de documents devant elle.

 — Tu as autant de suspects que ça ?

 — Ils ne le sont pas tous, bien sûr, répondit l’enfant. Lisa, par exemple, était avec moi tout le temps et ne peut pas sortir complètement d’un cadre, de toute façon. Je noterai sur sa fiche ses témoignages.

 — Bon, viens plutôt m’aider à verser la potion dans les fioles, avant que ta bête ne revienne sans prévenir.

 Dans un soupir, la jeune sorcière rassembla d’abord ses fiches en tas puis rejoignit sa mère. À l’aide d’entonnoir, elles remplirent les petites bouteilles dans le but de les stocker par dizaines dans des boites en carton. Elles purent remplir ainsi près de cinq caisses grâce à tout le chaudron qui laissait toujours s’échapper un agréable arôme sucré. Le sirop pour la toux de Clarisa Petipois était le remède le plus efficace et le plus apprécié de tout Halloween.

 Alors qu’elle fermait une dernière caisse avec du scotch, la pharmasorcière en profita pour jeter un regard curieux sur la première fiche de la pile de sa fille. Voici ce qu’elle put y lire.

Nom : Jacky Pumpqueen

Meilleure copine de Béa, amoureuse de Jérémy

Où était-elle cachée ?

Pourquoi voudrait-elle la poupée ?

Qui a-t-elle croisé pendant la partie et où ?

Témoignages :

 Si sa fille avait fait de même pour tout le monde, alors elle recherchait un mobile et un alibi à associer à chacun des participants à cette fête. Elle avait plus ou moins compris comment s’y prendre, mais serait-elle vraiment à la hauteur de ses héros de fiction ? Ne risquait-elle pas de se fâcher avec ses copains et ses copines à enquêter sur eux ? La maman sorcière ne tenta pas de raisonner sa fille. Clarisa savait qu’Agatha était pleine de ressources. Elle n’avait plus qu’à le prouver, comme tout le reste !

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