"Il fallait apprendre à dominer la peur."

Elle apprenait. Chaque jour de sa vie.

Chaque heure qui passait n'était dédiée qu'à cela.

Dominer sa peur.

Surtout depuis quelques jours.

Depuis que les heures n'étaient connues que par la lumière rasante passant dans le couloir et les repas glissés devant sa porte.

Vite ouverte, vite fermée.

Elle se reculait dans le coin le plus obscur et se faisait oublier.

Bizarrement, il ne l'avait pas violée.

Mais cela ne saurait tarder.

Le jour où il se souviendrait de ce qu'elle est.

Une femme.

La peur était quelque chose de vivant. De vivace. Quelque chose qui poussait dans le coeur telle une plante et devenait vigoureuse.

Vivante.

Vivante.

La peur coulait dans les veines, martelait les tempes, asséchait la bouche et tordait les doigts.

Il fallait apprendre à dominer la peur.

Elle apprenait.

Mais si lentement que ses quelques progrès étaient risibles.

Ne plus trembler au bruit des pas.

Ne plus trembler au bruit des clés.

Ne plus trembler au bruit de l'homme.

S'asseoir et tenir ses genoux tout contre elle.

Et s'évader dans ses pensées.

Il y avait des moments terribles où la peur submergeait tout.

Où elle avait tellement perdu l'espoir qu'elle pleurait et pleurait. Où ses mains griffaient les murs, brisant ses ongles et brisant son courage.

Où était-il ?

Que faisait-il ?

Qu'attendait-il ?

Un jour, un jour, il reviendrait et ce jour-là, il la frapperait, la violerait, la tuerait.

Il lui ferait du mal.

Elle tremblait de peur et cachait sa tête entre ses genoux.

Puis, elle entendait sa voix.

Douce et soyeuse.

Un nouvel interrogatoire.

" Que savez-vous de votre mari, madame ?"

Et elle se mordait les lèvres, elle fermait ses doigts pour en faire des poings et cacher sa peur.

Maladroitement.

Elle l'entendait rire.

" Votre mari est un salopard, madame. Que diriez-vous qu'on vous en débarrasse ?"

Les jours passaient et elle attendait.

Où était-il ?

Que faisait-il ?

La cherchait-il ?

" Je vais devoir me montrer plus dur, madame. Que savez-vous de votre mari ?

- Il est...il est à son travail...

- Je sais, madame. Je suis bien placé pour le savoir."

Et se penchant plus bas, il soufflait dans sa nuque :

" Rappelez-vous, madame. Je suis celui qui le conduit.

- Alors, alors... Que voulez-vous ?

- Tout savoir sur ce fils de pute !"

Un fin sourire.

L'homme était grand et imposant.

Elle leva le front.

La peur la faisait trembler.

Mais crânement, elle lui sourit.

" Alors vous devez déjà tout savoir, puisque vous êtes son chauffeur."

La première claque fut rude.

Et ce ne fut que la première.

Oui, on se souvint qu'elle était une femme.

La peur.

La peur.

Et on apprenait à vivre avec. Ce devenait naturel.

Les tremblements.

Les frissons.

L'incontinence.

Ce devait être le premier pas vers la folie.

" Madame, il n'est rien pour vous. Nous savons qu'il a même fait arrêter votre père."

Elle était courageuse, forte, dévouée.

" Mon père a mal parlé de l'Etat. Il méritait sa punition."

Un rire se fit entendre et quelqu'un lança, moqueur :

" La vache ! Elle y croit, vraiment ?

- Nous allons voir cela. N'est-ce pas, madame ?"

La douleur pouvait-elle être pire que la peur ?

Non.

Avoir mal ne faisait qu'entériner ce que les pires cauchemars montraient.

Brisé, arraché, déchiré, brûlé, violenté, massacré...

Que restait-il d'autre qu'elle n'avait pas déjà imaginé ?

Sinon la mort.

Nous sommes si facilement effrayés par notre mort.

Alors qu'il suffit de l'amadouer.

Il faut penser sa propre mort.

Et la peur est vaincue.

La peur.

Mais pas la douleur.

" Où est votre mari ? Que savez-vous de lui ?"

Le chauffeur se montra intelligent le jour où, au lieu de lui faire mal, il la fit s'asseoir pour lui montrer quelque chose d'intéressant.

" Vous avez confiance dans votre mari, madame ?"

Elle avait les lèvres fendues et les joues déformées par les coups mais elle pouvait encore parler.

" Oui.

- Voici ce que votre mari a fait, madame."

L'homme sortit de son portefeuille une série de photographies.

On reconnaissait la neige mais ce qui attirait l'oeil était le cadavre de femme. Morte, une balle entre les deux yeux. Une exécution.

" C'est lui ?, murmura-t-elle, horrifiée.

- Oui, madame. Alors ? Vous voulez toujours vous taire pour défendre un tel salopard ?"

Elle réfléchit.

Et tout à coup, elle n'eut plus peur.

" Il est souvent..."

La jalousie ?

Non.

Le désir de vengeance.

Sans nul doute.

La vengeance est une belle arme !