La vie de Roger

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« La Terre est ronde comme un manège à la con. Je suis con comme un manège rond sur la Terre. » Il se dit ça Roger, de temps en temps. Roger a 43 ans et 8 mois. Il trouve que ça craint un chouilla d'arriver à 50 piges. D'arriver à 50 piges, d'être toujours sans le sous, d'être toujours célibataire, d'être toujours roux, d'être toujours coiffé comme il y a 30 ans. Roger a une passion dans sa vie. Les chars. Ça l'aide à tenir debout, mais ne le dit jamais. Pas les Leclerc. Les chars. Hein. Ceux de la fête. Foraine. De la cavalcade. Ça fait sa dix-septième, en a loupé qu'une car il était hospitalisé à Saint-Louis. Roger qu'au Simon il parle de sa passion. A trop peur qu'on se foute de sa gueule au boulot et ailleurs. Simon adore la cavalcade aussi. Cela fait dix-sept ans qu'ils défilent ensemble, côté droit du char de la reine, déguisés chaque année différemment, c'est le jeu. C'est le défi. Balancer des confettis sur les cheveux gras des spectateurs filant le long du parcours, son exutoire. Cette année, il fait beau, il a de la chance, Simon est déguisé en militaire, lui en prisonnier, la foule hurle, applaudit, sourit, s'amuse, mais ne le regarde pas lui. Elle matte avec jalousie, avec envie, avec admiration Miss La Rochelle, dit : « qu'elle est belle », « Beau chignon », « bof... », « wahou »... Ça aussi c'est le jeu lorsqu'on encadre le grand char.
Vers une heure et demie, ils ont fini, les chars s'arrêtent, s'attroupent en file indienne sur un parking de parc expo et s'éteignent. La petite mort. Comme il dit. En hommage à Souchon. Il l'aime bien lui. S'en suit quelques kro, sans accroc dans la nappe phréatique. Avec Simon, ce soir-là, ils sont repartis à la frairie, en vélo. Comme toujours. Une fois par an, ça ne se loupe pas, faut pas déconner. C'est le jour ! D-day comme disent les ricains, là-bas de l'autre côté de l'eau, du port. L’Amérique...

Il a gerbé sévère au dix-septième tête-à-l'envers. Pile sur le fils de militaire qui s'était assis face à lui. Il n'a pas apprécié, le blond bouclé. Pas apprécié du tout. Ça puait la mauvaise bière, partout sur lui. Petites tâches sur ses Kappa. Une torgnole qui s'est pris sévère lorsque le manège a cessé de tourner en rond, ensuite. Des petits noms d'oiseaux, de poissons et de dinosaures, et mille chandelles, mille bourre pifs.
Simon avait pris la tangente, mais lui avait pris une bitte dans le front. « C'est ça qui est con avec la foule, a-t-il pensé, tant de monde et personne pour voir que je pisse le sang à crever ». Ses cris sourds devant le brouhaha ambiant. On l'a retrouvé une ou deux heures plus tard, complètement endormi, complètement presque mort. Il n'avait pas grand chose de mieux à faire, il est vrai, mais tout de même. Un peu la sensation d'arriver dans un monde de salaud a pensé le secouriste bénévole de la Croix rouge, 17 ans. Quand sur la nuit tombe la mauvaise Lune sous l'odeur de frites et barbe à papa.

Roger, canne, sans balcon, sans tapis, attendra l'année prochaine avec grande impatience. La fête, c'est chouette.

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