Au Sud

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C’est la vie, je chante, je crie, j’hurle comme une hyène. Les hyènes ne hurlent pas. Je dérape. Le Mistral me cogne, me fouette, me laisse éveillé. C’est l’enfer ce mois de Novembre. C’est important de savoir quel mois nous sommes. Même si pour moi il ne reste que deux temps en une année. Le temps qu’il fait trop froid, puis le temps qu’il fait trop chaud. Nous sommes tout entier dans le premier. C’est pas pour ça que je me plais, que j’ai peur. C’est la vie, c’est comme ça.

La nuit éclate là-bas sur le port, ce sont des manif’. D’habitude, peu importe le sujet, je m’y mêle. J’aime bien ça. Enfin, ça m’occupe quoi. Pour un peu qu’il y ait de la castagne, ça me fait mon sport. Puis balançer trois ou quatre pierres sur des CRS, ça fait révolution. Si je me fais choper, ça me fait une nuit au chaud. C’est du gagnant-gagnant.

Je ne sais pas, ce soir, je n’ai pas eu envie. Je suis bien seul dans mon recoin sous ma couverture. Enfin, c’est ce que j’essaye de me dire. J’avais besoin de rester tranquille un peu, de penser, de réfléchir.

J’ai 36 ans. Factuellement je me suis un peu loupé. 36 ans, normalement, c’est l’âge où qu’on fait le deuxième gamin à Madame, où on s’achète sa première familiale, qu’on s’pose le cul dans des restaurants avec les amis, où on accepte une promotion dans son boulot, où on tente de moins s’emmerder, où on trompe sa femme. Tout ça.

Moi, ça a foiré quelque part. Pourtant, les bonnes bases, je les avais. Des parents aimants qui ne nous privaient de rien, surtout pas de bonne éducation, des facilités pour l’école, des amis, bref la petite vie ordinaire d’une petite ville tranquille. Après le Bac, je m’étais orienté vers un BTS vente que j’avais réussi sans trop d’efforts ni de conviction. Il n’y avait que du côté des gonzesses où c’était pas trop ça. J’avais bien eu quatre ou cinq relations, mais ça n’avait jamais tenu longtemps longtemps. Un coup, elles me larguaient pour un autre, ou sans raison, pour tout, pour rien. Bref, de ce côté là j’étais plutôt du côté des perdants. Mais, ce n’était pas si pire.

Après, après… tout a été assez vite. Un mois après mon diplôme, sans trop chercher, j’avais été recruté par une grande entreprise pharmaceutique en tant que commercial, chargé d’affaires qu’ils disent maintenant. Je devais mailler toute la Nouvelle Aquitaine, sautant de médecins de campagne en pharmacie afin de venter les miracles en pilules. J’étais plutôt bon dans ce que je faisais, je dois avouer. Ça me faisait même marrer comme boulot. Puis ça payait bien. Puis ça me faisait voyager. Un peu beaucoup parfois. Je n’avais pas à me plaindre. Ça a duré un an et demi.

Puis, je ne sais pas trop comment, pas trop pourquoi, un soir, à l’hôtel Ibis de Périgueux, j’en ai eu marre. Mais, vraiment marre. Je n’ai jamais pu dire ce qui me rebutait, ce qui m’avait déclenché tout ça, mais les faits étaient là. Je n’en pouvais plus. Je ne pouvais plus. Le soir même, j’avais posté ma lettre de démission et avais passé la nuit à picoler. D’abord dans un bar, à côté de l’hôtel, puis dans une discothèque. A la fin, après une dizaine de rhum-coca, je dois avouer que c’était pas très beau à voir. Je glissais entre les filles qui me repoussaient une à une. Je ne savais pas trop si c’était mon haleine des Antilles ou ma sale dégaine le responsable de ce rejet massif et répétitif. Sans doute les deux. Toujours est-il que ça avait fini par m’énerver de ne pas réussir à baiser. J’avais donc fini par quitter la boîte pour aller me fumer des clopes dans ma bagnole sur une petite aire de repos à quelques kilomètres de là, histoire de dessaouler aussi.

C’est au moment où j’allais m’endormir qu’elle était apparue à la portière, la Mathilde. J’avais réouvert ma fenêtre, faisant sortir quelques dernières volutes de fumée ( et sans doute une sale odeur de mec torché).

Mathilde avait les cheveux dégueulasses, un sarouel et une veste kakis puis le regard bleu qui faisait contraste.

Elle était en panne avec son camion. N’ayant plus de crédit sur sa carte, elle n’avait pas trouvé mieux que de se risquer à demander de l’aide au plouc qui s’était garé sur la même aire d’arrêt quelques minutes auparavant. Elle devait appeler un de ses potes qu’il vienne la dépanner. « P’tain, ten as une sévère toi » m’avait elle lancé quand j’avais enfin réussi à lui tendre mon téléphone. « Ouais, c’est la fête ! » je crois j’avais baragouiné alors avant de sortir de la voiture pour aller gerber pendant qu’elle composait le numéro de son porte.

Le lendemain, l’odeur de café chaud et la chaleur du soleil sur la tôle me sortait de ma torpeur. Je m’étais retrouvé dans son lit, dans son camion. M’entendant sans doute bouger à l’intérieur, elle m’avais demandé si je voulais un café.

Une fois mon cerveau à l’endroit, elle m’avait expliqué que j’étais, après avoir vomi comme un porc, resté bien une bonne heure à chialer tout ce que je pouvais. Elle avait beau me demander ce que j’avais rien de compréhensible n’était sorti de ma bouche. Elle, son porte, l’avait planté pour une teuf à l’autre bout du département. Ayant eu pitié de moi, elle avait réussi à me traîner jusqu’à son camion où je m’étais endormi direct ; elle, elle avait dormi sur les sièges avant, mal.

Le café passé, j’avais appelé un garage trouvé sur google, je payais l’intervention et la pièce pour la remercier. Après tout.

Au moment de repartir chacun de notre côté, je m’étais regardé dans le miroir de courtoisie de ma bagnole. Dix secondes comme ça. Puis, j’avais récupéré mes papiers, mes clopes, claqué la porte et avais couru vers son camion qui ronronnait déjà.

« Tu vas où ? » que je lui avais lancé à hauteur de sa fenêtre. « Au Sud de nulle part, comme tout le monde » m’avait-elle répondu. J’étais repassé devant le camion et monté côté passager. « C’est parti alors ! » Elle avait souri et enclenché la première en la faisant craquer.

Nous avions fini par baiser ensemble, j’avais fini par en tomber amoureux de la Mathilde.

Nous errions sur les départementales au rythme des fêtes de village, des festivals. Je veux en profiter, en croquer avant de regretter qu’elle disait souvent. Un jour, je m’arrêterai et puis ça sera la vie à la Françoise, comme tout le monde. J’ai passé un peu plus d’un an comme ça avec elle à rêver. C’était le panard vraiment.

J’avais enfin trouvé le petit piment qui fait la vie belle. C’était vraiment ce que je ressentais, une vie pimenté. Le petit miracle qu’était apparu à ma fenêtre avait tout dont ce je rêvais. La beauté et le charme. La folie et la philosophie. La joie et la tristesse. Les yeux bleus et un cul bombé. La naïveté et l’intelligence. Ça allait être une vie belle. J’en étais persuadé. Je m’en disais même de temps en temps pourquoi qu’on ferait pas un marmot. Ça allait vite dans ma tête, c’était le panard, je le répète. Nous buvions, nous baisions, nous voyagions. Le carré d’as. Je ne crois pas m’être dit une seule fois tout ce temps que je me faisais chier. Bref, bref, c’était un truc qui ressemblait au bonheur.

Un matin, alors que je me remettais difficilement de la cuite de la veille, elle était venue se rasseoir à côté de moi après avoir donné un long coup e téléphone. Sans même me regarder, elle m’annonça que tout ça était fini, qu’elle avait vendu le camion, qu’elle allait partir seule en Corse, pour retrouver une amie d’enfance. Elle lui avait proposé un boulot de serveuse dans un club privé qu’elle avait ouverte avec son mari. C’était l’idéal, elle avait toujours rêvé de partir vivre en Corse. Puis elle avait conlu comme ça. Ça fait trois ans que je vagabonde, aujourd’hui, je veux me poser. Je descends à Marseille demain pour laisser le camion et prendre le ferry, si tu veux je peux t’y déposer.

Sous le choc, je n’avais rien pu dire, seul le mot seule revenait. Je ne m’étais pas préparé, pas si rapidement, je ne comprenais pas. Je réussit juste à faire un haussement d’épaule et on se mit en route. Je n’avais rien dit de tout le trajet, elle non plus. Je regardais la route, elle, l’horizon.

Le lendemain, comme prévu, nous arrivions à Marseille. Je m’étais arrêté sur le premier parking. J’avais récupéré deux trois affaires dans le camion puis j’étais parti à pied sans même lui dire au revoir, sans même me retourner. Elle avait bien tenté de me parler, je l’avais ignoré.

Je me retrouvais donc un an plus tard au même point. Rien n’avait bougé. Sauf mon compte en banque qui s’était définitivement vidé et mon enthousiasme avec. J’étais resté comme ça deux semaines à chialer, à dormir là où je pouvais, à manger ce que je pouvais encore avec les petits sous qu’il me restait. Puis ça fut fini.

N’ayant même plus d’énergie pour quelconque rebond, extenué par cet amour assassiné et cette vie éclatée, je m’étais installé à la sortie d’une boulangerie, dans une rue piétonne, le petit chapeau devant. Je n’avais même pas de haine contre elle, non, non, tout juste m’étais-je résigné.

C’était il y a sept ans. Depuis, je me suis acclimaté, à ma vie, à la ville. J’ai très vite appris à cacher, à ravaler mon orgeuil sur l’indifférence des passsants, à planquer le peu de pognons que je récupérais, le peu de confort que j’avais, à éviter les autrs dans mon style.

J’étais resté comme ça. Le soir, comme ce soir, je pense souvent à Mathilde. Des fois, je me dis que je vais la voir débarquer d’un ferry pour venir me chercher, des fois, c’est moi qui traverse l’eau pour la retrouver.

Ce soir, qu’il fait si froid, c’est la peur qui me prend. Jusque là, j’étais assez conscient de ce que je faisais là, à végeter, à attendre, mais depuis peu, à savoir si c’est la picole, la solitude oue le vent qui ne cesse, je décroche, j’ai des blancs, des absences. C’est de l’angoisse, quoi, je crois. C’est pour ça que ce soir je préferais rester là. Je me suis dit, j’ai besoin de me poszer, ça va passer. Mais je vois bien que ça ne passe pas que je flippe, que je sue dans le froid. C’est la vie, que je me répète, je n’y crois pas. Je cherche Mathilde du regard là-bas, au-delà des digues.

Ce matin, j’ai pris mon billet, demain Mathilde sera là.

Je m’appelle Jacques, j’ai 36 ans, j’essaye

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