Un homme, une femme

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Le ciel s'ouvre sur l'horizon. Je suis là, assis sur la plage, je regarde, j'observe. Au cumulonimbus blanchâtre et massif, s'opposent les premiers rais de lumière du soleil. La nuit déjà a fui . Le pertuis d'Antioche se hisse, se découvre, se laisse apprivoiser par le jour. Je suis là.

 Je m'ouvre la dernière bière. Je suis ivre, fatigué et heureux. Les pieds dans le sable et la tête au ciel. La douce brise du petit jour me caresse les rides naissantes. La côte au loin continue de se dessiner. De l'autre côté de l'eau, sans doute commence à s'immiscer le bruit du jour partout. D'inverse, n'y a-t-il que le murmure régulier des vagues s'enroulant sur le sable et la trajectoire ascensionnelle du soleil pour savoir que le temps s'écoule ici.

 Je ne sais pas depuis combien de temps elle dort. Depuis qu'elle s'est endormie, je l'ai regardé, furtivement; son ombre paisible sous la couette. Maintenant qu'il fait presque jour, je distingue les traits de son visage, calme et serein. Rien ne bouge. J'ai envie de la réveiller, de l'embrasser, de la caresser, de la pénétrer. Je reste là, assis à quelques mètres d'elle, je n'en fais rien.

 Arrivé, ici, à cette heure du petit jour, j'atteins, je frôle la complète quiétude. Les douleurs inscrites au fil de la vie n'en sont pas éteintes, mais mon état de fatigue et d'alcoolisation ont permis l'abstraction. Seuls demeurent les sensations, le présent. Et l'envie d'une nouvelle bière.

 Le corps était tiré, tiraillé, je sentais tous mes membres souffrir de la fatigue, de l'épuisement, m'appeler au repos. Mon esprit, mes pensées, elles, s'étaient recentrés sur l'essentiel, c'est-à-dire le genre d'instinct de survie. Toute mon énergie restante était concentrée dans la perception des signes de vie. Je m'entendais respirer, mon regard était attentif au moindre signe, au moindre changement. Il n'y avait plus d'énergie pour quelconque mélancolie, tristesse, remords ou regrets. Je comprenais tout juste maintenant, le comportement de ces gens qui s'évertuaient à souffrir en faisant du sport. La forme physique est juste un alibi, leur but ultime est d'atteindre un tel degré de fatigue que l'esprit s'endorme un instant. Rien d'autre. Et inlassablement recommencent-ils.

 J'étais un sportif de la nuit blanche et de l'alcool.

 Nous étions partis comme ça dans la soirée. Nous n'avions rien prévu de tel. Les ados étaient partis en vadrouille, nous nous étions avachis sur le canapé devant un film médiocre. D'un bout l'autre, nous nous regardions rapidement comme ça, comme souvent. Nous nous faisions chier un peu pour tout dire. Nous sirotions notre rosé quotidien, nous attendions.

 Je ne sais pas trop comment cela est venu, tout ça. Je suis parti pisser, nous resservir un verre et je me suis rassis. Quelques secondes plus tard, elle me demandait si je ne voulais pas aller voir la mer.

Cela fit echo tout de suite bien entendu. Echo à la jeunesse, à notre insouciance des trois premières années. Là où la folie est de mise. Là où l'amour est clandestin.

 Nous nous barrions souvent, comme ça, à l'époque, sur des coups de tête. Rien ne nous attachait à rien. La liberté de mise. Nous passions alors des nuits à errer ici ou là, dans des clubs, sur des ports, sur des collines, dans des bars, sur des plages. Nous faisions des feux, nous nous y noyions.

 Puis, petit, petit, il y a eu le couple, les marmots, la famille et ça en était presque fini pour les fantaisies voyageuses. C'était plus jeu de sept familles, coffre de toit et gîte en Auvergne. Ce n'était pas moins bien, pas mieux, tout juste différent. Une autre aventure.

 Alors, alors, quand elle proposa ça, je me suis tout de suite enthousiasmé d'un "oh putain oui". Bref, concis et qui sonnait le branle-bas.

 Puisque nous avions un peu vieilli, puisque nous nous étions un peu encroûtés, nous mîmes un peu plus de temps pour mettre les bouts. Le temps de préparer un cabas avec des plaids, des blousons, une couette, des lampes-torche, des petits biscuits, du papier toilette, du journal, un parasol, des maillots de bain et des serviettes pour le lendemain. Bref, nous avions un peu vieilli.

 Sur la route, nous nous étions arrêtés chez les seuls chinois et tabac ouvert dans la ville pour faire le plein de bières et de clopes. Les dernières, c'était exceptionnel, juste pour faire comme avant. Nous avions arrêté de fumer depuis bien longtemps.

 Nous nous étions presque rien dit sur la route qui y menait. Nous écoutions le même CD qu'il y a quinze ans. Nous pensions en avoir vingt-cinq. Elle regardait par la fenêtre, la tête appuyée sur son châle, jetait de temps à autre un oeil vers moi, serrait sa main sur la mienne quand je passais les vitesses. Nous étions jeunes, nous étions là.

 Arrivés sur la plage, une petite heure plus loin, elle nous avait installé un petit nid dans le sable pendant que je finissais de préparer un feu avec le bois récupéré autour.

 Une fois les premières belles flammes venues, je m'étais assis à côté de la plus belle femme. C''est ce que je lui ai dit : " De belles flammes, une belle femme". Elle avait alors posé la tête sur mon épaule. J'ai rajouté derrière "une bière fraîche". M'avait tapé sur le derrière du crâne, m'avait souri et nous avait sorti deux fraiches.

 On en a bu comme ça un certain nombre. Le feu nous captait, nous tenait. Elle me parlait, je l'écoutais. De l'avant, du pendant, de l'après. De nous, des gamins. Il y avait une vie déjà en nous. Me dis-je.

 Nous fonctionnions beaucoup comme ça, je veux dire, moi, à l'écoute, elle, à la parole. Elle m'en voulait parfois. Elle s'en accommodait souvent. Cela était cimme ça sur un certain équilibre.

 Après quelques autres, nous étions tout à fait saouls. Les flammes virevoltantes jouaient avec nos ombres. Elle était venue s'asseoir entre mes jambes, sa tête un peu en arrière appuyée sur mon torse, mes mains sur son ventre.

 "Penses-tu qu'on a réussi notre vie ?" m'avait elle demandé dans un instant de silence.

Je n'en ai aucune idée je lui avais répondu immédiatement. Elle avait alors tourné la tête vers le haut pour coller ses lèvres contre les miennes.

Petit, petit, nous nous étions retrouvés tout à fait nus, peau contre peau. La plage n'était toujours pas l'endroit idéal pour.

 Peu après elle s'était endormie, et je m'étais retrouvé seul avec les braises. Je m'étais décalé pour ne pas la réveiller avec les odeurs de tabac et le pschit des bières.

 Au petit jour, désormais, il y a cette question qui me revient. A-t-on réussi notre vie ?

 Définitivement, je ne sais y répondre. Je trouve d'ailleurs que d'essayer d'y répondre est une oeuvre bien trop périlleuse.Je ne sais qu'une chose, c'est que ce moment, cette nuit avait été réussie.

 N'est-ce pas l'essentiel au fond réussir des moments, des instants. Je me plais à me dire que c'est ce genre de souvenir que j'aurais au moment de.

 Les pêcheurs commencent à s'poser ça et là au loin, au bout de la plage, elle se réveille en douceur, la journée va être belle.

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