4 - Correspondance

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Ma chère Angélique,

Mon ange, ma vie,

Veuillez en premier lieu excuser mon silence, j'ai eu fort à faire ce dernier mois et je n'ai pas su trouver le temps de répondre à vos lettres hebdomadaires. Dieu que vous êtes loin de moi, vous, nos enfants et la France. J'aime quand vous me parlez d'eux.

Je dois vous expliquer par le menu ce qui m'a tant retenu. Je vous ai déjà entretenu de mon ami William Lake, cet aimable citoyen britanique dont j'ai fait la rencontre opportune l'an dernier au Caire lors de la reception organisée pour les voeux de l'ambassadeur d'Angleterre. La Providence a fait que nous soyons voisins de quelques rues à Alexandrie. Il réside comme moi près du port, dans le quartier neuf. Il m'a fort courtoisement conseillé dans mes affaires et m'a permi de redresser mon activité d'import export qui s'essouflait, je dois bien l'avouer. Il est de bonne famille et a d'excellentes manières. Il pourrait plaire à votre soeur si elle n'est plus amourachée de son peintre maudit.

Il y a un mois, quelques jours après mon anniversaire - je porte toujours la cravate en soie que vous m'avez fait parvenir - William m'a offertun collier égyptien ou plutôt un pectoral, dans un coffret de cèdre rouge. Il figurait un scarabée flanqué de deux ailes aux plumes d'or et d'argent, qui remontaient vers la chaine du cou. J'ai aussitôt fait le projet de vous faire porter cette pièce magnifique qui s'accorderait à merveille avec vos bijoux de cet Art Nouveau que vous prisez tant.

C'est en rentrant de chez lui à la nuit tombée que j'ai voulu profiter de la lumière de la Lune et de la douceur du bord de mer en faisant un détour par le port et mon bureau. C'est là que je fis une rencontre qui me laisse encore perplexe aujourd'hui.

Un homme grand, visiblement européen, assez maigre, vêtu d'un uniforme de Zouave de la Garde Impériale, comme celui de mon grand-père paternel dont j'ai l'honneur de porter le prénom, de la chéchia à pompon aux brodequins à guêtre. Je me souviens que nous jouions quand j'étais enfant avec lui des heures durant. C'était vraiment comme dans mes souvenirs. Le Zouave portait un chat gris - je crois, la nuit tous les chats le sont - sous son bras gauche et agitait un filet à papillons un peu dans tous les sens de l'autre. Il m'a semblé qu'il montrait au chat le produit de sa chasse. Llorsqu'il m'avisa, et malgré son air inoffensif avec ses grandes lunettes rondes et son pompon, il marcha droit sur moi et m'invectiva sans vergogne. Voici en substance ce que nous avons échangé :

— Vous faites courir un grand risque à tout le monde en vous promenant seul, vous savez ? C'est le chat qui l'a dit.

— Pouquoi diantre le chat ?

— Les chats savent ces choses-là. Ils les sentent venir et ils partent se cacher. Ils ont toujours fait ça. Il ne faut pas se fier à un chat, c'est leur nature. C'est pour ça que je le tiens. Les chiens restent se au côté des hommes, ils n'ont pas peur de se battre. Ils respectent la vieille alliance, celle que vous avez oublié. Vous n'avez pas remarqué ces trois chiens qui vous suivent. D'autres arrivent. D'autres arriveront.

— Ce sont des traîne-poubelles !

— Les cheins se moquent de vos insulites. Ils ne vous laisseront pas seul ! Les chats, si. Vous avez vu ou entendu un oiseau ce soir ? Les oiseaux n'ont pas encore choisi leur camp, ils se font disctrets. Les insectes et les lézards sont trop occupés par leur guerre pour se préoccuper de l'avenir. Et les poissons me diez-vous ? Non, ne cherchez pas, ils ne viendront pas. L'air est trop sec pour eux.

— Vous m'avez tout l'air d'être profondément dérangé. Vous êtes sorti d'un hopîtal ? De l'Hopîtal Européen peut-être ? Je peux vous y faire racompagner si vous voulez...

— Non. Je viens d'ailleurs et j'y retournerai. Pour l'instant d'ici, vous ne devez pas montrer votre collier à la Lune ronde. Jamais. Jamais ! Il aurait dû rester sous-terre. Il aurait dû rester sous terre !

— Vous divaguez, brave homme.

— Je ne suis pas brave. Je n'ai pas le choix. Je suis obligé d'intervenir parce que votre ami fait des bêtises à creuser partout sans respecter l'ordre des choses et à vous donner des boîtes qui auraient dû... Vous allez accueillir ces chiens chez vous. Pensez à vous faire livrer de quoi les nourir. Soyez aimable avec eux, ils mourront pour vous. Pas cette satané bestiole de chat.

— Je ne comprend pas de quoi vous parlez.

— Ne montrez pas le collier à la Lune ronde, c'est tout. C'est simple, non ?

— Mais qu'est-ce qui se passerai si je le faisait ?

— Vous ne voulez pas le savoir.

— Mais si !

— Je ne suis pas sûr que vous soyez prêt. Tant pis. Si vous montrez votre collier à la Lune ronde, le scarabée la verra.

— Et ?

— Le scarabée la verra et pourrait la confondre avec une boule de bouse. Il s'envolera pour aller la pousser jusqu'à son tunnel, comme une vulgaire boule de bouse. Comme une vulgaire boule de bouse !

Je suis parti à rire, ça m'a fait un bien fou. J'ai laissé là l'énergumène et son chat et je suis rentré en me tenant les côtes. Effectivement ce soir là les chiens m'ont suivi, un grand et deux petits.

J'aurais pu continuer à rire, mais le lendemain matin les chiens étaient encore dans mon jardin. A midi ils étaient cinq, au soir, onze. Personne ne pouvait faire un pas dans la rue sans voir un chien. La semaine passa, les chiens étaient toujours là. Je leur faisait porter à boire et à manger par mes domestiques. Chaque jour de la semaine suivante, au moins un voisin venait sonner chez moi pour se plaindre. Les chiens avaient fait fuir les chats, ou les avaient mangés. Quelques maîtres voulaient repartir avec leur animal, mais ils refusaient. Ni les caresse, ni les coups ne leur faisaient quitter mon jardin. La troisième semaine vit certains de mes si charmants voisin commencer à déménager. La troisième semaine, les employés de la fourrière démissionnèrent, les chiens auraient attaqué leurs fourgons pour libérer leurs prisoniers. Mes domestiques ont fui aussi, j'ai du les nourrir moi-même.

Le pire était à venir encore. La quatrième semaine, la nuit devin gibbeuse. Une nuit, en regardant par ma fenêtre, je vis la silhouette du zouave agiter son filet à papillon en haut d'un minaret.J'aurai juré qu'il tenait encore le chat. La nuit suivante, il était sur le toit de la maison d'en face. La nuit d'après, il était dans mon jardin.

Au soir de la pleine Lune, il frappa à ma porte.

— C'est ici que vous allez faire une bêtise vous aussi.

— Partez ! Emmenez vos chiens !

— Tss-tss, ce ne sont pas mes chiens. Je vous ait dit pourquoi ils sont là. C'est à cause de votre bêtise.

— Je ne comprend rien à cette folie. Rien ! Tenez, prenez le, votre collier !

— Tss...

De rage, sans le laisser plus parler, j'ai jeté le coffret dans le jardin, qui se brisa. Le collier fut projeté. Le scarabée regarda la Lune. J'ai vu le scarabée bouger. Vous allez me croire fou à écrire cela, mais j'ai bien vu le scarabée bouger. Il s'est détaché du collier et s'est envolé. Un grand lévrier sauta et le mordit avant qu'il n'atteigne le ciel. Un bourdonnement sourd s'est elevé du sol. Les chiens sont devenus fous. Ils ont griffé la terre partout où c'était possible, mordu la terre partout ou c'était possible. Des scarabées, des milliers de scarabées sont sortis autour du collier. Les chiens les mordaient dans une cacophonie de grognements, un chaos d'élytres et de mandibules. Certains tombaient, noyés sous la masse noire et informe. Je les entendait geindre.

Le Zouave me regarda avec un air désolé. Le chat sous son bras me regarda avec un air chatastrophé. Ils sautèrent dans la mélée. D'un geste rapide, il captura le scarabé de jade dans son filet à papillon. Il me sembla qu'il le présenta au chat, qui le mordit.

Le calme survint.

Le Zouave ramassa la boite et y remit le collier.

- Je ne peux pas prendre ce qui n'est pas donné. Vous avez fait un choix, pas forcément le meilleur, mais un choix quand même. Les anciennes choses sont oubliées par les gens d'ici, mais elles ne sont pas parties, elles restent. L'ignorance est une clé qui ouvre bien trop de portes sur des dangers sans commune mesure avec ce que vous conaissez. J'aurai du détruire ce collier quand j'étais plus loin d'ici. C'est ma faute, c'est ma très grande...

Il parlait encore en quittant le jardin avec le chat et les chiens.

Le lendemain, dans tous les quartiers, les chats sont revenus. Les voisins aussi ont commencé à réemménager, mes domestiques aussi. Les scarabées étaient partis. Le jardin restait un champ de bataille. J'ai enterré quelques chiens au pied du dattier que vous aviez tant apprecié lors de votre dernière visite, le seul encore debout au demeurant.

Les trois premiers sont restés. Je les ai acceptés.

William a ri de mon histoire et m'a conseillé de l'écrire car j'avais un talent certain d'écrivain.

Je reste le temps de liquider quelques affaires puis je mettrai le commerce en vente, la maison aussi. Je pense rentrer auprès de vous et des enfants avant l'été.

Votre Anatole,

Le 12 janvier 1904.

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