Les glaïeuls de la rue Saint-Georges.

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Rue Saint-Georges, il restait le fleuriste d’ouvert. Je poussai la porte et entrai au son de la clochette. Un petit homme, le cheveux rare et gominé, son triple foyer sur le nez et un ciselas à la main, s’affairait à finir une série de bouquets. Il leva son regard vers moi et je le saluai en inclinant le rebord de mon feutre. Comme je restais près de l’entrée, l’air absorbé par une corbeille de roses, l’homme se repencha sur son travail. Du coin de l’œil, je l’observai prendre les fleurs, les agencer, nouer le raphia sur le tiges et au suivant. Il opérait avec cette vitesse propre à l’habitude, sans geste inutile. D’un pas morne, je remontai la boutique jusqu’à lui, laissant mon attention glisser sur les étagères, les pots, les bacs, les suspensions et autres présentoirs débordant d’un monde végétal aussi coloré qu’odorant. Je ne comptais plus les lys, les cosmos, les pivoines et autres tulipes, plus intrigué par quelques raretés à la beauté baroque. Puis, lassé par l’inventaire de la flore, je cessai mon manège pour faire face au fleuriste. Celui-ci repoussa le bouquet qu’il venait de terminer et me sourit :

“Monsieur, que vous faut-il ?”

Je me penchai vers lui et murmurai sur un ton de conspirateur.

“J’aurais besoin de glaïeuls.”

L’homme déglutit. Derrière l’épais vitrail de ses lunettes, ses yeux de poisson rouge clignaient nerveusement.

“Des glaïeuls ? me demanda-t-il encore. Vous n’en avez pas trouvé ?

– Non, je n’en ai pas trouvé, c’est pour ça que je m’adresse à vous. C’est bien comme ça que ça se passe, non ?

– En effet, pardonnez mon embarras, vous avez bien fait de venir me voir.“

Il s’était vite repris, il m’offrit même un petit sourire qu’il devait d’ordinaire réserver à ses habitués. Mais puisque j’étais dans la combine.

“Donc, vous en avez bien ?

– Des glaïeuls ? Oui, oui, tout à fait. Combien il vous en faut ?

– Mettez m’en un bon bouquet.

– Très bien, c’est pour offrir ?

– Oui, d’ailleurs je suis attendu, vous savez ce que c’est. Vous me l’emballez, bien entendu.

– Bien entendu. Je, je reviens, je vais préparer votre commande.“

L’homme disparut derrière un épais rideau qui menait sans doute vers l’arrière boutique. Un moment je l’écoutai d’une oreille distraite, essayant de l’imaginer retourner toute une jungle en pot. Je finis par tromper l’ennui en me roulant une blonde que je glissai dans mon chapeau. Le fleuriste reparut enfin, avec mes glaïeuls à la main qu’il déposa sur le comptoir.

“Et voilà votre bouquet, monsieur, monsieur ?

– Vous pouvez m’appeler monsieur Claude.

– Très bien, très bien, moi c’est…

– Je sais, mon ami, je sais, le coupai-je, quelque peu pressé. Je vous dois ?

– Oui, bien sûr… Ça fera 200.“

Je sortis deux billets de ma gabardine et lui glissai dans la main. Le petit homme les frotta entre ses doigts, c’était comme un tic, il les remisa dans sa caisse et me sourit.

“Bonne soirée, monsieur Claude. Au plaisir. N’oubliez pas vos glaïeuls, surtout.”

Je hochai la tête et attrapai le bouquet d'une main tout en saluant le boutiquier de l’autre. Je sortis dans un bruit de clochette et retirai la cigarette de mon feutre pour la mener à ma bouche. Je l’allumai et, en respirant profondément la fumée blanche, dirigeai mon pas vers la rue Corbier. De là, je gagnai ensuite l’impasse Courtin et m’arrêtai à hauteur du numéro 11. Je pris le temps de finir ma blonde avant d’en écraser le mégot du bout du pied. Au cinquième, de la lumière brillait aux fenêtres, aux autres étages aussi mais là n’était pas la question. Je redressai mon galure et entrai dans le hall puis dans la cage. Je montai doucement, sans plus me presser maintenant que j’arrivai au but. Au quatrième, je croisai monsieur Charles qui descendait, nous nous saluâmes avec cette politesse d’escalier, un peu guindée. Puis, pris d’un élan, je me retournai alors qu’il disparaissait dans le coude et l’appelai.

“ Monsieur Charles, vous êtes bien marié vous ?

– Hé bien oui, monsieur Claude, me répondit-il en remontant vers moi. En effet, j’ai cette chance.”

Je lui tendis mon bouquet, tiges en avant, de cette manière un peu insistante qu’il ne pourrait refuser de s’en saisir.

“Très bien, vous donnerez ça à votre charmante épouse, alors. De votre part, bien entendu.

– Qu’est ce que ? hésita-t-il, admirant néanmoins les larges fleurs.

– Des glaïeuls, monsieur Charles, des glaïeuls. Bonne soirée, monsieur Charles.”

Je le saluai d’un doigt sur le bord de mon feutre et sans attendre sa réponse, repris l'ascension des marches.

Au cinquième, je sonnai et Ghislaine vint rapidement m’ouvrir. Elle me fit une fête de labrador, à me sauter au cou et à traîner dans mes guêtres. Je la bécotai distraitement tout en abandonnant veste et chapeau aux bras d’un porte-manteau aussi moche qu’hors de prix. Ma brune pendue au mien, j’allais poser ce que vous savez sur son canapé et mes souliers sur le repose pied. Lassée sans doute de son petit-jeu à trois sous, et entre deux allers retours dans la cuisine, elle finit par me fixer de son œil assombri d'une pointe de déception.

“Eh bien, Claude ? Tu ne m’as rien ramené aujourd’hui ?”

Je lui fis un regard plus canaille que penaud et tapotai du plat de la main le cuir près de moi.

– Désolé, ma belle, je voulais te prendre des glaïeuls en venant.

Elle fit la moue, boudeuse, mais comme j’insistais, elle vint s’asseoir près de moi, une jambe sur l’autre. Je l’embrassai comme un ouvrier, elle aimait ça, la bourgeoise. Je crus un moment arriver à la distraire mais...

– Eh bien, et alors ?

– Et alors quoi ?

– Hé bien, mes glaïeuls ?

– Oh, les glaïeuls ? Le fleuriste n’en avait plus.

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