Le prêcheur d'Arrow Creek

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Arrow Creek ! Un foutu patelin de misère, l’bon Dieu m’en soit témoin. De la boue et du bois. Un peu de cuivre dans les montagnes mais pas assez pour en faire une mine, puis de la réserve d’emplumés un peu partout. Non, apparemment, par ici, le lard se faisait sur le dos des castors. Les bestiaux pullulaient, et à 40cts la peau au comptoir de Greystone falls, fallait être con. Mon arrivée avait fait sensation, si l’on peut dire. D’vaient pas voir souvent de nouveaux visages, dans l’coin. J’avais remis la tournée officielle et toutes les cérémonies pour plus tard, le temps de découvrir mon nouveau palace. J’avais connu pire, mais pas souvent. En même temps si je voulais patauger dans le luxe, je ne serais pas v’nu jusqu’ici. Je jetai ma selle dans un coin et me laissai tomber sur la paillasse dans un nuage de poussière. Un ricanement m’échappa d’imaginer ce que diraient Red Mary et ses filles en m’voyant. Puis un timide tapement me tira de ses pensées. Je me redressai, sur le qui vive. Les bouseux étaient bien pressés de me rencontrer, ça. Je rengainai mon revolver et allai ouvrir. Un petit homme, lunettes et veston noir, le genre comptable ou croque-mort plus que trappeur, me salua. C’était Peter, l’épicier, venu me souhaiter la bienvenue. Brave gars. Je me présentai sous un faux nom, Wallace, père Wallace, et fis entrer mon premier paroissien dans ma modeste bicoque.

Peter était un pied-tendre, le modèle typique du colon croyant et bas de front, intimidé autant par mon colt que par mon missel. D’une main rassurante accompagnée d’un verset ou deux, je le mettais à l’aise, allait falloir que je sois en odeur de sainteté. Puis, après un pieux bobard sur les routes qui ne sont pas sûres et le besoin pour un homme d’église de se défendre en ces terres impies qu’il restait encore à évangéliser, je me mis à le cuisiner. Le Peter, qui était encore plus baveur que bigot - et désireux sans doute de mériter le paradis, se fit un plaisir de me dresser un portrait détaillé de la petite communauté. Il racla jusqu’au moindre ragot et Dieu sait s’il n’en inventa pas de son cru. J’allais avoir la responsabilité d’une soixantaine d’âmes, sans compter quelques blackfoots et une famille de juifs, pour lesquels mon nouveau disciple ne cacha point son mépris. Je sentais vibrer en lui cette haine farouche et inculte qu’en bon prêcheur, je calmai d’une remarque pacifiste, comme quoi not’ bon seigneur aussi était juif dans sa jeunesse. Le reste du troupeau n’échappa pas à son venin, les veuves étaient de vieilles avares et les épouses des perverses adultères, quant aux hommes, un ramassis de brutes et de fornicateurs, à l’entendre, avaient bien b'soin qu’on leur rappelle les saines vertus de l’ascèse. Pour faire bref, le bon Peter se félicitait de ma présence en ces lieux de perdition, nouvelle Sodome et Gomorrhe de l’ouest. Je me gardai bien d’le démentir sur mes pieuses intentions et l’invitai plutôt, comme le soir tombait, à me suivre à la taverne du coin pour m’y présenter mes ouailles.

Les lieux méritaient à peine le nom de taverne et certainement pas celui de Saloon. Pas de musique ni de danse, quelques dominos et jeux de cartes et une gnôle qui devait être brassée dans l’arrière cuisine, d’après l’odeur qui saoulait l’air. Mes nouvelles brebis étaient aussi mal rasées que je l’avais imaginé et puaient la sueur et la graisse de castor, charmant. Je saluai l’assemblée qui me regardait comme un cheveu sur une soupe et commandai deux verres du tord-boyau local. Peter en lâcha un petit hoquet désapprobateur et je dus user d’arguments incluant not’ bon seigneur Jésus, de l’eau et du vin pour l’convaincre de trinquer avec moi. Entre deux quintes de toux, le petit épicier me pointa du doigt les habitués de l’endroit, me régalant de ses rumeurs vénéneuses. L’un d’eux, un gros trappeur répondant au doux nom de Judd finit par se lever et s’approcher. Ignorant mon suppôt, il me toisa et avec un accent à couper à la hache, me conseilla de mieux choisir mes fréquentations. J’eus un petit sourire, apparement mon nouvel ami à la langue de pute n’était pas des plus apprécié dans le coin. Bien décidé à amener un peu de fraternité chrétienne dans ce bouge, je dégainai ma bible et mon remington et offrai à Peter de le gifler pour l’exemple. Plus habitué à cracher dans l’dos des gens, le petit épicier se fit mal à la main sur le menton du costaud mais l’affront était consommé. Le gros Judd serrait les poings et les dents, les yeux haineux, mais à force d’agiter mon missel sous son nez - et mon canon sous son nombril, je lui appris à tendre l’autre joue et la joie profonde de pardonner à ceux qui nous ont offensés. Il nous offrit même une nouvelle tournée sans trop s'faire prier et j’avalai mon deuxième verre de poison en m'demandant si je n'allais pas devenir aveugle.

Après avoir rendu mon disciple plus ou moins conscient à sa femme, une jolie blonde au sourire triste - sans doute mal baisée, je retournai à mon taudis. Le grabas poussiéreux ferait l’affaire pour cette nuit, nul doute que le lendemain, le bon Peter m’offrirait l’hospitalité sous son toit. Puis après plusieurs semaines à dormir sur la pierre avec ma selle comme oreiller et les trois verres de gnôle aidant, ça valait bien les satins du Red Mary. Je caressai la crosse de mon arme en me demandant combien de temps j’allais devoir passer dans ce trou. Ces crétins de la Pinkerton avaient le nez fin et c’est pour ça qu’ils ne viendraient jamais me chercher par ici. Ils finiraient par s'lasser et m’oublier. Une année m’paraissait une durée raisonnable. À peine le temps de faire entrer un peu d'plomb dans le crâne des bouseux. Les vacances à la campagne s’annonçaient mouvementées. J’avais déjà en tête quelques projets pour cette famille juive et pour quelques unes de ces brebis galeuses dont j’avais pris la garde. Sans oublier la jolie blonde de l’ami Peter. Ouaip, Arrow Creek allait connaître une année agitée.

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