Chapitre 28

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Le lendemain matin, lorsque Catherine s'engage dans la cour, Pierre et Mathieu partagent un copieux casse-croûte.

— Nous t'attendions. As-tu déjeuné ?

— Oui, Mathieu, merci. J'ai appelé le loueur de voitures, il nous attend pour changer de véhicule.

— On a préparé des sandwichs, des fruits et de l'eau pour le voyage.

— Bien les garçons, vous pensez à tout !

— Nous n'allons pas nous laisser mourir de faim et encore moins avaler les cochonneries qu'ils vendent à prix d'or sur les aires d'autoroutes.

— Ne t'inquiète pas Mathieu, nous ne mangerons que des bonnes choses, promet Catherine en riant.

— Alors, en route pour l'aventure ! déclare le paysan, rassuré.

Pendant une bonne partie du trajet, les deux Parisiens ne tarissent pas de propositions pour faire découvrir les joies de la capitale à Mathieu. Ils ont envie de l'emmener dans les plus beaux endroits, et Pierre connaît des petits cabarets qui méritent le détour. Le programme va être chargé.

— Ce soir, nous dormirons chez moi.

— Mais Catherine ! Et Gabriel ? Je n'ai pas envie de le croiser, prévient Pierre.

— Ne t'en fais pas, il n'y a aucun risque.

— Ah bon. Tu es sûre ?

Mathieu résume en quelques phrases les derniers événements.

— Ah ben merde alors, celle-là, c'est la meilleure ! Pourquoi vous n'en avez pas parlé ?

— J'en ai assez d'embêter tout le monde avec mes histoires, se justifie-t-elle. Mathéo est heureux, il a d'autres choses à penser. Je vais régler ça moi-même.

À leur arrivée, Catherine retrouve toutes les affaires là où elle les avait laissées. Plus des vêtements sales de Gabriel qui jonchent le sol de la salle de bain. Elle les ramasse machinalement pour les mettre à laver. Pierre et Mathieu sont un peu impressionnés par le standing.

— Détendez-vous les amis ! On va aller acheter une bricole chez le traiteur en bas de la rue et dîner sur la terrasse, dit-elle.

— Viens voir Mathieu, le presse Pierre. La vue sur les quais de Seine, avec toutes ces péniches, c'est magnifique. Et ce soir, quand elles seront illuminées, ce sera féerique. Allez, je me charge des courses si vous voulez.

— D'accord. Un petit thé au citron Mathieu, en attendant ?

— J'ai dans ma valise une bonne bouteille de rouge, buvons plutôt un petit canon.

— Va pour un canon de rouge ! Pierre, lorsque tu auras Louise au téléphone afin de la prévenir que nous sommes bien arrivés, est-ce que tu pourrais oublier de lui parler de Gabriel ?

— Tu veux que je lui fasse des cachotteries ?

— Non, mais là c'est un peu spécial... Laisse-moi nos quelques jours ici, de délai, tu veux bien ?

— Pas de problème, tu annonceras ce scoop toi-même. Et puis, Mathieu a bien gardé le secret, alors pourquoi pas moi ?

La porte de l'appartement claque derrière lui. Catherine rejoint Mathieu sur la terrasse avec trois verres en cristal et un tire-bouchon si sophistiqué que Mathieu serait mort de soif avant de comprendre son fonctionnement. Il dégaine son couteau et le petit bruit de succion, du bouchon qui se dégage du goulot, les fait sourire tous les deux.

— Je n'ai pas eu l'occasion de te dire à quel point je suis contente que tu sois venu. J'ai l'intention de rendre visite à Gabriel, demain matin. Mais après, nous passerons tout le week-end ensemble. Je te ferai visiter Paris et je m'en fais une vraie joie !

— J'étais un peu sceptique, la grande ville, je craignais de ne pas trop apprécier... mais là déjà, j'avoue que c'est tellement beau.

— Et Pierre a raison, quand la nuit sera tombée, ce sera encore mieux.

— Je ne me rendais pas compte en t'installant dans la petite maison de la différence avec ce que tu avais ici...

— Oh, mais je l'adore ma maison au milieu des pins. Là-bas c'est le bonheur. Ici, c'est peut-être très beau, très luxueux, mais je me rends compte que c'est la première fois, ce soir, que je m'y sens heureuse. Tu sais, quoi qu'il arrive, il n'est pas question de vous laisser repartir sans moi à la fin du week-end.

— Vraiment ? J'avoue que je me suis posé la question.

— Je ne me sacrifierai pas pour m'occuper de Gabriel. Tu avais raison, au camp j'ai eu toutes les réponses dont j'avais besoin.

La sonnerie de l'interphone retentit, Pierre grimace devant la caméra de l'entrée, Catherine lui ouvre.

— J'ai pris de la super bouffe, le vendeur m'a assuré que tout était fait maison avec des produits frais d'une qualité rare !

— Eh bien, sers-toi un verre et déballe tes emplettes. Je ne sais pas vous, mais moi j'ai une faim de loup, s'impatiente Mathieu.

Ils restent là, tous les trois, à attendre le crépuscule afin de profiter du spectacle. Toutes ces illuminations voguant lentement sur les eaux noires de la Seine sont un enchantement. Mathieu est sous le charme. Catherine, tombant de sommeil, les abandonne à leur contemplation.

— Regarde Mathieu, ça guinche sur cette péniche.

— C'est très beau... J'espère que les gars ont bien fermé les poules...

— Tu es indécrottable ! s'esclaffe Pierre.

— Oh, ça va Pierrot la lune ! Depuis que je les ai mes poules, jamais je ne les ai quittées, normal que je pense à elles. Allez, je vais me coucher. Dors bien, gamin.

— Bonne nuit, Mathieu.

Le lendemain matin, Catherine se rend de bonne heure à l'hôpital.

— Bonjour, j'ai rendez-vous avec le docteur Bonaud, madame Bertrand.

— Il va arriver. Vous pouvez l'attendre ici, asseyez-vous.

À l'autre extrémité du couloir, un homme trapu, souriant, en blouse blanche, se dirige droit sur elle. Il lui tend une main ferme qu'elle apprécie de serrer.

— Entrez dans mon bureau, madame Bertrand, installez-vous. L'état de votre mari est inquiétant, il ne parle pas.

— Est-ce que je peux le voir ?

— Cela dépend. Sans vouloir m'immiscer dans votre vie privée, je doute qu'évoquer les modalités de votre divorce soit très indiqué aujourd'hui.

— Je ne suis pas venue pour enfoncer le clou, Docteur. Rassurez-vous. Au contraire, j'ai une proposition à lui soumettre qui pourrait l'aider à se remettre sur pied.

— Je m'excuse d'insister, mais je ne peux pas vous laisser lui infliger un nouveau choc émotionnel. Il est très fragilisé.

— Et si vous étiez présent pendant notre entretien ? Au moindre signe de votre part, je m'engage à sortir de la chambre, vous avez ma parole.

— Bon... De toute façon, vous êtes sa seule famille, c'est bien cela ?

— Oui. Nous avons un fils qui se remet juste de quinze années de consommation de drogues et une fille de dix-sept ans, au cimetière, overdose. Donc, effectivement Docteur, pour les options, c'est très limité... Notre vie avec mon mari n'a pas souvent été rose. Je repars lundi ou mardi dans le Sud Ouest, où je viens de m'installer. Je suis prête à faire un dernier geste envers Gabriel. Je pense que nous pouvons tous changer, si nous le voulons, avec l'aide d'un entourage bienveillant.

— Eh bien, cela a le mérite d'être clair, et si vous êtes là, en amie, je n'ai pas le droit de priver votre mari d'une main qui se tend.

— Je crains qu'il n'y en ait pas d'autre.

— Allons-y, consent le médecin.

Elle le suit le long du couloir. Il frappe, lui signifie de patienter et entre sans refermer la porte dans la chambre cent onze.

— Monsieur Bertrand, vous avez de la visite, votre femme est avec moi.

Gabriel se redresse péniblement. Il remonte les draps sur son torse et garde les poings serrés sur sa poitrine. Sa vue se brouille sur l'image de Catherine qui s'avance. Il plaque subitement ses deux mains sur son visage et sanglote comme un enfant. Elle ne l'avait encore jamais vu pleurer. Elle se ressaisit et se lance :

— Bonjour Gabriel. Je suis venue te faire une proposition, tu auras jusqu'à lundi pour prendre une décision.

Gabriel secoue la tête de gauche à droite, le visage toujours enfoui dans ses mains.

— J'ai loué une maison, non loin de là où vit Mathéo. Les gens qu'il a eu la chance de rencontrer sont exceptionnels. Ils sont convaincus que nous sommes tous capables d'évoluer, de nous améliorer. C'est la raison qui m'amène ici. Si tu es d'accord, lundi ou mardi, quand je repars, je t'emmène chez moi. J'ai une chambre d'amis à te proposer, dans l'espoir que tu redeviennes un être humain, au sens noble du terme.

Les mains de Gabriel glissent sur son visage et ses yeux, bouffis par tant de larmes, apparaissent. Son regard cherche celui de Catherine qui ne lui sourit pas.

— On dirait que la vraie vie t'a rattrapé Gaby. Tu avais des larmes en retard, poursuit-elle. Je ne m'en réjouis pas. Si je suis là, c'est en souvenir de nos jeunes années, ne te méprends pas sur ma proposition. Ce n'est pas un retour en arrière, mais bien un autre avenir que je te propose. Je te laisse réfléchir à tout cela... Sache que ta décision ne concerne que toi. Au revoir, Gaby.

Catherine sort de la chambre sans se retourner. Le psychiatre la suit du regard dans le couloir puis retourne auprès de son malade qui, les mains toujours paquées sur sa bouche a cessé de pleurer.

— Est-ce que ça va aller, monsieur Bertrand ?

Il acquiesce d'un imperceptible signe de tête.

— Je vous laisse réfléchir. Sonnez si vous avez besoin.

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