Chapitre 22

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À la ressourcerie tout le monde s'active afin d'aménager la maison de Catherine. Elle est allée acheter deux literies neuves, mais pour le reste les garçons effectuent un premier voyage de meubles. Les filles, de leur côté, préparent des cartons de vaisselle et d'ustensiles.

— N'oublie pas les vases, Louise.

— Oui Chloé, tu as raison de me surveiller, je ne suis pas trop à ce que je fais aujourd'hui...

— Comme c'est étrange.

— J'ai bien le droit d'être perchée sur mon nuage ? implore l'amoureuse transie.

— Oui ma Louisette. Et sur ton nuage, il n'y aurait pas des petits cochons roses légers comme l'air ?

— Si on m'avait dit que des cochons me feraient fantasmer, j'y aurais pas cru, rigole Louise. Mais bon, si l'élevage des cochons ne se concrétise pas, tant pis, moi c'est l'homme qui m'intéresse !

— Ça se comprend, il est intéressant ton play-boy, avec son sourire de star de cinéma, irrésistible.

— Il est parfait !

— Personne n'est parfait. Il doit bien avoir quelques vices cachés.

— Chloé, tu m'emmerdes ! Ne gâche pas mon plaisir.

— D'accord : il n'y a qu'un seul être parfait, l'exception qui confirme la règle, et c'est de toi, la femme parfaitement imparfaite, qu'il est tombé amoureux.

— Ben voilà, quand tu veux ! Tiens, ce truc-là, je le mets pour la brocante ? En attendant que Catherine fasse ses emplettes, si on s'occupait des caisses de fringues pour demain ?

Après trois voyages en camion la chaumière de Catherine est fonctionnelle. Les gars ont tout installé, tout branché et la machine à laver tourne. Les filles déballent les cartons et trouvent une place pour chaque chose dans les placards. La mère de Mathéo propose d'ouvrir une bouteille, mais tous déclinent l'offre, préférant rentrer au camp pour se coucher de bonne heure. Seul Mathieu accepte de lui tenir, encore un peu, compagnie. Il voit bien qu'elle est à la fois enchantée mais aussi étourdie par la vitesse à laquelle les choses se déroulent.

— J'apprécie que tu restes Mathieu, nous allons grignoter quelque chose.

— Je m'en occupe. J'ai apporté des œufs de mes poules et je crois avoir repéré un pied d'oseille dans ton jardin.

— Tu es incroyable ! Tout cela est incroyable. Je suis chez moi...

— Oui, tu es chez toi. Tu as retrouvé ton fils, il est heureux et toi aussi tu vas l'être.

— Je me demande ce que fabrique Gabriel. Je ne sais pas pourquoi je pense à lui. Nous ne pouvons sans doute pas oublier d'un claquement de doigts quelqu'un que l'on a toujours eu à ses côtés...

— À tes côtés, vraiment ? Ma femme était à mes côtés et moi aussi j'étais à ses côtés. Nous nous occupions mutuellement l'un de l'autre. Ton mari lui était seulement à côté de toi, ce n'est pas tout à fait la même chose.

— Comment as-tu pu continuer de vivre après le décès de Mathilde ?

— Cela n'a pas été facile... Mais, les jeunes sont arrivés et ils m'ont donné un nouvel élan. Je leur dois bien plus qu'ils ne le pensent.

— Je comprends, je l'expérimente à mon tour. Regarde autour de nous ce qu'ils ont été capables de faire.

— Ce qui compte ce n'est pas ce que nous faisons, mais comment nous le faisons. Eux, ils font tout avec leur cœur, c'est cela qui nous réchauffe et nous éclaire. Les nouvelles générations sont pleines de ressources. Je me surprends à croire, grâce à eux, qu'un monde meilleur est possible.

— Tu es bien philosophe.

— Ce sont eux qui me rendent intelligent. Moi, toute ma vie j'ai travaillé la terre sans même réfléchir à ce que je faisais.

— Merci d'être resté avec moi ce soir.

— Je suis content d'être là. Nous allons partager cette petite omelette, boire une tisane et je testerai la literie de Mathéo. Je doute qu'il l'utilise souvent.

— Je sais, je n'y compte pas. Je vois bien qu'il est amoureux de Chloé. J'espère simplement que cette chambre lui permettra de présenter son projet pour la ressourcerie.

— Je ne me fais pas de souci là-dessus, c'est bien engagé. Moi, je voterai « pour » glisse-t-il avec un regard complice.

Après une première nuit paisible, Catherine dépose Mathieu chez lui puis file au camp récupérer son fils.

— Alors maman, bien dormi ? s'enquiert Mathéo en l'embrassant.

— Très bien, mon chéri !

— Je déjeune et après je suis tout à toi.

— Super, tu m'aideras à ranger et à préparer la fête de ce soir. Bois ton café tranquillement, après on ira au marché.

— Nous aussi on est invités ? s'inquiète Juju.

— Quelle question, les enfants, bien sûr ! Mathieu viendra vous chercher en calèche dans l'après-midi.

— Génial ! s'exclame Angèle.

— Je crois même savoir qu'il y a un étang où l'on peut se baigner sur le trajet, glisse Catherine.

— J'adore partir avec Mathieu et les chevaux, ajoute le petit garçon soulagé.

— En attendant les gamins, aujourd'hui on donne un coup de main à Manu, pour le repas de midi, annonce Carine. Il y a une montagne de haricots à écosser. On s'y colle tout de suite. Et on garde les fils, Chloé les met à sécher pour ses tisanes...

— Des fils de haricots dans les tisanes ? s'étonne Catherine.

— Je n'en sais pas plus, précise Carine, elle a juste dit : surtout vous ne jetez pas les fils.

— Mathéo, tu es prêt ? Je ne veux pas arriver trop tard.

— Tu as raison, si nous voulons avoir du choix, faut y aller maintenant. Salut la compagnie, à ce soir.

Louise a les yeux rivés sur son portable. Pierre doit venir les rejoindre à la brocante pour passer l'après-midi avec elle. Il est midi et les deux amies tirent leur repas du sac. Ce matin, elles ont bien vendu. L'après-midi sera plus calme mais elles sont satisfaites. L'objectif est surtout de présenter la ressourcerie et le message passe bien. Après chaque brocante, la fréquentation des clients augmente.

— Monsieur Parfait n'appelle pas ?

— Chloé ! Ne l'appelle pas comme ça ! rouspète Louise.

— Alors, arrête de scruter ton portable toutes les deux minutes, tu m'agaces.

— Pardon, je suis juste impatiente de le revoir.

— L'impatience, quel fléau ! Si tu te contentais d'être là, avec une bonne copine, une excellente salade et ce beau soleil.

— C'est vrai que nous sommes bien, reconnaît Louise. Je vais étaler une couverture et attaquer ma sieste.

— J'ai un livre et une barquette de délicieuses framboises pour me tenir compagnie. De toute manière, nous ne verrons plus grand monde avant quinze heures.

Quand Pierre se présente devant le stand, Chloé est seule.

— Salut, tu as vendu Louise ?

— Salut. Non, elle dort.

Pierre tourne la tête dans la direction que Chloé lui indique et aperçoit deux jambes qui dépassent de derrière la camionnette.

— La sieste c'est un rituel pour Louise. Mais tu peux la réveiller, à toi elle ne te fera pas la tête.

— Laissons-la dormir. Je peux m'asseoir avec toi en attendant ? Qu'est-ce que tu lis ? "La vie matérielle" de Marguerite Duras, déchiffre-t-il sur la tranche du recueil de nouvelles.

— C'est un peu étrange, mais j'aime bien, dit-elle.

— "La parole chanceuse" tu l'as lu ?

— Non, je viens de le commencer...

— "Les chanteurs, les acteurs doivent vivre la même partie avec le public. Les gens qui payent pour vous entendre chanter ou parler sont des ennemis qu'il vous faudra "avoir" pour vous pouvoir vivre..."

— Tu connais ce livre par cœur ? s'étonne Chloé.

— Non, seulement ce passage, répond Pierre, vaguement gêné.

— Je suis impressionnée ! Je m'efforce de ne pas juger, mais malgré moi, je m'aperçois que je t'avais rangé dans le rôle un peu limité d'éleveur de porcs, sportif. Voilà que je découvre un authentique lettré ! Je te présente mes plus plates excuses.

— Il n'y a pas de mal, je n'en prends pas ombrage.

Louise émerge de son somme, passe ses bras autour du cou de Pierre et le sauve d'une situation périlleuse concernant sa couverture d'agent secret.

— Tu es là ! Il fallait me réveiller, murmure-t-elle à son oreille.

— Comment ça va, trésor ?

— Bien. Tu es arrivé depuis longtemps ?

— Non, dix minutes à peine. Chloé, cela ne te dérange pas si nous t'abandonnons le temps de boire un coup à la buvette ? tente Pierre, souhaitant se dérober.

— Bien sûr que non, allez-y.

Chloé regarde Louise et Pierre s'éloigner, bras dessus, bras dessous. Ils forment un très beau couple. Elle espère sincèrement que son amie ne va pas une nouvelle fois avoir le cœur brisé. Ses réflexions sont interrompues par un homme au visage grave.

— Bonjour, je cherche des stylos publicitaires, vous en avez ?

— Non, désolée.

Sans aucun autre mot, il poursuit sa chasse sur le stand voisin. Les collectionneurs constituent un mystère pour Chloé. Cette passion pour l'accumulation d'objets la dépasse. Peut-être est-ce juste une manière de maintenir l'impression enfantine de détenir un trésor ? Une dame, à l'allure très coquette, la tire de sa réflexion.

— Excusez-moi, ils sont à combien vos livres ? demande-t-elle.

— Bonjour, deux euros, madame.

— Oh, ce n'est pas cher et vous avez du choix...

— C'est parce que je suis bénévole dans une ressourcerie. Ces livres, les gens nous les donnent, c'est pour cela que nous les revendons à petit prix. Tout le monde est content et nous contribuons à diminuer la quantité des déchets.

— C'est très bien. Elle est où votre... comment dites-vous ?

— Ressourcerie, madame, tenez, prenez une carte.

— Merci, je viendrai vous voir. C'est très intéressant pour les grandes lectrices telle que moi. Et puis j'ai des livres dont je ne sais trop quoi faire, je vous les apporterai.

— Si vous voulez. D'autant que nous pratiquons aussi l'échange. Vous amenez un livre, vous repartez avec un autre, si vous en trouvez un qui vous intéresse.

— Vraiment, c'est surprenant... Vous êtes une association ?

— Non, une Société Coopérative d'Intérêt Collectif.

— Je ne connais pas. Je passerai vous voir. Je vous prends ces cinq-là.

Jusqu'à la fin de la journée, les filles vendent encore des bricoles et distribuent pas mal de cartes. Pierre s'intéresse à la démarche et les questionne :

— C'est surtout dans un but pédagogique qu'on vient, explique Chloé. Notre ressourcerie a pour objectif de sensibiliser la population aux problèmes de pollution liée aux déchets. Vendre sur les brocantes est écologique, c'est du recyclage.

La présence de Pierre bouscule les habitudes des deux amies mais il est plein d'humour et d'entrain. Lorsque ses gros muscles s'activent pour ranger les invendus dans la camionnette et qu'en un rien de temps tout est déchargé à la ressourcerie, il est adopté. Pierre regarde autour de lui.

— C'est génial ici ! dit-il en tournant sur lui-même.

— C'est la caverne d'Ali Baba, mais c'est du boulot, précise Louise.

— C'est quoi ce truc ? demande le géant en montrant du doigt un coin du hangar.

— Un vieux fauteuil club à refaire entièrement, répond Chloé.

— Non, là-bas, derrière ? insiste-t-il en se dirigeant vers ce qui l’interpelle.

— Ah, le portant de vieux costumes ? On nous les a déposés la semaine dernière, dit Louise en lui emboîtant le pas.

— Il y a même des perruques ! s'extasie-t-il.

— À la Louis XIV, oui, répond Chloé amusée. Nous n'avons pas encore trié. C'est un grenier qui livre ses secrets. Je crois qu'Idriss et Lili doivent retourner débarrasser d'autres trucs chez ces gens.

— Ce sont des costumes de scène, dit Pierre, en enfilant une perruque.

Il exécute plusieurs révérences devant les filles qui l'applaudissent.

— Bon, on y va les amis, l'interrompt Chloé. J'aimerais bien passer au camp prendre une douche avant d'aller chez Catherine.

— Oui, moi aussi. Allez Tartuffe, on bouge, lance Louise à son prince.

— Non, mais vraiment, c'est exceptionnel tous ces costumes ! marmonne Pierre.

— Des pièces de musée, balance Louise.

— Non, pas du tout, ils sont assez récents, répond automatiquement son amoureux.

— Tu t'y connais en costumes de scène, toi ? s'étonne sa belle.

— Non, ils n'ont pas l'air vieux c'est tout... bafouille-t-il.

— Nous n'aurons pas de mal à nous débarrasser de ces super déguisements. Tu as l'air tellement emballé, si quelque chose te fait envie, n'hésite pas, sers-toi, lui propose Chloé.

— Vraiment ?

— Oui, Pierre, fais-toi plaisir.

— Si je mets cette perruque blanche frisée à longues boucles avec la queue de cheval, ce chapeau à plumes et cette veste à galon... Non, trop petite, mince. Alors ce pantalon bouffant et cette cape... Vous en pensez quoi ?

— Très classe ! Tiens, avec cette canne à pommeau, te voilà roi ! rajoute Chloé.

— Si mon seigneur veut bien se donner la peine, son carrosse est avancé ! annonce Louise. Chloé, tu crois que Pierre peut venir avec nous, chez Catherine ?

— Oh ben, je pense qu'elle sera même flattée de voir arriver sa majesté pour l'inauguration de son petit Trianon.

— Qui est Catherine ? questionne Pierre.

— La mère de Mathéo. Elle a emménagé hier dans une petite maison et ce soir nous sommes tous invités à pendre sa crémaillère, explique Louise

— Super, je vous suis avec ma voiture alors.

— Je monte avec lui Chloé, à tout à l'heure.

Louise s'amuse comme une folle avec Pierre. Ses plaisanteries sont fines et élégantes. Il rentre complètement dans la peau de son personnage, c'est un délice. En arrivant, elle file sous la douche. Pierre en profite pour envoyer un message à Gabriel : "Je vais chez votre femme ce soir. Elle pend sa crémaillère. Je vous appelle demain dès que possible. » Puis il met son portable en mode silencieux.

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