Chapitre 23

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La soirée est sympathique. Tout le monde s'amuse de ce d'Artagnan exotique qui grille d'énormes entrecôtes en récitant quelques passages des trois mousquetaires. Catherine est aux anges, Pierre l'appelle madame la Marquise. Alexandre Dumas s'est invité à la fête, les gamins sont hystériques. Mathéo embrasse sa mère. Il ne se souvient pas de l'avoir déjà vue aussi gaie. Avant de partir, ils veulent l'aider à ranger mais elle le leur interdit. Elle souhaite tout laisser en plan, pour demain prolonger encore son plaisir. Mathieu lui propose de rester mais elle refuse. Elle est prête, cette fois, à passer sa première nuit seule chez elle. Il part donc avec les mômes, pas question pour eux de rentrer en voiture, ils vivent dans un autre espace temps et ils adorent cela. Ils veulent en profiter jusqu'au bout. Mathéo, Chloé, Louise et Pierre restent une heure de plus, histoire de laisser à Mathieu le temps d'arriver. Ils seront la voiture-balai qui clôturera cette petite balade nocturne et ils s'assureront qu'il n'a pas eu de problème au retour.

— Merci Catherine, super fête ! s'écrie Louise repue.

— C'est moi qui vous remercie, sans vous rien de tout cela ne serait arrivé.

— Vous vous sentez bien ? s'inquiète Chloé. C'est pas trop difficile ?

— Tout va bien, ne vous en faites pas pour moi. J'ai rendez-vous après-demain chez l'avocate et j'ai bien l'intention de lui laisser prendre en main tout le divorce. Moi, ma vie maintenant, elle est là.

— Je t'accompagnerai maman, si tu veux ?

— C'est très gentil Mathéo, mais ce ne sera pas nécessaire.

— Vous divorcez ?

— Oui, Pierre.

— Ah.

— Tu as l'air surpris ? s'étonne Louise.

— Euh non, c'est que la fête, la joie... bafouille-t-il.

— Quand on divorce d'un connard, il faut fêter ça ! insiste Louise. Quoi, vous voudriez peut-être que je le respecte ? Vous rigolez !

— Tu n'as pas tort. Mais peut-être va-t-il réfléchir et changer. Il n'a pas toujours été comme ça, vous savez, répond Catherine un brin de nostalgie dans la voix.

— Tout est possible. La preuve, nous sommes bien là, nous tous, à vivre tous les jours des trucs improbables. Après tout, il est fabriqué du même moule que nous, c'est un être humain. Le cœur peut toujours reprendre le gouvernail d'une vie.

— C'est toi qui dis ça, Chloé ! s'offusque Louise.

— Oui. Il faut aimer son ennemi, c'est la meilleure des choses à faire et ce n'est pas moi qui le dis...

— C'était un gars nommé Jésus, il y a vingt siècles ! l'interrompt Pierre.

— Tout à fait ! Bonne culture littéraire et théologique, le félicite Chloé.

— C'est un message d'amour que celui de Jésus, poursuit Pierre qui se sent de moins en moins à l'aise dans son rôle de composition.

— Oui ? Eh bien, nous débattrons de foi une autre fois ! Allez, sur ces bonnes paroles, levons le camp, Catherine dort debout, décrète Louise.

— Bonne nuit les enfants. Rentrez bien...

Les quatre apôtres roulent tranquillement jusqu'au camp sans trouver la moindre trace d'un problème sur la route. Mathieu le cocher et son équipage sont donc arrivés à bon port. Les deux couples se séparent en échangeant quelques galéjades grivoises.

Une fois seule avec Louise, Pierre l'interroge sur Catherine et Mathéo. Elle lui explique, avec son franc-parler plein d'éloquence, la situation. Les deux journées qui viennent de s'écouler sont pour Pierre une vraie jouissance. Il se sent bien avec le groupe, toutes leurs relations sont si désintéressées. Louise est une personne rare et il est sous son charme. Pour un acteur, laisser tomber les masques, être soi-même, c'est vital. Il prend conscience qu'il n'a pas démarré les choses correctement avec elle et qu'il ne peut pas continuer ainsi...

Elle se pend à son cou, colle sa tête contre sa large poitrine et susurre d'un ton badin :

— Tu ne crois pas qu'on a mieux à faire que l'inventaire des ragots ?

— Si. Mais avant, il faut que je te dise quelque chose.

— Hum, je t'écoute.

— Tu ne vas pas être contente. Ce n'est pas facile !

Tandis que Pierre hésite encore, Louise fronce les sourcils.

— Oh, je n'aime pas ça du tout...

— Nous ne nous connaissons que depuis deux jours et j'aimerais beaucoup approfondir les choses avec toi...

Se lance-t-il, aussitôt interrompu par une Louise optimiste :

— Mais, c'est le rêve, ça, mon amour !

— Oui, mais non... Parce que je t'ai menti... baragouine-t-il. Je ne suis qu'un comédien et je te demande de me pardonner tout de suite ce que je vais t'avouer.

L'air contrarié du géant, l'inquiète de nouveau et la ramène à de mauvais souvenirs.

— Qu'est-ce que tu me racontes là ? Ne me dis pas que tu es marié !

— Non, ce n'est pas cela...

— Bon, ben alors c'est rien ! Je te pardonne tout ce que tu veux, le coupe-t-elle à nouveau avant de le relancer. Alors, qu'est-ce qu'il y a ?

Pierre réfléchit, cherche ses mots, il culpabilise de plus en plus, son estomac se noue.

— Je veux arrêter, maintenant, de jouer la comédie ! annonce-t-il penaud pensant être clair.

— Mais quelle comédie ? Je comprends rien, bordel ! s'énerve Louise. Tu m'aimes ?

— Oui, je crois bien que oui, la rassure-t-il aussi sec.

— Ben alors, c'est quoi le problème ?

— Et toi, tu m'aimes ? ne peut-il s'empêchait de demander, gagnant ainsi un peu de temps avant la catastrophe.

— Ouiii, répond-t-elle comblée. Allez, dis-moi ce que tu as à me dire.

— C'est la merde, je ne savais pas... J'avais besoin de fric !

— De quoi tu parles ? T'es escorte-boy ? Quelqu'un t'a payé pour être avec moi ?! suppute-t-elle.

— Mais non !

— Ah bon ! soupire-t-elle. Bon alors c'est quoi ?

— Je suis comédien et je suis là pour renseigner le père de Mathéo sur ce qui se passe ici, sur Catherine, avoue-t-il enfin d'une traite.

— Quoi ? suffoque Louise.

— Je m'en veux ! Je ne peux pas te mentir plus longtemps et aux autres non plus. Je veux rester ici avec toi et élever des cochons en plein air... supplie-t-il mal à l'aise.

— Et t'y connais quelque chose, au moins, aux cochons ? demande la belle Louise en le toisant.

— Non, absolument rien...

— Quel talent ! J'y crois pas ! s'écrie-t-elle dégoûtée.

Le comédien reste figé, il n'a pas le temps de la prendre dans ses bras, de la serrer contre lui, elle tourne les talons et s'enfuit.

En panique, ne sachant plus sur quelles émotions danser, Louise se précipite et tambourine à la porte de Chloé.

— Qu'est-ce qui se passe ma Louisette ? Qu'est-ce que tu fous là ? s'inquiète son amie devant sa mine déconfite.

— Tu ne vas pas me croire Chloé ! Tu avais raison, c'était trop beau pour être vrai... gémit Louise.

— Quoi ? Calme-toi...

— Pierre, c'est Judas ! s'écrie Louise tiraillée entre l'amour et la haine qu'elle ressent.

— Judas ? Nous avons dit une autre fois, la discussion théologique, tente Chloé pour désamorcer la tension.

— Il travaille pour ce gros connard de merde ! s'époumone Louise, prête à fondre en sanglots.

— Qui ? Je ne comprends rien, murmure Chloé en l'attrapant par les épaules et cherchant son regardant fuyant.

— Pierre ! pleure-t-elle à présent. Il bosse pour...

— Mon père ! intervient Mathéo subitement. Putain, je vais le voir !

— Attends-nous, on vient avec toi, s'écrie Chloé entraînant Louise à sa suite.

L'acteur a quitté son costume de scène. Lorsque Mathéo fait irruption, il est assis, les coudes sur la table, la tête entre les mains. Du haut de son mètre soixante-dix-sept, le fils Bertrand se plante devant lui, les poings et la mâchoire serrés. Il n'a aucune chance face au géant, pourtant celui-ci ne se lève pas, ne se défend pas. Il s'excuse :

— Je ne veux pas continuer à vous mentir... Je suis désolé... Je ne pouvais pas imaginer tout cela... C'est la première fois que j'accepte ce genre de boulots foireux... et la dernière, c'est certain... Louise pardonne-moi... et vous aussi. C'est terminé... promis... je ne joue plus !

Louise renifle et essuie ses yeux sur sa manche. Chloé, bouche bée, retient son souffle. Mathéo, vaincu, se laisse glisser sur la banquette face à Pierre et pense tout haut :

— Je trouvais très étonnant que nous n'ayons aucune nouvelle de lui...

Puis, il se redresse et demande, très énervé, à Pierre qui baisse toujours la tête.

— Que lui as-tu dit ?

— La vérité, que tu es heureux, que tu sembles amoureux et que ce n'est pas une secte.

— Et ? insiste Mathéo.

— Il pense que c'est Catherine qui vous donne de l'argent. Il sait pour sa crémaillère, hier soir... Mais maintenant que je vous connais, toi et ta mère, je ne peux plus vous espionner pour son compte. J'étais au courant de rien, se justifie le géant tassé sur lui-même. Ce boulot c'était une idée débile, conclut-il secouant la tête de gauche à droite.

— Puisque tu nous racontes tout, nous pouvons considérer que l'espion est passé à l'ennemi, intervient Chloé, à la surprise générale.

Les trois autres la regarde, elle déglutit et tente un sourire conciliateur.

— Non, mais quel connard ! éructe Louise survoltée.

— Non, s'il te plaît, je m'en veux tellement...

— Mais pas toi mon amour ! Ce salaud de Gabriel Bertrand ! crache-t-elle avec colère, ayant enfin trouvé sur qui dirigé ses sentiments controversés.

— Cela veut dire que tu me pardonnes, trésor ? soupire Pierre. Viens là, je suis si heureux, dit-il en lui prenant la main.

— C'est pas de ta faute ! C'est l'autre-là, faut qu'on lui en fasse une à celui-là ! grince Louise avant d'embrasser Pierre.

Mathéo et Chloé échange un regard. Elle pause sa main sur l'épaule du jeune homme en signe d'apaisement.

— Connaissant mon père et ses méthodes, je m'inquiète pour ma mère, concède Mathéo.

— Je dois le rappeler tout à l'heure pour lui faire un rapport concernant Catherine, précise Pierre.

— Et si nous allions la voir, justement, pour lui demander ce qu'elle veut qu'on fasse ? propose Chloé.

— Je crains que cela ne la bouleverse, soupire Mathéo.

— Écoute, si quelqu'un peut prendre la bonne décision, c'est elle. Elle est plus forte que tu ne le penses, affirme Chloé.

— Sinon, nous ne disons rien, je ne donne plus signe de vie à ton père et puis basta, tente le géant.

— Pierre, ça suffit les conneries, la solution de facilité n'est jamais la bonne ! Ce n'est que la meilleure façon d'être lâche, s'agace Louise. Prenons ta voiture et allons chez Catherine. C'est elle qui va être en première ligne, elle doit avoir toutes les cartes en main !

— Il est trois heures du matin, n'allons pas lui gâcher sa nuit... Nous irons demain. Essayons de dormir un peu, décide Chloé. Sacré Pierre, tout s'éclaire : Marguerite Duras, ton goût pour les déguisements et les trois mousquetaires, déclare-t-elle en le fixant droit dans les yeux, pendant que Louise s'accroche à son gros biceps.

— Oui, ben, moi je veux pas le savoir, gémit Louise. Maintenant, il va se mettre vraiment dans la peau d'un éleveur de cochons ! Tu vas pas briser notre rêve, mon amour ?

— Non, je ne briserai ni ton rêve ni ton cœur, mon trésor. Avec toi je ne jouais pas ! S'il faut élever des cochons pour qu'on soit heureux, alors j'élèverai des cochons.

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