Chapitre 19

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À dix-neuf heures Gabriel est sur les rotules. Il appelle sa maîtresse et lui annonce qu'il est libre pour la nuit, elle n'est pas aussi enthousiaste qu'il l'avait imaginé. Ils se retrouvent pour dîner au restaurant où elle l'écoute dire du mal de sa femme et de son fils.

— Je vais les faire enfermer tous les deux. Crois-tu que c'est facile pour moi de supporter leurs âneries. Je ne mérite pas ça, se lamente-t-il.

— Les faire enfermer ? Mais Gabriel, on ne fait pas enfermer les gens parce qu'ils vous quittent...

— Mais enfin, personne ne quitte personne ! Qu'est-ce que vous avez tous avec ça ? Ma femme est partie chercher mon fils alpagué par une secte. Au contraire, je veux qu'on prenne soin d'eux, les protéger.

— Ah oui, consent-elle sceptique. Et comment comptes-tu t'y prendre ?

— Quand j'aurai enfin trouvé son psy, je l'appellerai, lui expliquerai la situation et lui demanderai de prendre les mesures nécessaires. C'est son boulot, non ?

— Ce n'est pas aussi simple que ça, mon cher, et heureusement. Tu devras demander une SPDT et deux certificats médicaux préconisant des soins, ainsi qu'une surveillance constante en milieu hospitalier, seront requis.

— Une SPD quoi ?

— Une SPDT, Soins Psychiatriques à la Demande d'un Tiers, précise-t-elle.

— Non, mais le psy s'en chargera, moi je n'ai pas le temps...

— Hum... Tu n'as pas le temps de t'occuper de ta femme et de ton fils... Et tu crois que d'autres vont le faire à ta place ? Gabriel, tu ferais mieux de le prendre, enfin, le temps de t'occuper de ta famille, soupire-t-elle exaspérée. Il est même peut-être déjà trop tard...

— Qu'est-ce que tu racontes ? Et puis, comment tu connais ça, toi, la SPDT ?

— Par une amie qui a dû procéder à l'internement de son père, suite à plusieurs tentatives de suicide après la mort de sa femme, et que j'ai soutenue durant cette terrible épreuve.

— Tu as bien de la chance de n'avoir pas grand-chose à faire de tes journées.

— Que veux-tu, j'ai des amis, moi, et effectivement ça prend un peu de temps.

— Bon, tu as terminé ? Rentrons, je suis fatigué.

Chez elle, il file sous la douche, puis se glisse dans ses draps. Ils font l'amour, lui pour se défouler et elle sans conviction, espérant qu'il ne mettra pas longtemps à se soulager. Leur relation dure depuis plusieurs années. Elle en a d'autres, des maris infidèles comme lui, dans son lit, tous riches, qui ne lui offrent que des escapades sexuelles dans les hôtels étoilés de la région. Mais ses vingt années de moins l'autorisent à espérer une rencontre un peu plus intéressante. Le sentir étendu à ses côtés l'inquiète, elle craint qu'il ne constitue un frein à ses projets. Il ne s'imagine tout de même pas qu'elle envisage de remplacer sa femme, maintenant que celle-ci l'a laissé tomber, même s'il est évident qu'il ne l'ait pas encore admis ? Elle s'endort en se promettant que dès demain, elle se débarrassera de lui.

— C'est incroyable tout ce dont les gens se débarrassent…

— La société de consommation dans toute sa laideur, ma Louisette. Je suis bien contente que tu sois là pour préparer les caisses, souligne Chloé. J'ai déjà trois cartons de bouquins. Il reste à s'occuper des bibelots et de la vaisselle.

— Regarde cette lampe, j'adore. Elle me rappelle mes années lycée, s'esclaffe Louise.

— Waouh, cet orange, c'est kitsch ! Qu'est-ce qu'on emmène comme grosses pièces ?

— Je ne sais pas, le petit vélo, le bureau d'écolier, le banc en bois, ils nous serviront de présentoir pour le petit bazar. Rassemblons tout dans ce coin à l'entrée, ce sera plus facile pour charger samedi soir, propose Louise.

— Tiens, les jeux de société, puisque les gens ne regardent plus la télé cela devrait les intéresser.

— À quelle heure faudra-t-il que l'on soit sur place dimanche ?

— Sept heures trente, maximum.

— Rien de prévu samedi soir, heureusement... Les bons côtés du célibat.

— Tu as raison, faut voir le côté positif des choses ! la félicite Chloé.

— Toi, c'est le top avec Mathéo ?

— Je profite. Je ne me pose pas de question. Je ne me prends pas la tête. Tu sais : le ici et maintenant.

— Oui et tes petits exercices taoïstes... J'inspire, j'expire...

— Commence pas à te foutre de moi...

— Je sais pas comment tu peux croire à tout cela, c'est tout.

— Je sais... Mais je ne crois en rien justement, j'essaye et ça marche. C'est simple.

— Tu sais bien que tous tes trucs sur la respiration m'angoissent. Mais bon, si tu dis que cela fonctionne pour toi.

— Oui, ça m'aide à me sentir bien. Mon cerveau passe en mode veille et du coup : no stress.

— Ça marche effectivement ! Plus zen que toi, je ne connais pas. Mais moi, ce qu'il me faut, ce ne sont pas des exercices de respiration...

— Je sais... Tu veux un mâle !

— Non pas un mâle ! LE mâle ! Gentil, drôle, beau et qui m'aiiiime ! J'en ai marre de ces histoires d'amitiés incestueuses. Pourquoi j'ai pas un homme attentionné à mes côtés ? Toi maintenant tu as Mathéo. Et moi, je le rencontre quand l'homme de ma vie ? gémit-elle.

— Tu as encore le temps de le rencontrer ton prince, rugbyman, fêtard, romantique, charmant, énumère Chloé sarcastique.

— Tu crois ? Mais alors vite ! Parce que j'en ai marre d'attendre.

— Regarde, moi, Mathéo m'est tombé dessus sans prévenir.

— Le rêve : un mec jeune et amusant !

— Les hommes préfèrent les femmes plus jeunes qu'eux, c'est certain, mais les femmes je ne crois pas que ce soit le cas. Si, passé la quarantaine, c'est toujours flatteur de plaire à un homme de trente ans, je ne trouve pas cela rassurant ! Dans quinze ans, il sera au top et moi à l'âge de la retraite... Et puis, je ne veux pas materner.

— Pour cela, je crois que Catherine est là.

— Tant mieux, je suis ravie qu'elle soit là. Mais, Mathéo il lui faut une compagne avec qui il aura des enfants. Donc, le présent me suffit, je m'en contente.

— Tout le monde ne désire pas avoir d'enfants. Je sais pas comment tu fais si tu ne te projettes pas.

— Louise, je le connais depuis si peu de temps, autant dire que je ne le connais pas du tout. Il est adorable, il me fait un bien fou. Mais, il est sur la ligne de départ dans sa vie.

— Et toi ? Tu es sur la ligne d'arrivée peut-être ?!

— Disons que nous ne disputons pas la même course... Je suis heureuse, j'accepte ce cadeau, mais je ne veux vivre cette histoire que dans le présent, comme tout le reste.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu as bien des projets. L'expérience, elle a bien un avenir, tu te projettes bien dans le futur !

— J'ai un seul et unique projet, ma Louisette, c'est d'être heureuse. Cela n'implique pas que les choses restent les mêmes et qu'il n'y ait pas de changement.

— Quels changements ?

— Aujourd'hui, je fais partie de l'expérience et cela me rend heureuse. Mathéo me rend heureuse. Nous sommes là, toutes les deux, à réduire la quantité de déchets et à rendre service à nos concitoyens et tout cela me rend heureuse...

— Quels changements ?!

— Je ne sais pas... Peut-être que je peux partir en voyage, que Mathéo peut tomber amoureux de quelqu'un d'autre et moi aussi... Et tous ces changements ne m'empêcheront pas d'être heureuse.

— Chloé, ne me dis pas que tu envisages de partir !

— Pas aujourd'hui, non.

— Merde, on est bien là ! On a créé un super truc tous ensemble, tu vas pas t'en aller...

— Je dis juste que les changements ne me posent pas de problème, Louise.

— Moi, je pense que Mathéo est très amoureux de toi !

— Bon, tu m'agaces, arrête de penser et remplis les caisses. Tiens, tu ne le veux pas lui, pour te tenir compagnie dans ton mobile-home ?

Chloé agite un tigre en peluche sous le nez de Louise qui le saisit du bout des doigts, le lève au niveau de son visage et pousse un cri de hyène.

— Alors les filles, on s'amuse ? s'exclame Idriss moqueur. C'est l'heure du casse-croûte, fermons la boutique et allons pique-niquer sur la plage. Je vais chercher de quoi préparer des sandwichs et direction l'océan. Vous récupérez une couverture dans le camion ?

— Je vais avoir trop chaud, habillée ainsi, se plaint Louise. Il n'y a pas une robe sympa sur ces penderies ? Chloé ?!

— Je vais chercher Mathéo, fouille et trouve-moi une casquette, s'il te plaît.

Louise déniche une robe à fleurs très champêtre et un chapeau de paille. Ces quatre touristes, quelque peu atypiques, ne passent pas inaperçus. Ils s'en fichent et ils rigolent. Les deux gars ne résistent pas et piquent une tête pendant que les filles font la sieste.

L'après-midi passe vite et à dix-sept heures ils rentrent au camp, enchantés de se poser sous l'appentis pour siroter une bière pour les uns, un sirop de pissenlit pour les autres, avant de rejoindre Manu pour l'émission. Chloé et Sylvain, eux, vont au jardin pour préparer le marché du lendemain. Il a promis à son fils et aux filles de les emmener se baigner et Chloé assurera l'intérim. Elle aime bien le remplacer sur le marché, revoir les camelots qu'elle apprécie avec qui elle partage de franches rigolades. Ils garent la camionnette au frais dans le hangar et cagette après cagette, les marchandises s'entassent. Sauf les salades que Chloé coupera le lendemain matin juste avant de partir, à cause de leur hypersensibilité.

Quand ils reviennent du jardin avec les légumes destinés à leur consommation personnelle, Mathieu et Lili sont attablés avec un géant noir qui leur adresse un sourire à faire chavirer toutes les filles de dix à quatre-vingt-dix ans. Il se lève, s'approche de Chloé et attrape ses deux cagettes.

— Un peu d'aide ?

— Merci, c'est très gentil.

Chloé interroge Lili et Mathieu du regard.

— Pierre, il a fait l'tour du propriétaire avec Mathieu, il a un projet d'élevage d'cochons en plein air, les informe Lili.

— Ah bon, je ne savais pas que quelqu'un devait passer ce soir... s'étonne Sylvain.

— En fait, je me suis renseigné au bar du village et je me suis permis de venir à l'improviste, explique Pierre décontracté.

— Alors, est-ce que la ferme vous a plu ? interroge Chloé.

— À première vue, c'est parfait. Il y a assez de place. Mathieu m'a expliqué qu'il souhaite continuer d'habiter la maison et il m'a parlé de vous et de l'expérience. Ce n'est pas banal et cela m'interpelle.

Le sourire de Pierre est une arme redoutable, Chloé et Lili se regardent et partent d'un fou rire communicatif. Toute la tablée est hilare lorsque le reste de la troupe débarque du studio. Louise repère immédiatement le nouveau venu.

— Bonsoir. C'est vous qui mettez cette ambiance de folie ? Enchantée, moi c'est Louise.

— Pierre. C'est moi qui suis enchanté, vous êtes ravissante, très jolie robe.

— Enfin un gentleman ! Et avec un sourire comme le vôtre... pincez-moi que je sois sûre que vous êtes bien réel.

— Pierre est éleveur d'cochons en plein air. Il mange avec nous c'soir. D'ailleurs, faudrait aller chercher les filles et Juju dans la yourte...

— Je m'en occupe ! annonce Louise. Pierre, accompagnez-moi, on fera le tour du camp.

— Avec grand plaisir.

Ils s'éloignent en direction du jardin. Louise est passée immédiatement en mode séduction, tout le monde pense la même chose, mais personne ne commente... S'il se met Louise dans la poche, cela va être compliqué pour les autres candidats.

La soirée se déroule pour le mieux, Pierre est gentil, drôle et son parcours est cohérent avec son projet. Il tient un discours écolo et s'intéresse à chacun. Tous ont l'impression qu'il a déjà intégré la troupe, quand les uns après les autres, ils vont se coucher.

Lorsque Mathieu lance sa calèche sur la petite route, Louise et Pierre commentent le dernier match de rugby.

— Je suis ravie de ma soirée Pierre, même si nous ne serons jamais supporteurs de la même équipe, nous partageons la même passion pour le ballon ovale.

— Et donc les mêmes valeurs.

— Oui. Alors que penses-tu de notre petite communauté ?

— J'ai découvert un trésor ici ce soir. Je t'ai découvert toi.

— Attention, ne me provoque pas sinon dans cinq minutes je t'arrache ta chemise avec les dents ! prévient-elle en gloussant.

— J'adore ton humour !

— Mais je ne plaisante pas, je suis ultra romantique ! J'ai très très envie que tu m'embrasses, que tu me serres dans tes bras et que tu me dises des mots tendres...

Sans la laisser finir, il se lève et plaque ses lèvres sur les siennes, leurs langues se goûtent avec fougue.

— Je ne pensais qu'à cela depuis que je t'ai vue tout à l'heure, trésor.

Elle lui prend la main et l'entraîne jusqu'à sa tanière.

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