Le déclin de l'Europe (I, 246b-248d)

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PROCRASTINOS – La Russie, quant à elle, eh bien… Elle quitte, nous l’avions dit, la guerre en décembre 1917 à cause de sa situation économique et de sa participation désastreuse à la guerre. Le communisme se nourrit de cela, si bien que Lénine considérera l’entrée en guerre comme « le plus beau cadeau que le Tsar ait fait. »

BOULÉTAMANTE – J’ai bien l’impression que la guerre mit un sacré coup dans le nez de l’Europe.

PROCRASTINOS – Tu as raison de penser ainsi ; elle devra se reconstruire, passer d’une économie de guerre à une économie de paix, et ce pendant que les pays neufs profitent de l’affaiblissement du commerce intra-européen pour s’enrichir eux-mêmes…

BOULÉTAMANTE – Les opportunistes !

PROCRASTINOS – Ce seront donc les États-Unis, le Canada et le Japon qui fourniront principalement l’ancien continent en matières premières ; de plus, tu t’en souviens, l’Europe doit des dettes aux Américains.

BOULÉTAMANTE – Ce sera dur de leur rembourser, s’ils doivent déjà s’occuper de la réparation.

PROCRASTINOS – En effet, le gouffre financier qu’a été la guerre constitue une difficulté majeure : on décide alors de piocher dans les réserves d’or – tout en faisant marcher la planche à billet, ce qui, tu le devines, entraînera une inflation énorme et le phénomène de la vie chère, soit une multiplication de 3,5 des prix en France, 12,5 en Allemagne –, on veut aussi récupérer des capitaux prêtés aux pays neufs – notamment la France, dont l’or « ruisselle dans le monde » selon Aristide Briand, qui cherche à faire rembourser les emprunts Russes… en vain, puisque les bolchéviks n’assumeront pas les prêts et ne voudront rien rembourser ! – et puis, on emprunte encore, à l’intérieur – bons du trésors achetés par le peuple –, et à l’extérieur, avec les États-Unis. Cette instabilité financière fera amèrement regretter la Belle-époque.

BOULÉTAMANTE – La Belle-époque ! Je l’avais presque oubliée.

PROCRASTINOS – Eh oui, plus rien n’est comme avant. 247 Je voudrais te parler ensuite de la société et de la politique. D’abord, voyons quelles classes sont le plus victimes de la guerre : la classe moyenne, dont les rentiers, ruinés avec l’inflation et les emprunts Russes, doivent se mettre à travailler – crise morale, donc –, pour un déclassement social et une fin de la bourgeoisie oisive. Généralement le pouvoir d’achat baisse, sans que les salaires ne montent : Keynes, l’économiste, parle d’une « euthanasie de la part des banquiers. »

BOULÉTAMANTE – De sacrés filous, ces gens d’argent.

PROCRASTINOS – D’autres qui profitent, sans être larrons, sont, au contraire, la paysannerie. Certes elle représente un sixième des pertes en France, mais ceux qui ont survécu, eh bien… Ils ont eu l’augmentation des prix agricoles en leur faveur et ont même pu récupérer des terres agricoles. Aussi, les industriels, auparavant monopolisés par l’État pour fabrication d’armement – tel Schneider, Citroën, qui se développe fortement avec d’immenses ateliers, mais aussi Boussac, Loucheur ou encore Michelin – ont connu une vaste croissance. Or, cette enrichissement par le malheur suscite des dénonciations contre les « embusqués », ceux qui ne sont pas allés au combat. Aussi créa-t-on l’impôt sur le revenu en 1916, pour calmer un peu de la désapprobation de ceux du front quant aux nouveaux riches.

BOULÉTAMANTE – Voilà qui complique encore les relations sociales…

PROCRASTINOS – 248 C’est sans compter sur la nouvelle classe dite des « anciens combattants » : ils représentent, en ce temps-là, un quart de l’électorat européen, un quart à la mentalité antimilitariste, défiante envers les politiques, convaincus d’un devoir civique à rendre. En France, ils seront soudés et pacifistes. Enfin, c’est la fin de l’aristocratie et des cours, et le début d’idéologies qui dénoncent les sociétés inégalitaires, comme le communisme qui fera fuir les Russes Blancs hors de leur pays – beaucoup se retrouveront à Nice et à Paris –, ou encore le fascisme, méprisant l’élite traditionnelle.

BOULÉTAMANTE – Je me souviens des femmes, moi…

PROCRASTINOS – Tu as raison de t’en souvenir, et je vois que tu appliques mes conseils. Il s’agit en effet d’un autre phénomène de société, que de ce bouleversement des rapports entre les hommes et les femmes. La main d’œuvre féminine passe de 32 à 40 p. 100 et gagne en liberté d’action et en autorité. Les vêtements et les cheveux se raccourcissent pour des raisons plus pratiques qu’esthétiques : en Russie bolchevik, ils sont les premiers à leur donner le droit de vote.

BOULÉTAMANTE – En as-tu fini avec la société ?

PROCRASTINOS – Oui.

BOULÉTAMANTE – Très bien, je commençais à…

PROCRASTINOS – Maintenant, la politique !

BOULÉTAMANTE – Ah !

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