L'entrée en guerre (I, 236a-237d)

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PROCRASTINOS – 236 Tu connais assez bien l’histoire de Sarajevo.

BOULÉTAMANTE – Et de ce nationaliste serbe…

PROCRASTINOS – C’est cela, réclamant une Serbie autonome et indépendante du grand empire Austro-hongrois. Princip de son nom, il assassine François Ferdinand, archiduc héritier d’Autriche – et de la famille Habsbourg –, ce qui suscite un conflit entre l’empire et la Serbie. Et par le jeu des alliances, tous se verront impliqués : la Triple Entente de la France, du Royaume Uni et de la Russie affrontera la Triple Alliance, constituée de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de l’Italie – la Triplice cesse lorsque l’Italie change de camp en 1915. Malheureusement pour elle, Sarajevo devra connaître aussi, dans les années 1990, une guerre civile entre les minorités nationales.

BOULÉTAMANTE – Ce n’est décidément pas une ville tranquille.

PROCRASTINOS – Je le conçois. La Grande Guerre était déjà assez terrible comme cela : on utilisa même du gaz en 1915, pendant la guerre de position – c’est à dire des tranchées. Ce sont les Allemands qui inventent cette nouvelle arme chimique, premièrement utilisée dans le secteur d’Ypres, en Belgique, d’où son nom de gaz ypérite. L’Allemagne connaissait une supériorité dans le domaine chimique – d’ailleurs, on leur demandera des brevets au congrès de Versailles.

BOULÉTAMANTE – Ce gaz, était-il une meilleure arme ?

PROCRASTINOS – Si tant est qu’il puisse exister d’armes bonnes. Pour répondre à ta question, le gaz était moins efficace que les mitrailleuses. Là où il excellait toutefois, c’était dans la manière de faire mourir : asphyxie, agonie, douleur atroce, cécité, tout cela très lentement et sans voir l’adversaire. Cela brise le code chevaleresque de la guerre au corps à corps, institué par la convention de La Haye de 1889 : il s’agissait d’instaurer des règles d’ontologie de la guerre. On s’insurge, bien évidemment, du côté des alliés… 237 Jusqu’à employer cette arme à leur tour en 1916, dans la course aux armements. Note bien que le gaz ne représente que la moitié d’un pourcent des victimes : il sera toutefois interdit dans l’article 171 du traité de Versailles, derechef à Genève en 1925. Il représentait une logique de déshumanisation industrialisée, que l’on retrouve dans l’holocauste avec le zyklon-B – qui servait pour les nuisibles. Même l’Italie en fit l’usage dans ses tribulations en Éthiopie.

BOULÉTAMANTE – Mais les cadavres que l’on envoyait au Moyen-Âge lors des sièges, et même l’empoisonnement de puits dans l’Antiquité ! Ne sont-ce pas là des armes chimiques ?

PROCRASTINOS – Tu as peut-être raison. Mais, dis-toi que la guerre n’est pas au bout de ses atrocités. 1915, c’est aussi la venue d’un nouveau génocide, dix ans après celui des Héréros : celui des Arméniens. L’Empire Ottoman, ce « vieil homme malade » était dans le camp des Allemands. En grande difficulté économique et militaire, l’empire choisit le peuple arménien comme bouc-émissaire – les Arméniens n’en étaient pas à leurs premières tensions ethniques. En avril, on arrête les notables et en mai, déportation, confiscation de biens, exécution et emprisonnement dans des camps. Un million d’Arméniens périssent, soit la moitié de leur totalité. Le génocide est exacerbé par le discours des jeunes Turcs nationalités et panturquistes, qui veulent une base ethnique homogène. On accuse aussi les Arméniens de traîtrise, eux qui ont trop bien accueilli les troupes soviétiques – c’était un mensonge. Hitler lui-même évoquera ce génocide, ainsi que le silence qui a suivi. La diaspora arménienne souhaite encore la reconnaissance de cet odieux crime, mais la Turquie nie toujours la responsabilité – les jeunes Turcs font tout oublier avec le traité de Lausanne de 1923. La France, quant à elle, reconnaîtra publiquement le génocide en 2001, dans ce qui doit être une de ses lois les plus courtes.

BOULÉTAMANTE – Eh bien, quelle histoire.

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