Chapitre 2

5 minutes de lecture

Un an après

Ensommeillée, je regarde le réveil sur la table de nuit. Deux heures du matin. Je repose ma tête sur l’oreiller et soupire. Me penchant vers Greg je l’observe, mais ce dernier dans les bras de Morphée, n’a rien entendu.

Retirant le drap, j’enfile mes vieux chaussons, et me dirige vers la chambre face à la nôtre. J’allume la veilleuse représentant Winnie l’ourson, éclairant d’une teinte douce les murs aux couleurs pastel. Me penchant vers le couffin, je prends mon enfant dans les bras. Cette dernière gigote en serrant ses poings minuscules. D’une voix chantante, je lui murmure des mots d’amour tout en la berçant et tentant de deviner ce qui ne va pas.

Ma petite Éva a presque un an.

Aujourd’hui encore, tenant ce bébé dans mes bras, je me demande si j’ai vraiment fait le bon choix.

Au bout d’une heure de câlins et de couche changée, je retourne enfin dormir. Soulagée, je m’allonge sur le lit espérant pouvoir profiter de quelques heures de sommeil. Greg les yeux ouverts me regarde.

— La prochaine fois, c’est à toi d’y aller, dis-je un peu rudement.

Il me tourne aussitôt le dos et grommelle.

— Pas question, toi tu as arrêté de travailler pour t’occuper d’elle. Moi, je bosse.

Je préfère ne pas répondre, évitant ainsi une énième dispute (depuis la naissance d’Éva je ne peux m’empêcher de remarquer qu’elles ont augmenté et bizarrement le sujet est toujours le même… notre enfant).

Le lendemain matin, Greg au travail, je me sens presque délestée d’un poids et me consacre à mes tâches désormais quotidiennes et (à mon avis) rébarbatives : repas du soir, biberon pour le bébé, lessive, ranger le linge tout en veillant sur Eva toutes les cinq minutes. Autant dire que je n’existe plus pour moi, mais seulement pour elle.

Vers une heure de l’après-midi, on sonne à la porte. Malgré l’habitude, je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel et ouvre à ma belle-mère, qui m’agite sous le nez un hideux petit lapin en peluche. J’éternue aussitôt tandis que, volubile, elle m’apostrophe déjà.

— C’est le jouet que possédait Greg enfant… j’ai pensé que ce serait bien que sa fille puisse l’avoir.

— Euh, c’est gentil. Mais il ne fallait pas vous déplacer pour ça.

— Oh, ça ne me dérange pas du tout. Je passais dans le quartier alors…

Je me retiens de lui dire que depuis quelque temps, elle doit même avoir des actions dans le coin à force d’y être !

— Éva dort depuis seulement un quart d’heure, j’aimerais assez qu’elle puisse terminer sa sieste.

— Mais je ne compte pas réveiller mon adorable trésor, juste lui faire un bisou.

— Plus tard si vous voulez bien. En attendant, je vais nous préparer une tasse de thé.

Me voilà donc dans la cuisine, ma pièce préférée. On la dirait sortie tout droit d’un catalogue de l’enseigne Cocktail Scandinave avec son plan de travail en bois caramel et ses petits accessoires blancs. Mes pots de confiture sont joliment alignés sur une console rustique et une odeur rassurante de fraise et cire mélangées règne en maître.

Je dépose les tasses brûlantes sur la table en demi-lune et appelle ma belle-mère afin de la prévenir que le thé est prêt… seul un bruit lointain me répond. Je me dirige nerveusement vers la chambre du bébé ou sans surprise je trouve belle-maman faisant sautiller Éva sur ses genoux qui en gazouille de plaisir. Pour la sieste c’est râpé. J’arrache un peu sèchement mon enfant des bras de l’intruse qui me fait de plus en plus penser à Jane Fonda dans le film Ta mère ou moi avec Jennifer Lopez. C’est-à-dire un monstre caché sous une tonne de maquillage et un sourire artificiel.

— Mais enfin Valentine, s’interpose ma chère belle-maman, laissez-moi savourer des instants avec ma petite fille !

— Vous en profitez presque tous les après-midi, ne puis je m’empêcher de faire observer d’un ton aigre. Là, il faut qu’elle dorme. Votre thé est prêt… dans la cuisine.

Mon invitée n’ose renchérir. Elle sirote donc tranquillement sa boisson quand je remarque soudain quelque chose à son poignet droit.

— Vous avez une tache sous la manche de votre chemisier.

— Ah bon ? Elle relève le vêtement et j’aperçois alors des lettres entrelacées à l’encre noire formant comme un bracelet.

— Qu’est-ce que c’est ? demandé-je, néanmoins certaine d’avoir deviné de quoi il s’agissait mais ne pouvant y croire.

Très fière d’elle, ma belle-mère m’explique :

— C’est un tatouage que j’ai fait faire il y a trois jours. Regardez !

Elle exhibe alors sous mes yeux ébahis un bras pâle avec le prénom de ma fille écrit dessus, de manière indélébile et permanente.

Je reprends mon souffle, tentant de respirer calmement car là, tout de suite, j’ai juste envie de lui arracher le membre, et de façon sanguinolente, comme dans un mauvais film gore. Toutefois, si j’arrive à retenir mon geste, je ne contiens pas mes paroles.

— Mais c’est n’importe quoi ! C’est complètement idiot ce que vous avez fait. Sans nous en parler à Greg et moi en plus… vous êtes ridicule avec ça sur la peau.

Belle-maman, vexée, se lève et prend un air hautain :

— C’est une preuve d’amour envers ma petite fille.

— Qui lui fera honte quand elle sera une ado, ne puis-je m’empêcher de persifler.

La mère de Greg n’est plus seulement indignée, elle est au-delà des mots, pourtant elle les trouve les mots et me lance méchamment.

— Vous ne désiriez même pas cette enfant ! Si elle est là, c’est parce que la pilule n’a pas fonctionné comme il le fallait !

C’en est trop, la guerre est déclarée.

— Oui, et résultat des courses, votre fils qui prônait à qui voulait l’entendre le bonheur d’être père, se désintéresse complètement d’Éva. Il rentre de plus en plus tard le soir et n’a encore jamais dû changer une seule couche ou donner un biberon. Ce bébé je l’ai fait pour lui oui c’est vrai, et aujourd’hui il s’en fiche complètement ! C’est moi qui dois m’occuper de tout !

Ma belle-mère sachant bien que j’ai raison, ayant vu la distance que mettait son fils dans notre couple et même avec son propre enfant ne peut rien objecter à mes paroles, aussi dures soient-elles. Elle reprend d’une voix plus conciliante :

— Je sais bien.

Elle qui voulait tant être grand-mère, dont c’était le rêve d’une vie, ne comprend pas que son fils ne se consacre pas plus à son bébé.

Au bout de longues minutes, elle quitte ma maison, la tête basse, le visage soudain fatigué. Prise de remords et de pitié, je lui touche timidement l’épaule. Elle se tourne vers moi et me dit avec un pauvre sourire.

— Je parlerai à Greg.

— Merci.

(à suivre)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ode Colin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0