l'art de tourner autour du pot...

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Je tourne autour du pot et je ne parviens toujours pas à exprimer ce qui me relie à cette mère que je traite comme une fleur rare. Je la dorlote, essaie de satisfaire au moindre de ses désirs immédiats. Veut-elle des légumes verts en lieu et place du riz prévu pour le repas ? Cinq minutes avant de passer à table, je change le menu. Trouve-t-elle que son assiette est trop pleine, je me plie à sa demande. Souhaite-t-elle que je téléphone ici ou là pour décommander une prestation ? je plante-là l’activité engagée pour joindre la personne désirée. Je suis à son service et bien souvent, elle n’en abuse pas… Je cherche par tous les moyens à adoucir sa geôle morale, sa prison dont les barreaux seraient son handicap. Lorsqu’elle ne demande rien, j’essaie d’anticiper et trouver ce qui pourrait lui redonner le sourire : planter des bulbes de tulipe pour qu’au printemps, elle ait la surprise de voir fleurir à portée de ses yeux des calices colorés, je nettoie le jardin, moi qui n’aie jamais été jardinière, je prépare des gâteaux surprises tous les dimanches espérant voir un peu de joie dans ses yeux… Je vis beaucoup pour elle. Ce faisant, je trouve mon bonheur lorsque je parviens à mes fins.

Je prends peu ou prou la place morale de mon père qui, tout au long de sa vie lucide, bien avant que cette cochonnerie d’Alzheimer ne lui grignote le cerveau, n’a eu de cesse que de gâter ma mère. Quoi que régulièrement sujet à des accès de violence avec ses enfants, mon père était fort généreux, essentiellement avec cette femme qu’il adorait. Il la couvrait de cadeaux précieux, bijoux, vêtements de luxe, acceptait tous ses choix de décoration pour la maison. Son admiration profonde pour l’intelligence de son épouse, son sens artistique, le poussait à l’extrême limite de l’adulation. Elle était son horizon, sa raison de vivre, son pain quotidien, l’alpha et l’oméga de son bonheur.

Bien sûr en compensation ma mère devait accepter son besoin de l’avoir en permanence en point de mire. Comme un tableau que l’on honore, que l’on contemple à l’infini, il n’a jamais été aussi heureux que durant la période où, renonçant à son travail d’institutrice, elle était venue assurer son secrétariat. Ils partaient ensuite des journées entières pour des tête tête en amoureux sous le prétexte plus ou moins fallacieux de rendre visite à sa clientèle, nous laissant aux mauvais soins de cette gardienne que j’exécrais.

Enfin est arrivé le jour où ma mère a commencé à trouver son terrain de jeu un tantinet exigu. Mon père, lui, exigeait de toutes ses forces et avec tous les arguments possibles la continuité de cette intimité. Elle a dû jouer de l’incapacité de son époux à lui refuser quoi que ce soit alors pour qu’il accepte enfin de mauvaise grâce de la laisser conduire et de lui laisser reprendre son travail d ‘enseignante. La contrepartie de cette liberté surveillée retrouvée consistait pour ma mère à amener toute personne qu'elle appréciait à la maison. Mon père devenait alors ami avec celui ou celle que ma mère parait d'intérêt pour, en quelque sorte, les phagocyter et le rendre ainsi inoffensifs à ses yeux. Mon père entammait alors la valse de la séduction, enrobant chacun de ses mots dans un flot de sucre, de miel, offrant des vins rares aux invités charmés qui repartaient enchantés de leur diner et de leurs hôtes.

Enfin le rituel suivant parachevait le "vaccin" de mise en sécurité d'un potentiel rival : mon père et ma mère, ensemble, critiquaient ensuite les moindres faits et gestes des étrangers. De la manière de s’habiller, à l’art de recevoir, en passant par le vocabulaire, les idées… tout était passé au tamis de leur esprit critique commun, faisant un rempart indestructible entre eux et le reste du monde.

Ainsi, mon père, en chausson dans cet amour-pour-toujours, pouvait-il laisser sortir de son champ de vision, sa petite femme tant aimée.


Témoins passifs de ce fonctionnement de couple, nous, les quatre filles étrangères en leur maison, avons décliné ce concept chacune à notre façon.

La méfiance extrêmiste de mes parents, leur rejet des autres m’ont poussée inconsciemment à m’éloigner du modèle qu’ils mettaient sous nos yeux. Dès l’enfance, je m’ouvrais à tous et toutes avec la seule limite de la douleur. J’aimais (et j’aime toujours) les gens tant que ceux-ci ne m’ont pas montré d’hostilité… Adolescente, ainsi, mes amies n’ont jamais eu l’aval de mes parents. Ils les estimaient « bêtes » et justifiaient ce jugement à l’emporte-pièce d’un « tu mérites mieux que ces dindes… » asséné à bout portant dans ma cervelle de toute jeune fille. En réalité, elles cumulaient le défaut de ne pas appartenir au même « monde » que nous avec celui de se situer plutôt dans la seconde moitié du classement. Sans les connaître jamais, ils les condamnaient tout en me poussant à la clandestinité amicale.

A l’inverse, mes parents ne tarissaient pas d’éloges pour les amies de Clara, qui avaient à l’époque du lycée, quasiment leur rond de serviette à la table familiale !

J’en déduisais donc que j’étais sûrement un peu bécasse moi aussi si l’on suit l’adage mainte fois répété par ma mère du « Qui se ressemble s’assemble ».

Cependant, un point ne collait pas à mon portrait de « petite tête » : un test de QI passé à l’âge de dix ans dans ma classe avait révélé à tous que j’étais bien au-dessus de la moyenne et « la plus intelligente de la classe » ! Je me souviens de ma stupeur. Je citais les noms de toutes les premières de la classe en disant « Pas Sylvia quand même… » et la sentence tombait comme un couperet : « Bien plus, si ».

Ma position d’élève fantasque, rétive à l’orthographe et aux raisonnements habituels (ah les problèmes mathématiques résolus contre toute logique ordinaire),  désorganisée à outrance venait contrebalancer cette nouvelle pour le moins étonnante. Ni une ni deux mes parents avaient résolu ce conflit intérieur en me grondant, me houspillant me signifiant par là que je gâchais tous les dons qui m’auraient généreusement été offerts par quelques mystérieuses entités.

Une faute de plus à accrocher à mes faits d’arme : le gaspillage d’intellect !


Cependant, malgré les coups répétés de ma famille à l’encontre de mes amies, ma fidélité amicale restait infaillible. Je n’allais pas gaspiller le peu de considération qui m’était donnée dans la vie ! Je défendais bec et ongles leur honnêteté lorsque certains professeurs se permettaient de la mettre en doute au point parfois de passer pour une rebelle. J’étais prête à me battre avec d’autres élèves pour protéger leur intégrité… J’avais l’amour indéfectible, les sentiments à fleur de peau et l'idéalisme chevillé aux émotions.

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