Il est gentil… elle est gentille…

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De nos jours, être gentil devient suspect. Est-ce pour se défausser ? Est-ce pour éviter de pousser un peu sa vie pour donner un peu de place à l’autre ? est-ce pour s’excuser ?

La personne faisant acte de compassion, d’attention à l’autre est bien souvent soupçonnée de récupérer un avantage à ce don aussi gratuit qu’il puisse apparaître. Dans une société individualiste à l’extrême il est de bon ton de travailler pour soi, pour sa famille résumée à ses propres enfants. Il est très bizarre en revanche de vouloir prendre en charge ses vieux parents, de leur accorder quelques délicatesses. Les envoyer en EPHAD devient la norme, les oublier dans un mouroir n’interroge plus personne. Dans une société construite sur l'argent, placer des ancètres improductifs, dans une maison de retraite, c'est les contraindre à devenir des pourvoyeurs d'argent. On construit pour eux, on crée des emplois pour eux, on côte des institutions en bourses, on investit, on distribue des dividendes. Le vieillard est devenu un produit comme un autre susceptible d'enrichir le monstre dévoreur qu'est la bourse de Paris ou d'ailleurs. Entre le pétrole et les assurances, il y a le vieux. Il est par conséquent très malvenu de contrevenir aux règles tacites d'une société en gardant jalousement cette "richesse" à la maison !

Il plane sur celui qui déroge à ce nouveau mode de vie un air de doute. Il est vrai que les psychologues, les psychanalystes ont ouvert cette porte à coup de bélier en parlant de bénéfices secondaires et de névroses ordinaires. L’interprétation faite par la vox populi a réduit ce concept complexe à « si tu aides, c’est que cela te rapporte quelque chose, c’est que cela te fait du bien ». Donc, bien entendu, si je n’ai besoin de rien, il n’ai aucun « intérêt » à me préoccuper du voisin handicapé ou âgé, de son vieux parents, de mon frère ou de ma sœur pris dans un tourment. Non… Celui qui pense à l’autre le fait définitivement pour lui.

Il y a cent cinquante ou deux cents ans, les anciens, les handicapés étaient pris en charge par leur enfant et parfois par le village de façon tout à fait naturelle. L’économie de ce système voulait que chacun porte sa pierre à l’édifice. La personne âgée gardait les nouveaux nés, prenait le temps d’expliquer la vie aux enfants. Le handicapé, qu’il soit physique ou mental effectuait de menus travaux à sa mesure. Il ne serait venu l’idée à personne d’enfermer ces personnes dans des "boîtes" ou institutions spécialisées : ici tous les malades mentaux, là tous les vieux, et ailleurs les handicapés physiques. Actuellement la spécialisation est telle que l’on sépare même les vieux : d'un côté les alzheimers et de l'autre les "seulement" vieux ! A force de vouloir centrer chacun sur son bien être individuel (Ah le coach de vie qui vous distille la vraie vie que vous méritez !!), son petit ego si précieux, son avenir glorieux, nous avons perdu toute la richesse de la diversité humaine.

Je suis frappée par ce renversement de valeur. Lorsque j’ai pris en charge ma mère, il y a cinq ans, tous mes amis, mes enfants m’ont mise en garde arguant du fait que j’allais mettre ma vie sous le boisseau. J’ai dû faire face à de véritables attaques virulentes sur ma liberté perdue. « Tu es con » me disait-on, « tu n’es plus si jeune », « tu seras essorée après et ce sera ton tour, tu verras, il n’y aura personne pour toi ! » etc.… Entre agression verbale et menace d'un avenir douloureux, j'ai tout entendu. Mes deux enfants ont rajouté leurs voix au concert exprimant une crainte légitime de me voir malheureuse, douloureuse à force de sacrifices. Maïa, ma fille, m'a dit que jamais elle ne viendrait vivre chez moi comme je le fais pour ma mère. Elle me prendrait chez elle, oui mais pas chez moi. Je pense qu'en agissant ainsi, sans l'avoir réfléchi, je les ai amené à se projeter sur un avenir qui fait peur : la dépendance d'un parent. Comprenant intimement leur crainte, je les ai dédouanés en les rassurant. Il ne fallait pas voir dans mon choix une volonté de guider le leur lorsque le moment serait venu de ma vieillesse. La liberté de chacun réside dans la possibilité ou non d'agir. Je l'ai prise, à contrecourant de la société actuelle. A eux d'être libres de leur décision ! Personne ne les jugerait, surtout s'ils choisissent l'option approuvée et estampillée par le CAC 40 !

Personne, pas plus que moi d'ailleurs, n’a anticipé qu’après des années privées d’amour maternel j’allais enfin rencontrer ma mère en tant qu'individu avec ses forces, ses fragilités, ces côtés qui enchantent, ceux qui énervent, ces vertues qui vous ressemblent, celles dont vous vous trouvez dépourvues, ces défauts auxquels vous avez échappé, ceux que vous avez embrassés un peu trop fort !

Pour être précise, je n’ai pas compensé à proprement parlé la « maman » dont j'ai manqué mais j’ai compris mes racines, j’ai senti la filiation dans ma chair. J'ignorais ce que je retirerais de ces années de privations de liberté. J’ai reçu en partage l'immense bonheur de me réconcilier avec cette enfance douloureuse en accomplissant le deuil complet d'une maman fantasmée pour aller, libre et sereine, vers celle qui tisse le temps entre les ancètres et les générations futures .

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