Mal d'enfant, mal d'adulte

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Pourquoi ai-je pris la difficile décision de m’écarter de ma vie pour m’occuper de cette mère que nul, pas même elle, ne pourrait qualifier de "bonne mère " ?

Comme beaucoup, je pourrai certainement dire que j’avais une revanche positive à prendre pour cette petite fille que j’étais, il y a tant d’années. Toujours en attente de tendresse, elle voyait son univers d’amour rétrécir chaque fois qu’elle quémandait, maladroite, une attention. Avait-elle mal à la tête ? on lui rétorquait que « ce n’était rien et que cela passerait ». Faisait-elle une crise de nerf ? le visage sous l’eau froide et tout rentrerait dans l’ordre. Si un cauchemar ou une terreur nocturne avaient le malheur de traverser ses nuits, elle se faisait rabrouer rudement. Le classement à l’école ! Ah la première, la seconde place et la dernière aussi… Elle en a essayé beaucoup chaque année à l’école élémentaire. Première, puis dernière dans la même année. Les années collège n'ont absolument pas améliorer sa vie. Abandonnée à son désordre intérieur (et extérieur), elle perdait tout au grand de certains professeurs qui ne pouvaient, bien entendu, pas comprendre qu'une gamine ait perdu aussi bien son carnet de correspondance, que son cahier de texte et la majorité des feuilles de son classeur ! Pour les autres, elle s'arrangeait pour qu'ils ne voient rien.

Experte dans l'entourloupe, elle camouflait ses erreurs, omettait des vérités pour éviter les punitions qui ne manquaient de tomber lourdement quand elle était découverte :

" En position", criait la voix brusque de son père en colère dans l'interphone qui avait été installé dans le bureau où ses parents passaient leurs journées pendant que les quatre soeurs passaient les leurs à l'école ou en compagnie, en "présence" devrais-je dire car elle ne s'occupait guère des filles, de celle qu’elles nommaient Angelita. Dirais-je le mot ? La bonne. : son statut lui donnait donc le droit de rejeter ses patrons tout en faisant porter les effets de sa haine sur des enfants dans l’incapacité de se défendre.

A l’injonction du père, celle qui était incriminée devait aller s'allonger sur un lit, fesses à l'air et attendre la sentence qui ne tardait jamais. Il remontait l'escalier et fouettait la coupable à l'aide d'un élastique de cocotte-minute qu'il avait détaché de son support. Noué d'un côté, il était l'objet de toutes les hantises tant sa souplesse chauffait rudement les fesses.

Donc, pour éviter toute sortie de l'ennemi et objet de son humiliation, je trichais, se cachais mes forfaits dérisoires, faisais “comme si" sachant pertinemment que si je me faisais prendre, il m’en coûterait fort cher.

Parfois, ma mère assistait à la scène. Elle n’intervenait alors que pour assouplir la punition de Laure, qui lui ressemblait tant. Car, il advenait que nous soyons punies toutes les quatre en même temps. Couchées en travers du lit, alignées comme des sardines dans une boîtes, nous attendions avec angoisse que la sentence s’abatte sur nos postérieurs. Je pense que c’était le pire d’ailleurs. La seconde, puis le troisième et enfin la dernière entendaient les coups, les cris et les pleurs des premières et l’attente de son propre châtiment amplifiait les ressentis. Ensuite, nous comparions les coups reçus, plus ou moins forts, plus ou moins nombreux, ceux-ci faisaient l’objet d’une comptabilité jalouse. Sur les fesses de Clara, une pichenette pour le principe, les ainés en déduisaient qu’elle était la favorite ; sur celle de Laure, ma mère calmait le paternel, forcément, c’était « la préférée de sa maman ». Angèle, elle, insolente et moqueuse, recevait des volées de coups qui lui laissaient parfois des marques ecarlates. Elle claironnait qu’elle s’en fichait. La petite fille que j’étais tentait tant bien que mal de fuir l’instant présent et cherchait par tous les moyens de se réfugier dans le futur : « un jour, je serai grande, je m’en irai.».

Nous nous comparions, nous jaugions, tentions de comprendre, de justifier ou contester et de condamner ces différences. A défaut de pourvoir collectionner les preuves d’amour, nous mesurions notre cote auprès de nos parents à la force des frappes qui s’abattaient sur nous !

En même temps que nous grandissions, nous apprenions à nous juger sans juge, à nous combattre discrètement pour le moins mauvais amour ou à nous passer de cet amour quand il faisait trop mal.

Parfois, il se pouvait aussi que nous cherchions à prouver que nous étions la plus détestée des parents : cela conférait à celle qui portait la couronne de martyr une forme de pouvoir : elle était haie ? il fallait compenser ! Et il faut bien avouer qu’Angèle, à ce jeu-là gagnait souvent et, en tant qu’aînée, je me suis souvent contrainte à compenser…

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