Angoisse

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Maman est alitée. Jaune comme un citron. Elle vient de faire une crise d’épilepsie a minima ou un accident vasculaire cérébral peut-être. Le médecin ne se prononce pas. Ce n’est, hélas, pas la première fois que cela se produit mais chaque fois, c’est douloureux… Je l’ai entendue de l’autre bout de la maison et, comme d’habitude j’ai accouru. Je l’ai trouvée trémmulante, le visage serré et aminci, tendue comme un arc, les yeux clos et le côté gauche de la bouche tordue vers le bas. Elle râlait bruyamment.

Immédiatement, je me suis mise à lui parler, à la caresser tout en appelant le médecin pour tenter de la ramener à la conscience. Puis médecin, puis infirmière.

Je dois la surveiller toute la journée, si une nouvelle crise survenait, alors il faudrait appeler le 15. J’ai passé la journée à l’observer, à regarder si le drap se soulevait à l’endroit de la poitrine pour vérifier qu’elle respire tant la teinte de sa peau était inquiétante. Couchée, droite comme un i et les paupières closes, elle préfigure bien ce qui m’attend un mauvais jour. Lorsque l’hôpital a décidé de la renvoyer à la maison il y a quatre ans, j’avais l’impression qu’elle n’était plus de ce monde quand elle dormait tant la ressemblance avec un mort était flagrante… Et puis, on s’habitue doucement. On n’y prend plus garde jusqu’au jour où, à nouveau, le risque réapparaît et de nouveau on a peur, peur de cette mort dont je sais qu’elle est au bout du chemin puisque j’ai pris, il y a cinq ans, la responsabilité d’accompagner Maman jusqu’au bout.

Elle dort, elle respire mal, des émotions passent sur son visage comme nuages dans le ciel fugaces ou accrochés : tristesse, lassitude, peur. Elle dort et ne répond pas à mes appels. Je la laisse tranquille l’oreille aux aguets. Même la chatte est inquiète, elle quitte le lit précipitamment lors des crises, puis reprend place sur son ventre dès que le calme revient. J’ai essayé de la poser à côté de Maman mais rien n’y fait, elle revient systématiquement à cette place, juste sur son ventre. Alors, je laisse faire. Maman ne semble pas souffrir de son poids de chartreux bien nourri. Et la chatte campe sur sa position. Quand je m’approche ses grands yeux dorés me fixent sans détour, têtus.

J’envisage de descendre un matelas pour dormir ce soir au plus près.

J’entends du bruit, je me précipite, elle se lève pour aller aux toilettes. Confuse mais décidée à rester digne jusqu’au bout ; Je l’aide à se mouvoir jusqu’au déambulateur puis jusqu’aux toilettes. Elle murmure « Oh la la la la » en boucle mais demeure dans l’incapacité de me dire si elle a mal. Je n’en sais rien, je suis démunie.

Pour me donner l’impression d’agir, je décide de changer ses draps et son tee-shirt qui ne sentent pas très bon. Je frotte le matelas avec un chiffon imbibé de vinaigre blanc pour chasser les odeurs d’urine. Si je pouvais être aussi efficace avec ses foutues crises !

Dix-huit heures, de grands cris, des appels. Il fait nuit, je cours jusqu’à sa chambre. Nouvelle crise, plus forte, elle convulse et son bras gauche, encore valide je propulse en arrière violemment, une fois, deux fois, sans arrêt. De nouveau, je lui parle doucement, je l’appelle, je lui frotte doucement les épaules, les bras. Je prends son visage entre mes mains pour tenter d’assouplir les contractions qui le déforme. La chatte reste près de moi et circule sur le lit. Elle me donne des petits coups de tête, toute douce, elle qui est pourtant si brusque. Elle passe et repasse ronronnante mais ne se pose pas tant que ma mère n’est pas calmée. J’appelle infirmière et le 15. Je sais qu’ils vont venir la chercher même si elle ne veut pas d’hôpital… Comme j’aimerais respecter sa volonté ! L’infirmière me raisonne doucement : on ne peut pas prendre le risque qu’elle fasse à nouveau une hémorragie cérébrale qui risque la laisser vivante et encore plus handicapée. Elle a raison, au moins d’un point de vue médical, je le sais. Pourtant, depuis quatre ans maintenant Maman me répète sur tous les tons, en toutes occasions qu’elle en a marre et qu’elle veut « partir » comme elle dit. Qui a raison, qui a tort ? Celui qui préconise le droit à décider de sa mort ou celui qui s’accroche au dicton « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » ? Je suis perdue et bien seule. Je laisse les arguments de l'infirmière faire le nid au fond de moi pour le moment au moins.

Petit à petit, les muscles se délient, Maman entrouvre les yeux, si fatiguée, si fatiguée ! Je m’écroule et je pleure tout doucement en la berçant de mots qui viennent tout seuls, une logorrhée libératrice : « Que tu es courageuse ! Quelle chance j’ai d’avoir une mère comme toi. C’est si difficile, je voudrais te garder, tu sais, mais on n’a pas le choix, il faut que tu repartes en ambulance. Aux urgences. Tu as mal ? Ils vont arriver. » Elle ne répond pas, elle me regarde les yeux mi-clos. Elle semble comprendre, on partage la même tristesse, le même découragement… Elle est épuisée.

Puis les pompiers, j’explique tout, puis les voisins, les sœurs, les amis… Je suis vidée et énervée. Je ne dormirai pas ce soir…

Cette nuit, j’appellerai les urgences plusieurs fois. Je ne saurai rien de neuf avant demain matin.

Je ne dors pas, j’attends, et ce sera comme ça, jusqu’au bout de la vie de Maman

Et mes sœurs me haïssent…

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