"Numéro 2" disait mon père

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La seconde de la lignée de quatre filles. Blonde en trichant à peine, possédant réellement des yeux bleus pendant que les trois autres se contentaient de couleurs plus ordinaires, elle articule toute sa vie à la rivalité qui la lie à moi, sa sœur ainée, depuis quasiment sa naissance. Il est vrai qu’elle est née un an pratiquement jour pour jour après moi. De constitution plus robuste que moi, elle a toujours cherché à prendre l’ascendant. Faire mieux que moi ou, à défaut, faire comme moi a toujours été son leitmotiv. Petite fille, elle passait une bonne partie de son temps à tenter de me dominer : se mettre à califourchon sur moi pour me faire des chatouilles dont je ne pouvais me défaire jusqu’à ce que j’en pleure, pousser la porte de ma chambre même si je lui en interdisais l’entrée en plaçant des armoires devant, me jeter des objets à la figure (compas, bouteille de parfum…), fouiller mes armoires et y prendre ce qui l’intéressait, lire mon journal intime d’adolescente puis me jeter à la face le contenu devant mes autres sœurs en se moquant de moi… tout était bon pour chercher à me détruire symboliquement, à défaut de ne pouvoir le faire réellement. Je m’entendais bien avec ma troisième sœur ? il fallait qu’elle s’immisce dans la relation pour tenter de casser l’entente. Elle y parvenait parfois, d’autres fois non. Une vie de guerrière !

Cependant, malgré ce désir évident de s’approprier la place d’ainée, elle avait parfois besoin de moi. Elle appréciait notamment que ce soit moi qui trouve le chemin lorsque nous devions aller à la piscine ou à quelques endroits que nous fréquentions. Elle ne m’en remerciait jamais et je crois bien qu’elle m’en voulait de son incapacité à se diriger seule dans la ville.

Devenue adulte, elle a utilisé à plusieurs reprises mes services pour prendre en charge ses enfants, pour la dépatouiller d’une sordide histoire avec des parents d’élèves et une inspectrice lorsqu’elle était encore en fonction. Elle appelait alors durant des heures pour pleurer, me demander conseils ou de réaménager ses courriers, me demandait d’intervenir directement… Je répondais toujours présente et je sortais de ces échanges, exténuée, rincée et démoralisée car cela ne servait à rien car elle n’écoutait rien. Je suis allée jusqu’à intervenir directement pour la sortir d’un mauvais pas… quitte à aller contre mes convictions. Bref, j’ai passé soixante ans de ma vie à m’excuser d’être l’ainée !

La haine de l’ainé a passé un cran au décès de mon père lorsque pour l’enterrement, elle a refusé que je m’exprime durant la cérémonie. Elle s’est mise en colère en me signifiant que « je cherchais toujours à faire le chef, à faire mon intéressante… ». Je suis partie en pleurs et je n’ai rien dit lors de la cérémonie.

Lorsque je me retourne sur mon passé, je constate que ma vie est parsemée de renoncements liés à son rejet.

Mon père possédait une maison du côté de Perpignan que nous étions censées nous partager en été. S’engageait alors des empoignades parce qu’elle voulait toujours les dates que j’envisageais de prendre. J’ai fini par renoncer à y aller…

Les choses se sont sérieusement dégradées quand ma mère m’a demandé à sortir de la maison de retraite où elle était enfermée depuis ma nomination dans un autre département…. Trop contente qu’elle veuille quitter de ce lieu d’enfermement pour vieux, j’ai accepté de la prendre en charge à son domicile pour qu’elle soit en sécurité. Il fallait adapter la maison, je m’y suis employée tout en menant de front un travail de cadre extrêmement prenant.

Et… j’ai encore pris un volet de bois vert à ce moment-là. J’ai dû accepter qu’elle me dise que je « n’étais pas chez moi mais chez ma mère, qu’elles avaient le droit de s’y rendre quand elles voulaient sans m’en avertir, qu’il leur suffisait que leur mère soit d’accord … ». Ma sœur m’a abreuvé de message SMS tous plus agressifs les uns que les autres. Puis, elle m’a superbement ignorée, venant quand cela lui chantait sans bien sûr me prévenir pour que j’organise mon travail très prenant y compris les week-ends. Il est vrai que cela ne m’a pas trop dérangé car son agressivité d’alors m’a permis de me sentir totalement libre de mon emploi du temps : je ne l’attendais pas et lorsqu’elle venait, je continuais à vivre ma vie : courses, travail, sport… je ne comptais pas avec elle.

Enfin est arrivé le dernier boulet de canon, ce jour terrible où elle m’a carrément accusée de captation d’héritage ! Elle préfère ignorer que chaque mois qui passe, je perds mon salaire d’alors (plus que confortable) et que l'avenir ne sera pas plus radieux : je devrai me contenter d'un budget restreint, d'une pension incomplète jusqu'à la fin de mes jours. Sans la totalité des anuités point de salut !

Pourtant, mon corps ne supportait plus ces surcharges aussi bien temporelles, qu’émotionnelles et physiologiques : hernie discale, brulure troisième degré, insomnies...

J’étais au bord du burn-out, je devais faire un choix.

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