Anna

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Je m’appelle Anna. Il y a longtemps maintenant, j’ai décidé, contre l’avis de mes trois autres sœurs de ne pas envoyer Maman en EPHAD. Il n’était pas question pour moi qu’elle finisse légume dans une chambre qu’on aurait décorée rapidement de quelques misérables clichés pour se donner bonne conscience… Un fauteuil de la maison, une photo de mon père, un bibelot ramené d’un endroit censé provoquer une vive émotion du temps passé et basta ! Bien sûr, on se cache un peu la vérité : que peut dire une personne âgée quand on la somme d’aller mourir ailleurs que sous nos yeux ? Comme le vieil éléphant, elle s’absente de la vie de ses enfants pour éviter d’être un poids, pour qu’ils puissent continuer à être heureux au milieu de ses aspirateurs dernier cri, de la ronde des téléphones portables toujours plus performants, des copains qu’on aime à la folie pour les laisser tomber dès qu’ils sont malades ou traversent une mauvaise passe, du boulot toujours plus prenant, toujours plus maltraitant parce qu’il faut gagner toujours plus. Pour être totalement franche, il n’était alors pas question pour moi de tout prendre en charge seule : nous étions quatre, nous pouvions nous partager un peu. J’étais prête à en accepter la plus lourde charge mais un petit coup de main de temps à autres, ce n’aurait pas été de refus. Un weekend par mois, une semaine ou deux dans l’année. Avec trois sœurs, ce devait être envisageable.

Funeste erreur de calcul ! Plutôt que de me dire qu’elles ne s’en sentaient pas capables, deux d’entre elles ont préféré me vouer aux gémonies. Elles m’ont agressée, m’ont insultée oralement, à l’écrit… Fracture d’amour fraternel, même si j’ai compris les raisons de ce violent rejet, j’en ai terriblement souffert.

Jamais je ne leur ai demandé quoi que ce soit, toujours, j’ai été là pour elles, leurs misères, leurs galères, leurs chagrins compensant à ma manière les manques que je croyais lire en elles. Contre toute attente, elles me tournaient le dos avec une violence inouïe, blessures indélébiles incrustée dans tout mon être.

La dernière, Clara, bien que capable d’un égoïsme d’un bon aloi, daigne venir de temps à autres quand elle estime de son devoir de fille de venir pousser une petite visite à sa mère. Je ne choisis pas, les dates sont celles qui lui conviennent. Si d’aventure j’essaie d’exprimer une préférence, un «Tu n’es jamais contente ! » sec vient clore les débats. Seule à se déplacer une fois tous les deux mois, elle estime qu’elle fait sa part et que, par conséquent je n’ai rien le droit d’objecter.

Depuis cinq ans maintenant, je reste fidèle à ma décision du départ, même y parvenir, j’ai dû renoncer à l’amour de mes sœurs, à un travail qui me plaisait, aux repas entre amis, à une vie plus "fun" et trépidante, aux vacances sans contraintes. Contre vents mauvais et coup de tabac, je maintiens le cap faisant fi des lois de l’apesanteur qui s'abat jour après jour sur mes épaules de sexagénaires.

J’étais seule à prendre cette décision, j’assume seule cette lourde charge jour après jour sans un merci, sans un mot d’excuse de la part de celles qui, pour des raisons diverses, m’ont condamnée sans vergogne.

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