Guillaume

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Voilà !

Encore un matin difficile. Mon corps refuse de bouger, engourdit et fatigué. Cette sensation n'est pas due à un susceptible lendemain de cuite. Non. Elle est provoquée par le choc frontal et imprévu de ma rencontre avec Aline. C'est un sentiment bien pire à éprouver qu'une simple matinée à dessaouler. Passer une nuit blanche à ressasser des souvenirs qui ne se reproduiront jamais, à rêver d'une fille qui ne m'appartient pas est bien plus difficile à supporter qu'une gueule de bois.

Coralie m’a harcelé toute la soirée, de plusieurs appels et messages auxquels je n’ai pas répondu. Je vais éviter du mieux possible d'avoir à lui rendre des comptes. Car c'est ce qui va se passer. Même si j’aime Lili comme si nous étions nés du même ventre, je la connais trop. Lui mentir est tout simplement impossible.

Je n’ai pris en compte qu’un seul message hier soir. Celui d’Aline, ouvert par curiosité puisqu'il a été envoyé avec le téléphone de Nathan. Je ne devrais pas mais, devant mon miroir, je m’apprête avec soin pour la rejoindre. Je choisis avec minutie ma tenue, je soigne ma coupe de cheveux.

Je monte sur mon bijou et abuse avec délice de la vitesse grâce à laquelle je me sens délié de toutes ces chaînes invisibles qui m'emprisonnent.

J’arrive devant la façade discrète de ce café aux allures de bistrot de village. Je me gare et retire mon casque que je serre contre moi. Lorsque j'entre à l'intérieur, je ne mets que quelques secondes pour la trouver.

Pourquoi elle a choisi un lieu pareil ?

Une odeur de café bon marché s'associe à une vue environnante grossière. Des messieurs discutent bruyamment avec une pression dans la main à tout juste dix heures du matin. Un homme d'un âge moins avancé se contente de rester assis seul à une table. Il observe avec attention la page des courses hippiques sur son journal tout en cochant sur une feuille, les numéros susceptibles de lui offrir le jackpot gagnant qui changera sa vie.

Et il y a cette déesse, au beau milieu de ce lieu bien trop masculin à mon goût. Cette image se compare au doux tableau de la Joconde placé dans un salon miteux. Une beauté à couper le souffle dans une pièce qui ne la met pas en valeur.

Je dois occulter ce désir qui monte en moi juste par un simple regard. Si je n'enfouis pas ces sentiments au plus profond de moi, si je ne les fais pas taire, je vais répéter à l'identique mes erreurs passées. Je ne veux pas infliger à Nathan ce que j’ai fait à mon frère. Il en est hors de question, j'ai tiré une grande leçon de mes erreurs.

Oh par pitié, aidez-moi à sortir indemne de ce rendez-vous clandestin.

Aline m'aperçoit et pose aussitôt la tasse qu’elle tient. Elle passe sa main derrière son oreille en me fuyant du regard. Je prends une grande inspiration pour me donner du courage et m'approche d’elle. Je ne lui fais pas la bise. Pas par manque de respect, mais parce qu'il m'est impossible d'effectuer un quelconque contact physique avec elle. Même le plus infime qu'il soit. Je prends donc place sur la chaise face à elle et lui dis juste bonjour.

- Salut, me répond-elle brièvement.

Elle continue d’être distante, comme si j’étais un lépreux qu'il faudrait fuir par tous les moyens. Merde que c’est douloureux ! Un serveur s'approche de nous et me demande ce que je désire boire. Je réponds au jeune homme sans quitter un instant Aline des yeux, j’espère simplement qu’elle daigne me considérer:

- Un café serré, sans sucre…

Elle lève soudain son regard vers moi. Hypnotisé par ses iris envoûtantes, je déglutis difficilement et ajoute:

- Très serré le café... S'il vous plaît !

Il me faut au moins ça pour rester concentré sur cette mise au point.

- Merci d'être venu, commence-t-elle enfin.

- Il n'y a pas de quoi. C'était un passage obligatoire, non ?

Je dois rester ferme et stoïque, car rien n'est possible entre nous à présent.

- Tu as raison mais tu…

Son hésitation soudaine me donne une étrange impression. Elle semble chercher ses mots, ou elle tente de me dire quelque chose de particulier. Elle se reprend et enchaîne avec conviction cette fois-ci:

- Tu comprends que Nathan ne doit rien savoir sur ce qui s'est passé entre nous ?

Je meurs d'envie de lui demander pourquoi elle s'est enfuie à l'aube de cette nuit magique que nous avons passée ensemble. Même si nous avions convenu que cet instant ne serait qu’une passade, j’ai l’intime et vive conviction que nous aurions probablement pu vivre quelque chose de plus sérieux. J’aurai tout au moins pu lui offrir un petit déjeuner...

Je me consume à l'idée de lui demander si elle aime réellement Nathan, afin de me laisser entrevoir l'infime espoir de pouvoir la récupérer pour moi seul. J'ai le besoin viscéral de la questionner sur les derniers mois qu'elle a vécu. Je cherche à savoir si j'ai pu être dans ses pensées ne serait-ce que quelques secondes. Oh, j’aimerai tellement l’entendre me confier que cette nuit à été aussi dévastatrice émotionnellement pour elle que pour moi. Mais je reste silencieux. Le visage de Nathan s’impose devant moi et se calque sur celui de mon frère.

A cet instant même, assis face à cette fille qui a été capable de remettre en doute les fondements même de ma rédemption, j'entreprends de remettre le masque que j'avais osé retirer lors de notre rencontre. Celui qui me protège de l'amour mais surtout de moi-même :

- Il ne s'est rien passé entre nous, Aline. Je ne comptais pas rentrer seul chez moi ce soir-là, c’est juste tombé sur toi. Des cuisses se sont écartées sur mon passage, avant, mais aussi après t’avoir rencontrée.

Les traits de son visage se ferment automatiquement. Mais quel con je fais. Je commence à regretter amèrement la dureté de mes propos. Mais c’est le seul moyen de tenir bon.

- Merci de ta franchise, me répond-elle, aigrie.

- Tu m'as demandé de garder le secret et je le ferai pour le bien de tous. Maintenant je te souhaite d'être heureuse avec Nathan. Vous formez un beau couple.

- Waouh...je...

Elle baisse le regard sur sa tasse et marque une pause. Elle secoue plusieurs fois la tête avec une pointe d'écœurement.

- A quoi d'autre pouvais-je m'attendre… prononce-t-elle dans un murmure.

Elle lève un regard sombre vers moi. Même en colère, son regard est à se damner. Je serai prêt à tomber dans ses yeux et m’y noyer. Une mèche de cheveux rebelle tombe sur son visage et à cet instant, j’aimerai la remettre en place. Bon sang ce qu’elle est belle !

- Je pense que la discussion est close alors ? continue-t-elle avec dignité.

- Tout à fait !

Elle se lève et sort son portefeuille afin de régler. D’un geste de la main, je la stoppe dans son élan.

- Laisse, je m’en occupe.

- Non, c’est pour moi ! répond-elle en me lançant le billet au visage.

Je l’ai mérité !

Elle s'éloigne rapidement et met fin à cet instant douloureux. Je quitte les lieux pleins de remords.

La table est à présent déserte, le thé et le café non consommés, seront les seuls témoins de cette histoire, de cette passion prohibée.

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