L'inconnue

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- Tu es prête ?

La voix de ma tante Adèle, me ramène dans cette maudite réalité. Je secoue la tête et cligne des yeux pour me reprendre. Face au miroir de ma chambre, je rabats une mèche de cheveux derrière mon oreille. Vêtue de sombre, je quitte la pièce.

Durant le trajet qui nous mène à l’église, je réalise que ma tante et sa fille, sont à présent la seule famille qu'il me reste.

Ma mère nous a abandonnés deux ans après ma naissance et en grandissant, je n'ai jamais cherché à la retrouver. Ma relation avec mon père a par conséquent toujours été fusionnelle. Il a toujours veillé à combler les années passées sans repère maternel.

J’essuie avec rage une larme dévalant la pente courbée de ma joue. Mes pieds ne veulent pas quitter le sol.

- Je ne vais pas y arriver ! prononçais-je difficilement.

- Tu es la fille la plus courageuse que je connaisse ! Ce n'est pas un adieu, mais juste un au revoir.

Adèle se poste devant moi et Cindy, à ses côtés, continue :

- Dis-toi qu'il est parti en paix. Sans douleur, dans son sommeil.

Comprenant que rien ni personne ne pourra m'aider aujourd'hui, Adèle prend ma main et me tire doucement vers l'intérieur.

Le déroulement de cette cérémonie est aussi tragique qu'hypocrite. C'est du moins mon humble avis. Il est certes un peu tranchant mais c'est ce que je ressens. Mon père n'a jamais été croyant et ne connaissait même pas le prêtre qui officie aujourd'hui. Ce dernier débite un discours bien rodé sur les qualités de mon père, citées par ma tante bien avant la cérémonie. Quelques versets sont lus à des fins apaisantes pour les personnes présentes, mais pas pour moi. Rien de ce qui sera dit ou entrepris dans cette église ne me sera utile pour calmer ma peine.

Nous arrivons ensuite à la partie l'enterrement la plus difficile. La mise en terre du seul homme de ma vie. Cet instant est bien trop dur à supporter, je n'arrive pas à faire semblant d'être attentive ni aux amis de mon père, de ses collègues de travail. J'observe juste ce cercueil en chêne massif qui tombe lentement dans un trou. Pour l'éternité.

Je reste figée face à cette tombe. En levant mon regard pour trouver ma tante, je réalise que les invités sont partis. Toutes deux un parapluie en main, aussi sombres que leurs tenues. Depuis trois jours, une pluie battante ne cesse de tomber. Même le temps est à l'image de mon moral en berne.

- Rentrons ma chérie, prononce Adèle avec cette douceur qui la caractérise si bien.

Ses cheveux blonds, dressés en un chignon haut et sa longue robe noire, lui donnent un air strict. L'image inverse de ce qu'elle est en temps normal.

- Allez-y, j'ai besoin de rester encore un peu. Je rentrerai en taxi.

- Tu es sûre que ça va aller ? m'interroge Cindy, inquiète.

J'acquiesce d'un signe de tête résolu et elle n'insiste pas et me tends son parapluie. Je me sens si affaiblie par toute cette peine que je lâche le parapluie au sol.

Mais ce qu'il y a de plus douloureux dans tout ça, c'est cette sensation de culpabilité étouffante. Je suis fautive, je n’ai pas été présente ce soir-là. Je n'ai pas pris soin de lui comme il le faisait avec moi. Si j'avais été à ses côtés, j'aurais pu lui porter secours. Réagir à temps lors de cet infarctus lui aurait probablement sauvé la vie. Mais pendant que mon père rendait son dernier souffle, j'étais dans le lit d'un inconnu.

Je prenais du plaisir dans les bras d’un homme alors que, celui à qui je dois tout, quittait ce monde.

Je me déteste pour ça.

La plus belle nuit de ma vie m'a offert le pire des lendemains.

- Pardonne-moi papa, prononce-je sanglotante.

Je m'effondre en larmes, genoux au sol. Mes vêtements sont à présent mouillés et pèsent lourdement sur mon corps. Mes cheveux se collent sur mon visage.

Je ne sens plus aucune goutte d’eau sur moi. Pourtant la pluie bat toujours son plein. Je peux entendre le bruit omniprésent de l'eau qui tombe au sol et de la fraîcheur humide qu'elle dégage. Je réalise en levant la tête que je suis protégée par mon parapluie. Mes yeux se posent sur la ligne d'un bras masculin qui maintient avec poigne l’objet.

- Pardonnez-moi mais je ne pouvais pas vous laisser dans cet état. Vous allez tomber malade.

Lorsque mon regard se pose sur un jeune homme que je ne connais pas, mon cœur se met à battre au ralenti car je repense étrangement à mon inconnu. Je cligne des paupières et le remercie timidement.

- C'etait un homme bien, continu t-il d'une voix chaleureuse.

- Vous le connaissiez ? je demande en baissant les yeux.

- J’avais des travaux à faire chez moi et j’ai employé la société dans laquelle votre père travaillait. Il est venu pendant deux semaines. Nous avons souvent discuté pendant ses pauses déjeuner. Et quand j’ai su ce qu’il lui était arrivé, je me devais d’être présent aujourd’hui.

Je reste silencieuse et repense à cet homme qui m’a aidé à grandir et m’épanouir. Maçon, il préférait travailler pour les autres, se refusant à ouvrir sa propre boite. Il était du genre à fuir les responsabilités professionnelles pour mieux se concentrer sur son travail qui le passionnait.

- C’est trop dur ! je me confie sanglotante.

- Je vous comprends. Ma petite sœur se trouve là, non loin de votre père.

Il me désigne d’une autre main une stèle de marbre blanc, fleurie avec attention à seulement quelques mètre de nous. Il continue d’une voix triste :

- Elle est partie il y a presque un an. On s’habitue à la douleur, on apprend même à vivre avec.

La pluie semble cesser de tomber, mais le ciel est toujours aussi sombre.

- Ma mission semble être arrivée à son terme, me dit-il en observant le ciel.

Il replie mon parapluie et le sourire qu’il pose sur moi me réchauffe.

- N'oubliez jamais qu'après la pluie vient le beau temps, ajoute-t-il.

Il ne semble pas vouloir partir. Ou du moins me laisser ainsi. Je décide donc de me lever et lisse mon bas de pantalon malgré sa lourdeur.

Oubliant complètement le froid qui pénètre ma peau à cause de mes vêtements mouillés, je lui réponds:

- Il faut croire que c’est vrai...

- Vous grelottez, tenez prenez ma veste !

Sous mes yeux étonnés, il pose le parapluie à mes pieds et se dévêtit.

- Mais qu’est-ce que…

- Prends-la, tu vas attraper froid ! Tu es complètement trempée ! m’interrompt-il avec assurance.

Son tutoiement ne me dérange absolument pas. Après tout, nous avons semble t-il le même âge. Je souris mais reste gênée:

- Mais non ! Je ne peux pas accepter, je ne pourrais pas te la rendre.

- Je viens me recueillir ici chaque fin de semaine, on aura l'occasion de se recroiser. J'insiste !

Ces maudits frissons ont raison de moi et je capitule hésitante:

- Merci…

Elle est encore chaude à l'intérieur et sent bon la lessive, mes yeux se ferment pour profiter de cet instant réconfortant.

- Je te laisse et peut-être à bientôt… ?

Le ton qu’il emploie me laisse entendre qu’il désire connaître mon prénom. Reconnaissante je lui réponds:

- Aline, moi c’est Aline.

- Alors à bientôt Aline !

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