L'inconnue

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Le réveil dans les bras de cet apollon se fait en douceur. J’observe avec insistance son visage endormi, à moitié éclairé par la faible lueur du soleil qui filtre à travers les volets à demi-clos. Un halo aussi sombre que lumineux l'enveloppe.

Appuyée contre son torse robuste, j'écoute la lenteur de sa respiration et profite de ce moment de calme matinal. J'aimerai toucher ses lèvres du bout des miennes encore une fois. Caresser de mes mains sa fine barbe. J’ai envie de frôler de mes doigts son petit grain de beauté situé au coin de son œil gauche, mais je n'en fais rien. Je me contiens afin de le laisser en paix.

Je n'arrive toujours pas à réaliser l'ampleur positive que cette nuit a eu sur moi. J'ai éprouvé des sensations nouvelles et découvert une partie audacieuse cachée en moi. J'ai été désirée, caressée, respectée.

Maintenant que j'ai eu matière à comparer, je repense à Devon, qui n'a absolument aucune raison de se vanter. Autant de ses très faibles atouts physiques que par sa façon de considérer les femmes. Cela le rend si pathétique que j'en souris.

La page est enfin tournée !

Grâce à cet inconnu.

J'ai entendu dire que toutes les bonnes choses ont une fin. Cette nuit magique se termine. Je me lève à contre-cœur et décide de graver en moi cette image. Ce corps si tentant et ce doux visage que je ne reverrai peut-être jamais. J'aurai tellement aimé que cet instant dure plus longtemps, que son désir pour moi et cette puissance avec laquelle il m'a considérée sans porter ni jugement ni mauvais traitement, durent bien au-delà d'une seule nuit. Mais ainsi va la vie. Je tiens ma promesse, celle de laisser le destin maître de la situation.

Je décale son bras, qui me fait obstacle, le plus discrètement possible lorsque mes yeux s’attardent sur sa main gauche.

Mon sang se met à bouillir. Je n’arrive pas à croire ce que je vois !

En début de soirée, avec l’obscurité de la ruelle, je n’avais pas vu d’alliance sur son annulaire. Mais là, j'aperçois une marque blanche. Signe qu’une bague a déjà été posée à cet endroit et suffisamment longtemps pour qu’elle laisse une trace. Mais qui est-il ? Un séducteur en puissance ou un menteur confirmé ?

Je sors du lit le plus lentement possible, le visage fermé. Silencieuse, je remets mes vêtements à la hâte. Je ne veux pas m'attarder sinon, je ne répondrai plus de mes actes. L’envie de lui jeter un oreiller en pleine figure me prend. Je serais prête à lui demander de me rendre des comptes, mais quelle idiote. Je me retrouve à faire une crise de jalousie à un homme endormi dont je ne connais strictement rien sur sa vie. Je ne veux surtout pas redevenir la même hystérique que j’étais avec Dévon, tant la jalousie et le manque de confiance me hantaient. Je sais pertinemment que je ne suis qu'un coup d'un soir, c’était notre arrangement.

Je récupère ma pochette en catimini et me dirige vers la porte d'entrée. Lorsque mes pieds foulent le sol extérieur, je débouche dans une ruelle inconnue. La brise matinale frôle mon visage, il fait relativement frais en ce début de saison. Je me réchauffe en frictionnant machinalement mes bras puis récupère mon téléphone pour appeler un taxi. Je cherche le nom de la rue sur quelques mètres et réalise qu’elle se situe en plein centre ville. Je retrouve enfin mes repères, j’attends mon chauffeur près d’une fontaine après l’avoir prévenu.

Le ciel s'assombrit et une averse menace de ternir le peu de lumière que le soleil levant nous offrait. Je monte à l’arrière du véhicule et indique au conducteur la direction à prendre. Le front collé à la vitre froide, je regarde le paysage devenu pluvieux défiler sous mes yeux légèrement endormis. Les lumières des phares des voitures et les lampadaires qui éclairent la chaussée humide, s'ajoutent à l'obscurité et m'offrent un magnifique panache de couleurs. Au cours du trajet qui me ramène chez mon père, mon esprit se met à revivre mentalement toutes ces sensations érotiques que j’ai éprouvées cette nuit, et je tente avec difficulté de ne pas sombrer dans l'obsession. Je dois reprendre le cours de ma vie et tout oublier.

- Nous sommes arrivés ma petite dame ! m'informe le chauffeur.

J'ouvre les yeux puis je récupère mon portefeuille dans mon sac, mais c’est un morceau de serviette en papier que je trouve en premier. Je secoue la tête et relie ce mot:

Veuillez accepter ce verre en signe d'excuse, ce n’est pas tous les jours que je manque de percuter une aussi jolie demoiselle…

Les paupières closes, je ressasse alors chaque instant passé avec lui. Je répète en boucle chaque mot doux ou coquin qu'il a prononcé et exhaussé. Je ré-imagine ses mains posées sur mon corps telle une plume caressant mon épiderme. Ses va-et-vient en moi comparables à une houle marine, puissamment vivifiante. Et ses lèvres comblant chaque partie délaissée de mon corps. Je me refuse à penser qu’il est encore marié. Cela ne colle pas avec ce que j’ai vécu ce soir, ni avec une de ses confessions faite pendant notre discussion.

Je me reprends face à l’impatience du chauffeur qui souffle. Je règle et sort du véhicule. J'attrape mon jeu de clés et me dirige vers la maison. J’y pénètre en silence. Je présage qu'à cette heure, mon père doit encore dormir.

Pourtant, j'entends la télévision dans le salon. Je m'y dirige à pas de loup et observe mon cher papa endormi sur le canapé. Ce n'est pas la première fois que je le vois ainsi. Il a sûrement dû passer la soirée à m'attendre et n'a pas su résister aux bras de Morphée. Le sourire aux lèvres, je récupère un plaid près de lui et le couvre avec attention. Mais soudain, une de ses mains tombe lourdement à terre. Je l'attrape et la repose assez difficilement sur son torse. La froideur de sa peau et la raideur de son corps m'inquiètent.

Mon cœur s’emballe, je pose ma main sur son front qui est aussi frigorifié puis, le secoue gentiment.

- Papa !

Aucun mouvement. Aucune réponse. Aucun souffle. Mais j’insiste :

- Papa !

Je me penche vers lui et écoute sa respiration. Non. Non. Ce n’est pas possible. Je prends son pouls mais je ne le sens pas. Rien ! Mon corps entier se crispe. Mes gestes sont tremblants. Mes jambes se dérobent et je tombe à genoux.

- Papa ! Papa ! Réveille-toi ! Je t'en supplie !

Je ne veux pas admettre qu'il ne se réveillera plus jamais. Je ne suis pas prête ! Prise de violents spasmes, je m'effondre sous le poids du fléau qui s'abat sur moi. Les battements de mon cœur s'amplifient, la douleur est tellement vive que je crie. Je hurle à pleins poumons la tristesse qui émane de mon cœur en lambeaux.

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