L'inconnue

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Je fais face à sa moto, le visage pâle.

La peur de monter dessus me noue le ventre. Mais je ne veux rien laisser paraître. Il me tend un casque, qu’il récupère dans un petit caisson à l’arrière de sa moto. Il est tout noir avec une fine ligne rose horizontale. C’est un casque féminin et je ne sais pas quoi penser. Je tente maladroitement de le mettre et de l’attacher comme je peux. Mais pleins de questions se bousculent dans ma tête avec entre autres : est-ce le casque d’une de ses ex ? Ou est-il actuellement en couple ? Cela ferait de moi l’objet d’un adultère !

C’est ce qui arrive lorsqu’on accepte de partir à l'aventure et de rentrer avec une personne qu’on ne connaît pas. Je continue de cogiter et n’arrive toujours pas à attacher ce fichu casque. Je perd patience. Mes doigts se crispent autour de la lanière. Tout à coup, je sens les mains de mon inconnu se poser sur les miennes. Je relève la tête et le voit étirer ses lèvres avec amusement. Son visage est si bienveillant que j’oublie tout le temps d’un instant :

- Laisse moi t’aider…

Il baisse les bras une fois fini et j’en profite pour jeter un œil curieux sur son annulaire gauche. Pas de bague ! Soulagée, je retrouve son regard qui ne m’a pas quitté. Son visage s’approche du mien, l’air entre nos deux bouche se raréfie, se réchauffe. Je n'attends plus qu’une chose. Une seule chose. C’est qu’il m’embrasse. Ici et maintenant. Quelques jeunes sortent du bar en groupe, ils crient et rigolent. Ils passent près de nous et viennent interrompre cet instant. Laissant derrière eux un silence pesant.

Il est aussi frustré que moi, son soupire en dit long.

Il m’invite à m'asseoir sur sa moto et nous prenons la route jusqu'à chez lui sans attendre une seconde de plus. Nous entrons ensuite dans son appartement en silence, puis il s'éloigne. Perdue au milieu de son salon, je me surprends à douter de ma venue ici. Mais lorsqu’il se rapproche de moi, je récupère le verre de vin blanc qu'il me tend et toutes mes incertitudes s’effacent. Sous son air bienveillant, j'ai la sensation agréable d'enfin exister en tant que femme.

Ce soir, je suis juste une jeune fille qui profite de la vie. Il n’y a pas de mal à ça. Et puis, il est si respectueux et attentif, que cela joue en sa faveur. Pour la première fois de ma vie je décide de lâcher prise, d'être moi-même sans m'impliquer réellement et ce point de vue me plait fortement.

- Trinquons demoiselle, à cette rencontre fortuite qui aura eu l'effet de pimenter cette soirée, prononce-t-il suavement.

Son sourire en coin s'agrandit et illumine son regard malicieux.

Le tintement des verres se fait entendre et vient aider mon regard à se détacher de sa bouche pour l'amener vers ses yeux. Je ne sais absolument pas quoi faire dans ce genre de cas et c'est très embarrassant. Je prends par conséquent le temps d'observer la pièce dans laquelle nous sommes et ressens le vide qui nous entoure. Aucune marque de possession des lieux se fait ressentir, contre le mur principal de la pièce, plusieurs cartons sont soigneusement empilés les uns sur les autres avec soin. Il y a juste une plante verte qui fait office d'un semblant de décoration, près du canapé d'angle. Seul meuble imposant de la pièce. Il paraît, soit sur le départ, soit sur le point d'amménager et comme s'il appréhendait mes pensées il m'informe :

- Je déménage, je viens d'acheter une maison plus en retrait du centre ville, ici ce n'était qu'une location.

Il s'approche de moi lentement, avec une allure beaucoup trop tentatrice. Il passe une main dans mes cheveux et dégage mon visage. Ce geste me fait l'effet d'une bombe.

- Nous sommes bien d'accord sur le fondement sans lendemain de notre relation ? je lui demande subitement.

C'est idiot je sais, mais je ne peux m'empêcher de sortir cette phrase stupide tellement je suis nerveuse. Je suis en train de tuer le peu de romantisme qu'il pouvait y avoir dans ce salon. Mais j'ai besoin d'être sûre qu'aucune implication affective ne viendra entacher ce moment. Il semble amusé par ma question, mais je n’ai pas l’impression qu’il se moque:

- Juste une nuit promis, mais je dois avouer que j’aimerai bien mettre un nom sur ce visage si doux.

- Tu crois au destin ?

Il me sourit, s'assoit sur le canapé et me fait signe de le rejoindre. Ce que je fais sans hésitation et pourtant le stress de cette situation initiatique pour moi ne m’aide pas. Je pose des questions uniquement pour me rassurer. Il m'observe avec sagesse et me répond :

- Je ne crois en rien et encore moins au destin ! Nous sommes tous maîtres de nos vies, un seul geste, une seule décision a une conséquence directe sur notre avenir. Bonne ou mauvaise. Le reste n’est qu’une suite logique.

- Tu me paraît bien morose pour ton âge, je constate.

- Je suis simplement réaliste. La vie est sombre.

Un long soupir s’échappe de sa bouche, puis il finit son verre d’une traite.

- J'ai pourtant l'impression que malgré toute cette obscurité, se cache une âme sincère.

- Crois-moi jolie demoiselle je ne suis plus qu’une coquille vide.

Il pose son verre, le regard abattu. Je ne sais pas si l'alcool parle pour nous deux mais quelque chose d'étrange se passe. Nous sommes tous les deux poussés par un élan. De confession pour lui et d'attirance pour ma part. Je ne le connais pas et pourtant, je pose ma main sur son cœur et en ressent parfaitement les battements agités. Je réponds:

- Un coeur qui bat est une âme qui respire.

Il pose sa main sur la mienne, qui n'a pas bougé de son torse Il s'approche lentement de mon visage. Nos lèvres ne sont plus qu’à quelques centimètres l’une de l’autre. Il ancre avec intensité son regard au mien comme pour me demander l'autorisation d'avancer. La paume de son autre main se pose tendrement sur ma joue droite et je manque d'air.

- Cette candeur en toi est précieuse, protège-là. prononce-t-il à voix basse.

- Je te l’offre ce soir !

Cette tension électrique m'affaiblit. Nous continuons de nous observer intensément, en silence, mais son regard s’obscurcit encore plus qu'il ne l'était déjà. Mon bas ventre frémit d'autant plus lorsque nos souffles se mélangent. Mes mains deviennent moites, mon cœur s'accélère et je perds le peu d’assurance qui me restait.

Je me rends compte qu'il n'y a plus d'échappatoire possible lorsque ses lèvres chaudes se posent tendrement sur les miennes. Ce contact salvateur, rassurant, attise et décuple mon désir. Ses gestes sont à la fois doux et entreprenants. A travers son assurance et cette maîtrise de lui-même, je prends conscience que cet homme sera capable de m'emmener vers des endroits inconnus. De me perdre dans les tréfonds de mon propre désir ascendant. Envoûtée, hypnotisée, je perds le contrôle sur la raison et je me laisse à présent guider par la passion. Cette nuit sera la plus belle de ma vie, je le sens, je le sais. Personne ne m'a jamais embrassée de la sorte. Ce motard fou aura eu raison de la raison elle-même …

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