L'inconnue

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- Alors ? J'espère que ton coup de téléphone valait la peine que tu nous abandonnes, ironise Sabine.

- Heu... c'est un peu compliqué…

- Tu n'as pas changé depuis tout ce temps. Tu es toujours aussi effacée qu'avant, ajoute sa sœur.

Je souris timidement. Effacée ? Moi ? Il est vrai que je suis de nature discrète, surtout auprès des personnes dont je ne me sens pas proche, mais je ne suis pas invisible non plus. Je regrette amèrement d'avoir accepté de sortir avec ces deux filles qui semblent participer à mon procès en me jugeant.

Nous étions voisines plus jeunes, nous allions à la même école en primaire et au collège, mais nous nous sommes perdues de vue lorsque j'ai quitté la France il y a six ans. Et je me rends compte ce soir, que nous sommes devenues de véritables inconnues. Les petites filles que nous étions ont toutes pris des chemins bien différents.

Cette soirée est comparable à une sorte de retrouvaille imposée purement cordiale, à laquelle j'ai accepté d'aller pour faire plaisir à mon père. Ce dernier, et je le cite : s'inquiète de ne pas me voir " sociabiliser avec des gens" depuis mon retour.

Je suis partie vivre au Canada afin de terminer mon cursus scolaire à l'étranger. J'ai obtenu mon diplôme de Marketing international et maintenant, je suis de retour dans ma ville natale. Je suis arrivée il y a tout juste une semaine, de façon impromptue, voire quasiment pittoresque, avec une seule petite valise de cabine. Tous mes projets de vie à Montréal ont basculé en un claquement de doigt.

Julia et Sabine, qui ne connaissent absolument pas les vraies raisons de mon retour, ont souhaité fêter ça dans ce bar que je découvre. Je les écoute, les observe, mais une petite voix me réprimande. J'aurai dû profiter de ce fichu coup de téléphone pour m'éclipser, ni vue ni connue.

Je me laisse envahir par mes pensées en quittant mentalement cette tablée. La voix de Devon à travers mon téléphone me revient en tête. Il m’a supplié de revenir avec lui, de rentrer chez nous, de lui laisser une autre chance, qu'il ne commettra plus jamais d'erreur. Mais le mal est fait. La confiance que j'avais en lui n'existe plus.

Et pourtant je connaissais bien ce personnage atypique, pâle copie du prince charmant dans Shrek. Un corps d'athlète, une chevelure mi-longue et parfaitement dorée qui peut vous séduire en un temps record. Mais la ressemblance physique ne s'arrête pas là. Leurs traits de caractère aussi sont similaires. Il fait partie des personnes avides de reconnaissance et de réussite, prêt à tout pour être sur le devant de la scène. Son ego est incommensurable.

Plus les jours passent, plus ma colère grandit et moins je comprends les raisons qui m'ont poussées à l'aimer et à vouloir m’installer avec lui. L'amour et surtout la peur de finir seule, ne m'ont pas rendu aveugle mais stupide. Il m’a transformé en une personne peu sûre d’elle, incapable de prendre les bonnes décisions. Le quitter est la meilleure chose que j’ai pu faire depuis longtemps. Cette décision a été dure à prendre car il m'a fallu une suite d'erreurs, de mensonges et de tromperies pour comprendre, pour réagir. Mais la fierté que j'éprouve à m’être émancipée n’a pas de prix.

Je secoue la tête afin de ne plus me laisser dominer par la rancœur et tente de revenir auprès de celles qui me servent faussement d'amie mais je n'y arrive pas. Plusieurs minutes s'écoulent et je cherche désespérément un moyen d'écourter cette soirée ennuyeuse. Un serveur s'approche nonchalamment de nous et à ma grande surprise, dépose devant moi, un cocktail.

- Un Gin Kiss pour vous. Avec les compliments du jeune homme au comptoir, me dit-il en le désignant du regard.

J’observe un bellâtre tout vêtu de couleurs sombres, assis sur un tabouret. Ce dernier lève son verre dans ma direction. De là où je suis, son sourire charmeur laisse entrevoir des dents parfaitement blanches et alignées.

- Et bien, tu viens d’attirer le regard du plus beau parti de la soirée ! me lance Julia, aussi étonnée qu’ aigrie.

Quelle jalouse !

Mais heureusement pour elle, je ne suis pas entreprenante avec les hommes ni douée pour la séduction. Je l'offre à Julia avec un sourire forcé et un ton faussement mielleux:

- Je te le laisse volontiers...

Mais le serveur insiste pour que je le garde et me tends une petite serviette en papier sur lequel est griffonné un mot à mon intention.

Je le lis et fronce les sourcils, mon cœur s'agite. Je me lève de mon siège et me dirige instinctivement vers lui. Les bras croisés sous la poitrine, je me poste devant l'intéressé et le jauge. Son regard satisfait me fait finalement hésiter. De près et sans son casque, il est déstabilisant. Note à moi-même: réfléchis avant d’agir la prochaine fois ! Et pourquoi mon sang se met à bouillir alors qu'il n'est en rien coupable de ma maladresse. Je me pointe comme une fleur alors que j'aurais dû faire profil bas. Il est trop tard. Je me reprends et maintient le cap :

- Alors c’est toi le motard fou ? dis-je d'un ton sec.

Monsieur parfait esquisse un sourire en coin.

- Et toi la piétonne étourdie ? On oublie toute civilité en passant directement aux choses sérieuses, j'aime beaucoup ça !

Je suis en tachycardie. Mon pouls s'accélère mais j'ignore si c'est de colère face à son aplomb ou si c'est à cause de cette chaleur qui émane de lui, de sa voix.

- Pourquoi m'avoir offert ce verre ?

- Parce que j'en avais envie tout simplement. J'aimerais connaître un peu mieux cette jolie fille inattentive à la signalisation !

Sa franchise me désarçonne et je suis incapable de la moindre réaction. Il tapote le siège vide à sa droite et continue :

- Assieds-toi quelques minutes ! Je pense que tu as besoin de te détendre...

Je tourne la tête quelques secondes vers mes amies afin de trouver un repère ou un soutien invisible mais je réalise qu'elles ne se sont même pas aperçues de mon absence.

Désormais seule face à cet homme, je ne sais pas si je dois fuir toute tentative de rapprochement ou bien rester ici, boire un verre et discuter avec lui pour rendre cette soirée plus divertissante. Amusé devant mon dilemne il ajoute:

- Je saurais te tenir compagnie mieux qu’elles, c'est promis !

Quel sens de l'observation. Il est aussi beau que fin limier. Qu'est-ce que je fais maintenant ?

Je pars ou je reste ?

Je pars ou je reste ?

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