Le tuktuk et la révolution du crochet

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C’est en passant par République que je décide de faire un crochet. La nuit est tombée depuis un bon moment, le brouhaha du métro en fond sonore m’endort à moitié tandis que mon estomac proteste de plus en plus vigoureusement. Je la connais, si elle n’obtient pas son dû, ma panse finira par occuper toutes mes pensées et alors, adieu Morphée… Qu’à cela ne tienne, un casse-dalle de minuit n’a jamais tué personne et vu l’écho que me renvoyait mon frigo ce matin, l’option restau est la seule qui me reste à cette heure tardive. Ça, ou manger ma main, mais je ne suis pas sûre que cela soit très digeste.

Pour une fois, la station n’est pas un capharnaüm de gens pressés et malpolis. J’arrive à remonter à la surface sans devoir jouer des coudes, et retrouve l’air frais qui me réveille quelque peu. J’erre mollement le long des boulevards à la recherche d’un petit bistrot accueillant et pas trop animé. « La Révolution », voilà qui sonne bien. Un peu d’imagination n’aurait pas fait de mal pour un restau à République mais qui sait, peut-être ont-ils révolutionné les sempiternelles pâtes au fromage, les seules à ne pas contenir un morceau de bidoche dans cette maudite ville. Paris et les végétariens ne font décidemment pas bon ménage.

La porte passée, je cligne plusieurs fois des yeux dans le doute. Non non, c’est bien un immense calamar en plastique qui me dévisage d’un air peu amène. Soit… Tant qu’ils n’en mettent pas dans mon assiette, moi, ça me va. Un serveur à l’air dégingandé et sapé tout en noir me conduit à une table dans le fond de la salle. Parfait, il n’y a qu’un petit groupe de trois jeunes et un vieillard à moitié endormi dans son verre de vin. Ce casse-dalle commence pas trop mal tout compte fait. Sur le menu, je remarque avec amusement les pirates, bateaux, coffres aux trésors et autres joyeusetés dessinées ça et là. Ils ont de l’humour par ici. Quant au lien avec la révolution, soit la blague m’échappe, soit le propriétaire était trop flemmard à l’ouverture pour se creuser un peu la cervelle. A mon plus grand plaisir, la carte foisonne de plats aux légumes : lasagnes, gratins, pizzas, soupes, pâtes… un vrai paradis. Le tout avec des noms tirés des contes et romans à succès : la Peter Pan, la Crusoë, la Barbe Rousse ou encore la Davy Jones. Tiens, la Capitaine Crochet n’a pas l’air mal. Effectivement, rien qu’à l’odeur, je sais que j’ai fait le bon choix. Ils sont même allés jusqu’à ajouter des bâtonnets en forme de crochet dans l’assiette, quel sens du détail. La première bouchée m’explose de délices sur le palais. Séduite, je savoure le plat avec délectation, c’est même si bon que je prends en dessert l’Île du Crâne, dont je ne laisse pas non plus une miette.

Repue et l’addition payée, je me dirige vers la porte de sortie dans le fond de la salle quand j’entends le serveur crier :

- Madame, attendez !

Le temps que mon cerveau somnolent, trop occupé à digérer, comprenne le message, je suis déjà dehors. Je pivote pour faire demi-tour quand je dois bondir en arrière pour éviter de me faire écraser par un tuktuk rouge brique lancé à fond de balle.

- Oui, vous m’avez…

Attends, quoi ? UN TUKTUK ? Grand soleil, chaleur écrasante, poussière partout et un vacarme à s’en faire saigner les oreilles. Mais je suis où là ?

- Madame, il faut ressortir par là où vous êtes entrée.

- Ah oui, oui, d’accord, oui, bien sûr...

Sidérée, je suis la grande asperge vers la porte d’entrée et retrouve l’air piquant de la nuit parisienne. C’est là que ça fait tilt : je me retourne vivement pour demander des explications et me retrouve face à un mur recouvert de tags de vaisseaux spatiaux, de nanas les seins à l’air et de gilets jaunes cartoonesques. Je reste plantée là quelques minutes, pas très sûre de ce qu’il vient de m’arriver. Je pense que je ferais mieux d’aller me coucher.



Les 3 mots de la semaine :

- Tuktuk

- Crochet

- Révolution

Texte inspiré par les dessins des participant·es au défi

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