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Formant un triangle, ils montèrent jusqu’au plus haut, et déjà le paysage changea. Les grands acacias et sapins se transformèrent en une multitudes d’arbres que Suan ne parvenait pas à reconnaître. C’était un entrelacs de racine qui courrait au sol, des troncs emmêlés à ne plus savoir lequel supportait les autres et des guirlandes de lianes et de cheveux. Une jungle, pensa-t-il en se rappelant des histoires que les vieillards racontaient au village. Il aurait voulu s’arrêter pour admirer un peu plus la végétation, mais les filles ne perdraient pas une seconde, alors il contempla le tout sans regarder où il marchait. Une dizaine de pas plus tard et accablé par l’odeur de sang qui semblait provenir de la terre, Suan ripa sur l’herbe et avant que sa voix n’alerte ses compagnes, il glissa sur le postérieur, emportant dans sa chute Analoum. Elle partit en arrière laissant échapper un son désaccordé de sa bouche, suivi de près par un juron qu’elle seul connaissait. La glissade se prolongea sur une dizaine de mètres plus bas, les torches brandies au-dessus de leurs têtes. Trysol courrait derrière eux. Elle tenta à deux reprises d’attraper Suan au col, mais à chaque fois un centimètre les empêchés. Après plusieurs roulés-boulés désastreux, et un visage tout crotté, Suan et Analoum trouvèrent l’appuie d’une racine. Leurs pieds crochetés au bois, ils fléchirent leurs genoux et envoyèrent tout leur poids en arrière, contre le sol, pour ne surtout pas rebondir et faire une pirouette de l’autre côté de la racine. L’un sur l’autre, les jambes et les bras noués, ils contrôlèrent leur envie de crier en se délivrant de l’autre et éviter d’ameuter de futur problèmes.

Debout, la brune lui lança un regard assassin. Ce fut à deux centimètres de son faciès cochonné qu’elle le matraqua d’injure aussi colorés les unes que les autres. Suan se força à ne surtout pas pincer ses lèvres. Il n’avait pas l’intention, d’en plus, embrasser par rage celle qu’il avait envie d’assommer à coup de lianes. Trysol ne prononça pas un mot pour faire cesser la querelle. Elle passa à côté d’eux, résignée à assister à ce genre de scènes alors que leur quête ne se prêtait guère à de telles acrobaties burlesques.

Suan endura la fatigue et la colère d’Analoum qui une fois détournait de lui trouva la force de s’empêtrer dans une tresse végétale. Elle s’étala comme un gros sac inélégant face contre terre. Le jeune homme l’enjamba, reprit sa hallebarde qui s’était clouée à un tronc plus loin.

Xin-Shen le suivit en secouant la tête.

— Au moins, l’univers n’a pas oublié de saupoudrait notre aventure de quelques mots comme celui-là. J’étais bien sûre que ça finirait mal.

Suan se retourna sur elle.

— Mal ? Je me suis fait insulté de mots que je ne connais même pas.

Il soupira, amena la flamme près de son visage. La chaleur orangée lui offrit ce calme qui apaisa son cœur. Seulement, l’odeur de fumée ne parvint pas à éliminer celle du sang putride que chacun pouvait sentir. N’était-ce pas une ville entière qui avait périe ici, pour que le parfum de la mort soit si peu respirable ? Le visage fermé de ses compagnes décida Suan à garder le silence. L’atmosphère pesait déjà bien trop lourd sur leur tête, ne valait-il mieux pas ouvrir un peu plus les vannes de colères qu’Analoum retenait difficilement. Il ressentait ce tout qui lui pesait dans l’âme. Il distinguait nettement ce cri déchirant qui habitait son cœur et cette question qui tournait en boucle : les retrouvera-t-on ?

Suan avait une réponse des plus écœurantes à lui donner, bien sûr que leurs frères mourraient. Ils étaient peut-être déjà morts, leurs sangs rejoignant la terre imbibée pour une décennie entière à l’instar du sol de son village noyé par les flots du ciel.

— À quoi penses-tu ?

Xin-Shen bailla, tout en se retenant contre lui.

— Je me sens étrange, murmura-t-il pour que seule Grenouille puisse l’entendre. Je ne serais pas expliquée, mais j’entends des choses dans le cœur des autres. Il n’y a pas que le sang que je sens. C’est des odeurs à n’en plus finir.

Il s’arrêta, inspira. Ce qu’il avait à dire à sa sœur restait coincé dans le fond de sa gorge, pourtant, il parvint à le bredouiller quand elle glissa ses doigts dans sa main.

— Je… ton parfum. Je pensais l’avoir perdu à jamais. Ce doux mélange de chauve et de ségles. Un peu poudré et citronné. Est-ce que même mort nous arborant encore notre odeur de mortel ?

— Je ne sais pas, Suan. Je n’ai plus d’odora depuis longtemps.

— Xin-Shen. Tout à l’heure dans la chambre, tu avais peur de moi. Pourquoi ?

— Je n’ai pas peur de toi, mais de ce que tu gardes à l’intérieure.

Elle pointa son index sur son ventre et frissonna.

Il enjamba des lianes et des racines, creusant un peu de distance entre Analoum, trysol et lui, mais gardant toujours le triangle en forme.

— Je ne comprends pas. Qu’y a-t-il en moi ?

— Un animal enragé.

— Que fait-il en moi ? Pourquoi je ne le sens pas ?

— Je pense qu’il n’apparait que lorsque la peur te fige. Quand elle devient trop grande à supporter. Tu es là, mais tu n’existe plus et l’être qui t’habite en profite. Il est sournois et son regard est si rouge. Il n’a rien de toi. Maman parlait d’une bête que les guerrières de brume dressaient pour faire la guerre. J’étais déjà morte quand tu l’as fait apparaitre la première fois. C’était le jour où les brigands avaient saccagé le village. Tu respirais fort et tes yeux avaient cette teinte rosée. Des hommes sont entrés. Ils se sont attaqués à Lu-fan et Ming. Elles criaient si fort. Maman se débattait comme une tigresse. Tu étais statique jusqu’à ce que tes yeux se colorent tout de rouge et que ton visage soit entièrement rayé. Tu t’es rué sur les hommes… Il y en a d’autres qui sont entrés. Tu n’avais plus de conscience et si Shi-Huan n’était pas intervenu tu aurais tu nos sœurs et notre mère. Shi-Huan avait des marques similaires aux tiennes. Elle t’a fait ployer les genoux devant elle et tu lui as obéit comme un chien à son maître. Tu ne distinguais qu’elle.

Suan écouta, l’âme pétrifiée par les mots qui transpiraient sur le cœur gelé de Xin-Shen. Elle ne mentait pas. Tout était vrai. Des mots jaillissaient une scène qu’il visualisa.

— Que suis-je ?

— Selon maman, Hàng Xiè.

— Une brume du soir ?

— Je n’ai pas compris. Les histoires de maman n’ont toujours été que des histoires pour nous tous. Je pense que Ming savait de quoi elle parlait, mais elle n’a jamais rien dit. Elle te surveillait pour que la peur de te fige jamais. Et si maman te mettait toujours Shi-huan dans les pattes, c’est parce qu’elle seule pouvait t’arrêter.

Suan n’était pas plus avancé à savoir cela. Xin-Shen en savait trop peu et lui, il sentait le monde dans un écho lointain. Est-ce que s’il se rapprochait des battements de cœurs qu’il percevait au loin, la créature sortirait ? Grenouille avait parlait de peur. Avait-il peur de murmures ?

Il se ressera le triangle alors que la chevelure serpentait autour d’eux. Il ne sut pas trop pourquoi, il l’avait ignoré depuis le sommet de la colline, cependant-------

— Hàng Xiè, murmura-t-il pour lui-même.

Analoum arqua un sourire.

— Si tu en es un, et que tu sais te contrôler, on sera chanceuse.

Suan redressa la tête dans sa direction, l’air affecté.

— Et si je ne sais pas me contrôler.

— J’espère que l’une de nous sera t’arrêter.

— Si non ? insista Suan.

— Tu massacreras tout ce qui t’entour.

C’était à quelque chose près ce qu’avait sous-entendu Xin-Shen.

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