Suan sentit son visage se décomposer et la peur s’enserra autour de sa poitrine. Il cherchait une explication au fait qu’il soit une créature d’en haut. Toute sa vie lui sembla être une vaste plaisanterie. Pourtant, il n’aurait pas de réponse à moins de rentrer chez lui avant que sa mère ne trépasse. Tenait-elle encore debout ? Son image revint le hanter, et l’envie de rebrousser chemin grossit en lui. Il savait cependant que sans Analoum ou Trysol, il ne ferait pas deux pas sans se perdre d’avantage. Par ailleurs, l’idée de savoir ce que cachait la chevelure le tiraillait. Pourquoi devait-il être si curieux ? Sa mère se dessina devant lui, estompée derrière la flamme. Elle avait cet air sérieux qu’on toutes les mères quand elles s’apprêtent à dire une vérité.

« Tu es courageux. Ne laisse jamais la peur te surprendre, car désormais, tu seras seul. », il entendit sa voix, comme si elle chuchotait à l’intérieur de ses os. Elle lui avait dit une phrase semblable à celle-ci avant de lui donner un dernier baiser. Mais cette fois-ci, la voix était plus sérieuse que jamais. C’était à se demander si sa mère n’était avec lui. Il tira la flamme entre eux et laissa s’échapper sa mère. Sa main serrée sur son arme s’abattit sur son thorax. Il inspira, s’arrêta, ferma les yeux. Ce n’était ni le moment ni le lieu, mais une conviction de l’entendre plus nettement jaillit en lui. Il se concentra sur son visage, sur ses ridules, sur le feu dans son regard maternel. Un liquide s’écoula de son nez, son corps se refroidit et avant que la main de Trysol ne s’abatte sur son épaule et le face vaciller, il vit sa mère plus maigre que jamais, elle versait du sang dans une vasque, répétant : « mon fils est sain et sauf, ma fille est forte. Ils vivront. La pluie a cessé.».

Les yeux grands ouvert sur la rouquine, Suan peina à respirer. Ses genoux fléchirent. Il s’accrocha à sa camarade, les membres secouaient de tremblement.

— Ana, arrête-toi ! On le perd. C’est quoi cette réaction ?

La voix inquiète de Trysol dénotait avec son visage impassible.

— Fais-chier ! C’est bien le moment de rentrer en trans.

— Qu’est-ce qui a provoqué ça ?

— C’est cet idiot ! Il vient de rentrer en communions avec une autre âme.

— En quoi ? Je ne suis pas très calée dans la compréhension d’une créature comme lui.

— Il écoute l’âme de quelqu’un. J’espère, pas la nôtre. Je n’aime pas qu’on épie mon cœur.

— Est-ce que ça va nous apporter des galères ?

— J’n’en sais rien. Mais il est en train de découvrir ce qu’il est. C’est déjà bien qu’il ne pète pas les plombs. Il est plutôt calme. Probablement encore abasourdi par ce qu’il est. Mais, s’il nous fait ça tous les deux mètres, on n’en a pas fini. Et on sait, toi et moi, qu’on a besoin de lui et sa sœur.

Trysol attrapa la bras d’Analoum.

— Qu’est-ce que je dois savoir sur ces capacités ?

— Beaucoup trop de chose. Pas assez de temps. Les premières maisons de la capitale sont déjà près.

— Ana ! ne me cache rien !

— Ecoute, mon père me racontait plein d’histoires, les Hàng Xiè en faisaient partis. Il faut des années pour accéder aux dons qu’il possède. Il n’est pas à son premier éveil. Mais pas sûr qu’il est déjà été conscient. Je ne sais pas s’il peut intervenir sur la pensée de quelqu’un, s’il peut commander à la brume et s’il peut terrasser une horde de cavalier en un claquement de doigts. Je ne suis même pas sûr que tout ce que je sais de son espèce est foncièrement vraie. Ils ont disparu après la guerre des monts. Ça fait plus de cinq siècles.

— Il vient d’en bas. Qui ne dit pas qu’il y en a encore.

— Ils sont robustes. Peut-être qu’ils sont descendus avec leurs maitresses, mais ils ont dû être livré à eux-mêmes. Tu sais qu’en bas, on meure rapidement.

Analoum s’attarda sur le froncement de sourcils à peine perceptible de Trysol.

— Y’a pas à avoir peur de lui pour le moment, regarde ce qui nous entoure. Il faut faire en sorte que Suan panique le moins possible. Les Huàng Xiè s’éveillent à cause d’une peur viscéral qui les fige.

— Ça ne me rassure pas du tout.

— Je ne cherche pas à le faire. Je te préviens. On va pas non plus ce cacher sur la chance qui nous est offerte. Avec un être invisible et une créature de son acabit tout peut nous sourire.

Suan les écouta, les yeux à demi-fermés et le corps cotonneux. Désormais, la chose qui vivait dans le palais l’effrayait bien moins que lui-même. Dans les explications d’Analoum, il crut distinguer une vérité qui lui déplaisait au possible. Quelque chose en lui, lui volerait le contrôle de son esprit, de sa raison et il savait que cela se passerait au pire moment.

— Dès qu’il revient à lui, on lui raconte tout. On sera bien moins ennuyés s’il sait, conclut Trysol.

La rouquine, qui n’aurait pas eut pitié de le laisser se faire bouffer dans un coin de la forêt, semblait le voir autrement. Suan avait conscience que cet élan d’intérêt pour sa personne, n’était qu’une utilisation judicieuse des deux consœurs. Elles le couvaient d’un regard protecteur et emplis de vaillance. Il venait de devenir un tout pour la survie de ce monde.

Avec lui, elles étaient bien sûr de relever leur royaume, et pourquoi ne pas en être à la tête.

Se formaient en elles des desseins qu’elles ne portaient pas avant de quitter leur campement.

Fébrile, le jeune homme entendait la puissante voix intérieure d’Analoum, qui se sentait pousser des ailes pour conquérir jusqu’au royaume de la lune. Les idées s’amoncelaient dans son esprit, mais la fatigue que ressentait Suan l’empêcha de poursuivre son voyage dans la tête de la femme. À vrai dire, son corps lui parut si mou, qu’il se demanda un instant s’il ne s’enfonçait pas dans la mousse qui recouvrait le sol.