Chapitre 9

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Ces marques sur le visage de Suan, Trysol les avait déjà vu sur ceux d’une fillette, il y avait fort longtemps. Une petite voisine qui commandait à la brume ou du moins. Ce phénomène, elle ne l’avait vu qu’une fois. La semaine qui avait suivi la mère et la fille avait déménagé. Intriguée, Trysol en avait parlé à son frère aîné qui lui avait raconté l’histoire « d’Aoum et de Meï », l’homme de brume et la fille des rizières.

Elle venait d’en bas, avait monté longtemps le premier escalier de liane qui avait touché le monde de la terre. Elle ne savait rien d’ici, mais elle aima sans condition la flore qui composait notre royaume. Elle y construisit une hutte et parla chaque jour à la brume installée deçà, delà. Elle chantait le soleil tous les matins et il brillait dans sa chevelure aux couleurs boisés.

Aoum la trouvait si belle, si divertissante, si vive qu’un soir il osa partager sa hutte. Il se glissa près d’elle et la contempla. Un jour, il l’aima tant qu’il rassembla son corps brumeux et le solidifia.

Tous les deux s’adorèrent sans condition, et leur seule fille Komn avait hérité d’étranges dons, comme voir à l’intérieur d’un cœur, de commander à la brume, de voir plus loin que le matériel et de sentir les odeurs les plus lointaines.

Komn a trouvé pour ses parents un peuple qu’elle avait guidé jusqu’à elle. Ils étaient tous comme Aoum. Personne ne ressemblait à Meï ou à Komn. Rapidement, le peuple des lianes trouvant suspecte les deux femmes les traquèrent. Komn emmena ses parents loins quand elle sentit une odeur qui ressemblait à celle de sa mère. Elle emprunta l’escalier avec eux et construit une maison avec de l’argile. Aoum mourut très vite, incapable de s’adapter au monde de la terre. Meï le suivit rongée par le chagrin.

Quant à Komn, elle s’enfarina le visage pour que le monde d’en bas l’accepte.

Est-ce que Suan était l’un de ses enfants ? Est-ce que son père était un être de brume ? Soudain, son intérêt grandit face à cet homme. Mais une peur l’attrapa au cœur. Car, on ne disait pas dans les histoires ce qu’avoir un don pareil impliquait. Si elle, avait des humeurs après s’être servi des siens, est-ce que Suan ne deviendrait-il pas un danger pour la suite ? La froideur qu’elle avait discernait dans la chambre était-ce un avant coup ?

Analoum n’avait encore rien remarqué sur le garçon, elle marchait en avant, flambeau à la main, bien décider à sauver le monde de la chevelure. Elle avait à nouveau ce flaire infaillible et suivait leurs frères à la trace, tout en répétant qu’ils auraient à se défendre une fois dehors.

Suan avait la main refermée sur le vide et l’autre sur le manche de sa hallebarde. Il n’avait peut-être pas encore conscience de ce qu’il était et qu’il n’avait déjà plus besoin d’elles pour rentrer chez lui. Trysol le jugea encore, les doigts crispés sur les manches de son flambeau et l’autre sur sa flèche. Il lui avait prouvé son agilité au maniement d’une arme. Avec sa sœur et si ses capacités se développaient, il pourrait très bien empaler l’une d’elles et s’enfuir avec la fiole qu’il désirait avoir. Sans le quitter des yeux, elle conclut avec elle-même qu’il serait surveillé de près.

— Je sens de l’air. On se rapproche de la sortie. Tenez-vous prêt. Il y a au moins une dizaine d’oiseaux noirs dehors. Pas sûr que notre déguisement tâché de sang nous permette de traverser le campement.

La détermination dans la voix d’Analoum était cuisante. Elle donnait l’impression que tout était possible. Et peut-être était-ce le cas ? Il n’avait encore eu aucun véritable obstacle et maffois, rien n’entravait leur avancée. Trysol se demandait quand viendrait l’instant où tout basculerait, où la chance céderait sa place à quelques abominations. Dans la noirceur de ses entrailles, elle ressentait que tout ne finirait pas comme son amie l’espérait. Et cela lui paraissait normal. On ne part pas en quête de tuer une démone sans penser à y perdre une chose. Quelle qu’elle soit.

***

Analoum s’arrêta brutalement. Elle sentit un vent froid et nocturne s’engouffrer jusqu’à elle. Mais ce n’était pas tout. Emporté par l’air, une odeur de fer lui tordit le ventre. Le parfum de sang était si intense et subit qu’elle ploya les genoux à terre. Derrière elle, Suan tenta maladroitement de la rattraper, cependant, elle lui glissa des mains et vint chercher l’appuie du mur. Le flambeau choya sur le sol, toujours brûlant de sa flamme unique, chaude et protectrice. Les traits violets sur son visage s’effacèrent retrouvant une teinte bleutée. Très vite ses paupières se fermèrent et ses poumons se gonflèrent à un rythme de cinq secondes avant qu’elle ne recrache l’air emmagasiner.

Les mains de Trysol encadrèrent ses tempes et la réveillèrent aussitôt de sa faiblesse.

— Tu as trop utilisé ton flaire. Laisse-moi prendre le relais, s’inquiéta vivement la rouquine.

— Rien à voir. Il est en train de ce jouer un carnage dehors. Ça empeste le sens, répondit-elle en retirant les mains de son amie et en passant les siennes dans son cou.

Suan s’accroupit près d’elle et hocha la tête.

— On dirait qu’on déverse une quantité infinie de sang. C’est irrespirable.

En se disant il monta le col de l’ample veste des oiseaux noirs jusqu’au bout de son petit nez à peine écrasé.

— Comment peux-tu le sentir ? s’étonna la brune en relevant les yeux sur le jeune homme.

Quand elle vit les rayures rosées qui zébraient son faciès et l’étrange couleur dans ses iris, elle hoqueta et avisa Trysol l’air hébété.

— Peut-être n’est-il pas étranger à nos racines.

— Balivernes. Comment un homme d’en bas peut-il avoir de telles marques et sentir de si loin cette odeur ?

— Un descendant. Je n’en sais rien. Et vu sa tête face à son reflet tout à l’heure, il n’en sait rien lui non plus. Ce n’est de toute façon pas notre priorité. Mais ça pourrait nous avantager.

— En quoi ? demanda Suan.

— En pas mal de chose, commenta Analoum, qui semblait en savoir plus sur le sujet que Trysol.

Elle arqua n sourire en coin et se releva en tirant sur le bras de son amie. La tête un peu tournante, elle donna une tape sur l’épaule au jeune homme. Il fronça les sourcils. Venait-il de détecter la pensée dans son cœur ? Savait-il de quoi il était capable et de comment Analoum userait-t-elle de son pouvoir ? La brune se détourna de lui, rattrapa son flambeau, consciente qu’une fois dehors elle n’aurait plus l’utilisait d’un voile pour se protéger des cheveux. Elle n’aurait cas agiter le feu.

Elle passa à nouveau en tête de file et mena sa petite troupe jusqu’à la fente creusée dans la roche. Encore un escalier à monter et ils arrivèrent devant le vestige d’un combat. Analoum épaté pour toutes ses soldats au sol se tourna vers Suan. Elle souriait si fort qu’elle sentit la peur qu’elle lui procurait.

— Tu nous apporteras la victoire. Nos hommes seront sauf grâce à toi.

Ni Suan ni Trysol ne comprit où elle désirait en venir. Le temps des questions viendrait mais en attendant, Analoum en profiterait un maximum.

***

Suan resta interdit devant la brune qui paraissait en savoir long sur son état. L’envie de savoir le démanger, mais la vision du massacre et le ressentit qui s’en dégageait lui nouait l’estomac. Il se sentit si mal, qu’avant de passer la moitié de champ de batail, il courut vers un bosquet et vomit. La douleur qui l’assaillit lui donna le tournis. Il pensa un instant qu’à force de rendre de la bile, il finirait par perdre un ou deux organes.

Xin-Shen massa son dos, perplexe devant l’allure de conquérant d’Analoum. Qu’avait-elle voulu dire.

— Suan, je n’aime pas son regard. Elle te donne soudain beaucoup trop d’importance pour être tout à fait honnête. Qu’est-ce qu’elle veut dire par tu lui apporteras la victoire ?

Le jeune homme, les larmes pleins les yeux et les membres tremblants, secoua la tête et baragouina des mots insaisissables que la fillette comprit.

En se redressant et essuyant du revers de sa longues manches, il fixa Trysol. La rouquine le regardait encore avec une suspicion évidente.

— Je ne sais pas ce que je suis en train de leur apporter, mais je ressens leur cœur. Trysol a peur de moi, quant à Analoum, c’est encore flou. Il y a trop d’émotions qui se mélangent. Nous verrons bien.

Grenouille hocha la tête contemplative du carnage et des mares de sangs dans lesquelles ils pataugeaient.

— Qui les as tués ? Les cheveux ?

— Non. Regarde bien. Il n’y a pas seulement des soldats ici. Je pense que ce sont des femmes comme Trysol et Analoum qui sont venues se venger. Ça ne m’étonnerait pas que ce genre de scènes soient courant.

— J’espère qu’on ne les croisera pas sur notre route.

— Ce n’est pas dit qu’il y ait des rescapés.

Suan rassura sa sœur comme il le put et se dirigea jusqu’à Trysol qui agitait sa main vers lui. Analoum lui planta un troisième flambeau dans la main et enfourra un voile dans sa poche. Il y avait l’embarra du choix. Un cadavre n’avait ni besoin de masque ni besoin de sac. Trysol glissa trois masques d’oiseaux noir dans une sacoche en tissu, le regard tourné en tous sens. Très vite, ils grimpèrent la colline ; une bosse cabossée et hérissée d’une colonne d’arbres. Elle ressemblait à un chat bossu qu’on aurait agacé avec un rousseau.

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