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Il fit part de la chambre secrète au reste du groupe.

Analoum tira alors d’un coup sec sur la corne en bois. Elle avait ce regard hésitant que Suan avait remarqué dans la grotte de Gerelle et Shaeln. Elle s'arma faisant crisser la lame dans son fourreau. L'épée en avant, elle passa la première dans un long couloir. Des pierres blanches y brillaient au sol donnant la marche à suivre et illuminant le chemin d'une clarté mate.

Le pas feutré, ils avancèrent non sans vigilance. Trysol ferma la marche une flèche serrée en main, pointe vers le bas, prête à en découdre avec la moindre ombre qui serait suspect. L'expression plaquée sur son visage indiquait le peu d'hésitation qu'elle aurait d'abattre son bras sur une éventuelle personne. Combien de personne avait-elle tuées ? Au fond, qui était-elle ? Suan se tourna successivement vers les deux femmes. À vrai dire, il ne savait d'elle que ce qu'elles laissaient paraître, et c'était loin d'être encourageant à vouloir en apprendre plus.

Analoum sécurisait avec la lame de son épée la route que chacun suivait dans le couloir en colimaçon. Le bois laqué retenait une certaine chaleur qu'un vent frais balayait de manière cadencée. Il cessa à son troisième souffle, conférent au jeune homme la sensation d'un prochain malheur. L'estomac noué, Suan guettait les sons gutturaux derrière les murs, formés très probablement par des créatures qu'il n'aimerait guère trouver face à lui. Xin-Shen eut beau lui répéter qu'ils pouvaient avancés sans turbulence, dans la pénombre d'un lieu que personne ne connaissait, il ne parvenait pas à se rasséréner. Tous redoublaient de prudence. Ici, il avait des femmes soldats, pas d'individus que l'on pouvait faire fuir avec la mélodie d'une harpe possiblement magique. A la rigueur, l'instrument pouvait servir de massue. Il écraserait à coup sur une ou deux tempes, exploserait un crâne si le coup partait trop fort, et après ? Si, surgissait devant eux une horde de blondes, hallebarde à la main, ils ne payeraient pas de mine. Ils mourraient embrochés comme de vulgaires poissons au bout d'une lance, dans un couloir, sans doute au fond de la terre au vu de la pente qu'ils descendaient.

— Vous m'avez fait confiance pour bien pire, alors pourquoi toutes ces précautions ridicules, se plaignit Grenouille, dont la fatigue commençait à rendre ses yeux verts plus brillant.

— Ne boude pas. Je te fais confiance, je te l'assure, mais c'est plus fort que moi. J'aimerais me laisser guider dans le noir. Seulement, la peur me parle de danger. Je ne vois pas ce que tu vois et les filles n'ont plus. Elles ne t'entendent même pas, murmura Suan les doigts cramponnés à la natte brune d'Analoum.

Il trouvait d'ailleurs bien singulier qu'elles le suivent sans même hausser un sourcil. Il aurait pu les emmener n'importe où, elles auraient accepté la direction sans rechigner. Aucune d'elles n'avaient grand-chose à perdre.

Xin-Shen haussa les épaules sous le regard mi-terrifié et mi-résigné de son frère. Il ne tenta pas d'en rajouter. Il savait que Trysol n'hésiterait pas à le faire taire si elle le jugeait trop bruyant. Elle ne le tuerait pas parce qu'elle en avait l'utilité, mais rien ne l'empêchait de passer son bras sous sa glotte et de le bâillonner le temps d'accéder à la pièce secrète. Il la voyait nettement lui fourrer un morceau de tissus au fond de la bouche sans état d’âme. Rien ne transparaîtrait sur son visage fermé, pas même le plaisir qu’elle aurait ressenti de le mettre au silence.

La pente se déroulait comme une route sans fin. Isolée de tout et sans d’autre ouverture que la porte d’entrée. Il y faisait sombre. Parfois, les murs étaient si étroits qu’il s’imaginait écraser entre eux. Xin-Shen avait été rapide pour débusquer la salle dissimulée derrière la bibliothèque, cela voulait dire qu’elle n’était pas bien loin, juste de l’autre côté, alors pourquoi tout ce temps pour y accéder. Ce couloir avait-il pour but de décourager les curieux ou les visiteurs indésirables ? Plus il marchait, plus Suan ce questionnait sur ce long tunnel. La froideur lui parvenait par brise légère, s’éclipsait et laissait une nouvelle réflexion dans les rouages de son conscient. Absorbé par son envie de savoir et sa peur d’y rencontrer d’éventuels problèmes, Suan glissa plusieurs fois, rattrapé successivement par Analoum et Trysol qui se gardaient de le réprimander. Il n’y avait pas de place pour l’agitation.

Les pierres blanches incrustées au sol étaient plus nombreuses, et quand il fallut choisir entre deux tunnels, la décision fut vite prise.

— Elle dit quoi ta sœur ? chuchota la brune avec un certain empressement.

— la gauche, répondit Suan en fixant la droite.

Peut-être pensait-il trop, mais un vide se forma dans son ventre quand il passa devant la galerie de droite. Analoum renifla salement, grogna.

— Il y a trop d'odeur ici. Je n’aime pas ça. Il y a du passage.

Suan n’en était pas sûr mais lui aussi avait ce sentiment. En se tournant vers Grenouille, il lui sembla entendre un bruit de pas. Seulement, ce pouvait être aussi bien ses compagnes qu’une illusion auditive. Xin-Shen ne percevait pas de danger sans quoi elle l’aurait prévenu.

Une dizaine de pas plus tard, ils accédèrent enfin à une porte. Analoum chercha confirmation de Xin-Shen en fixant Suan qui hocha la tête. Il déglutit, coupa sa respiration quand s’éleva un bruissement de voix de l’autre côté. On aurait dit une plainte. Un excès de fatigue.

Analoum n’attendit pas plus pour ouvrir la porte qui détonna contre le mur. Elle s’élança vers une blonde assise devant un chevalet, la souleva d’un bras, pour la plaquer plus loin contre une armoire, gardienne des bougeoirs ruisselant de cire. Trysol à sa suite, s’arrêta très vite, prostré. Suan ne comprit pas le malaise qui s’emparait de ses campagnes. Mais avant qu’un mot soit prononcé le model tenu à une tige de métal prit appui sur la table base et sauta en direction de la rouquine. Trysol se tourna presque immédiatement, prête à brandir sa flèche et trouer le cœur de son adversaire avec la pointe. Seulement, elle retint son bras et sa défense in extremis. Suan, l’esprit entièrement vide, se jeta le premier sur la blonde en tenue légère. Peut-être fussent ses dents pointues et sa bouche grande ouverte comme celle d’un chien enragé qui donna la force à Suan d’attraper la tête de la femme et d’un coup sec, vint tordre son cou. Le corps de cette dernière s’écroula à ses pieds pareils à celui d’un pantin de glaise.

Suan laissa ses bras pendre. Son cœur battait à nouveau régulièrement, alors qu’il admirait le cadavre. En relevant son regard, il croisa son reflet. Depuis toujours il avait désiré cette force meurtrière, cette force qui lui garantirait le respect ou du moins la soumission des autres. Les yeux dans ses yeux, il vit autre chose danser autour de lui. Une certaine admiration de lui-même. Il y avait encore un instant, il tremblait à l’idée de croiser le fer avec il-ne-savait-qui, maintenant, il se sentait capable de rugir. Le rictus au bord de ses lèvres lui imputa qu’il ne serait plus aussi doux que les temps passés. Le regard tourné vers Trysol, il comprit que ce n’était pas elle qu’il avait cherché à sauver, mais lui. Définitivement, lui. La rouquine soutint son regard décelant une parcelle de celui qui venait d’immerger. Elle n’avait pas une once de peur, même pas la pupille qui frétille. Elle s’en moquait royalement, mais le remercia tout de même, lui faisant comprendre qu’elle savait se défendre seule.

Suan contempla encore la morte, se désintéressant de la révolte d’Analoum qui céda à sa lame. Un son spongieux s’étira dans la pièce, suivi d’un juron. Il ne frémit pas. Il y avait ce quelque chose d’intense en lui qui se répandait dans son sang. Au fond, il retenait cet autre depuis si longtemps. Cette part d’ombre et de sadisme. Les événements de sa vie ne lui avaient pas laissé la place pour être cet ogre qu’il ressentait infailliblement. Pourquoi un homme aussi pauvre que lui aurait utilisé cette part de ténèbres et de froideur ? Ses sœurs, sa mère n’étaient qu’amour, que bonté… La violence n'était pas à sa place sous leur toit. Mais d’où lui venait ce feu qui brulait encore en lui ? était-ce pareil pour tous ? Pourquoi maintenant ? Cette odeur qu’il respirait depuis son entrée dans le couloir… Il n’aurait pas su la décrire. Elle ne lui faisait penser à aucune autre. Avait-elle déclenché ce mouvement dans les profondeurs de son cœur ? Suan laissa sa peur au placard et tira sur les manches de ce manteau d’insensibilité. Xin-Shen ne le quitta pas des yeux dans une demie incompréhension. Il lui sourit pour atténuer la violence de son acte et avant qu’il puisse la rassurer Analoum accusa le coup.

— Ce n’est pas Nyim ! Elle n’a rien à voir avec la description. J’espère pour toi que tu ne nous mène pas en bateau ! dit-elle de rage en l’empoignant au col.

— Si je me moquais de vous, je vous aurais mené loin d’ici. Prétextant que ma sœur avait vu votre Nyim loin. À quoi ça me servirait de faire une telle chose ? Tu as une fiole que je veux et tu sais quel chemin prendre pour redescendre. C’est me prendre pour plus idiot que je ne le suis. Xin-Shen a trouvé la femme que vous cherchiez. Tu as décrit Nyim comme cette femme que tu as empalée. J’aurais fait la même erreur. Ton nez te sert à quoi ?

— Tu es en train de reporter la faute sur moi ? gronda-t-elle, avant que la main de Trysol se plaque sur sa bouche.

— Mettez-là en veilleuse, tous les deux. Ce n’est pas le moment de créer de nouveau problème !

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