chapitre 7 (1)

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Depuis qu’ils avaient quitté la chaumière-grotte, le trio n’avait pas cessé de marcher. Suan avait la sensation que ses pieds allaient se fendre. Pour oublier la douleur, il regardait les tresses de Trysol et d’Analoum de balancer au rythme de leurs enjambés. Deux pas derrière elles, il parvenait à entendre la respiration bruyante de la brune. Comme prévu, la cendre avait recouvert les traces des sabots. Seul moyen pour eux de parvenir à leur but, ouvrir la porte aux odeurs. Suan était très loin d’avoir le flaire d’un chien contrairement aux filles. Avant qu’ils ne partent et que Shaeln n’offre un paletot de laine noir à Suan, Analoum s’était isolée. Dans un coin de la grotte, elle avait fermé les yeux et n’avait plus bougé pendant un certain temps. Quand les rayures au centre de son visage furent d’un violet rougeâtre, elle s’était à nouveau manifestée. Ses yeux avaient pris une couleur très claire, comme si son odorat avait volé sa vision. Ils avaient pris la route un instant plus tard. Trysol avait pris une minute pour lui expliquer qu’Analoum flairait la trace de leur frère et de Nyim. Une autre faculté qui pouvait les tuer si elles en abusaient ou les rendre aveugles. Pour cela, la rouquine veillait plus à son amie qu’aux ombres qui tapissaient la route. La forêt était encore dense, bien que les branches ne formassent un toit imperméable à la pluie cendrée. Xin-Shen, en avant, venait tout juste de revenir se pendre au bras de son frère, interpellée par des vibrations dans l’air.

— Reste sur tes gardes. Il y a quelque chose qui nous observe. Ça tourne autour de nous depuis qu’on a passé le campement abandonné, avertit Grenouille, l’air grave.

Xin-Shen voyait tout en temps normal. Si elle ne parvenait pas à détecter le corps de la créature, c’est que le danger n’était pas une option. Ce que sentait la fillette ne semblait ni venir de son monde d’entre-deux ni de celui des vivants.

— Un esprit ? demanda Suan en alerte.

— Je n’en suis pas sûre. Mais ça a commencé quand Analoum s’est mis à saigner du nez.

Il est vrai que lorsque le sang de la brune s’était répandu goutte à goutte au sol, il avait senti plusieurs vagues de frissons le traverser. Il s’était imaginé frileux bien qu’il fût au chaud emmitouflé dans le paletot où l’odeur de Shaeln enveloppait la sienne. Y avait-il une chance pour que la vibration et le mauvais pressentiment que ressentait Xin-Shen proviennent d’Analoum ? Elle était trop calme depuis ce matin. Pas un mot. Pas une blague à laquelle elle aurait été la seule à rire… Rien. Elle était là, sans être là, ouvrant le chemin vers l’inconnu. Et si elle les précipitait dans un endroit bien pire que celui où ils devaient se rendre ? À quoi s’attendre avec cette femme ? Son humour cachait une épée qu’elle n’avait pas peur de brandir.

Pris de panique, Suan attrapa l’épaule de Trysol afin de la tourner vers lui. La rouquine ne bougea pas d’un iota prouvant sa force. Ses muscles roulèrent contre les doigts de Suan qui déglutit. Il n’osa rien dire, préféra fixer le visage de Trysol sous son voilage. Selon comment se répandait la lumière grisâtre, le jeune homme parvenait à apercevoir le faciès de ses compagnes.

Un son guttural sortit de la bouche de la femme, suivi d’un soupir.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Suan reprit son sang-froid.

— Ma sœur ressent un danger qui nous guette.

— Rassure-la. Il n’y a pour le moment aucun danger. Ni créature ni chevelure ni rien. Ce qu’elle ressent, c’est le mouvement des odeurs qu’Analoum mène jusqu’à nous.

Les cils de Suan papillonnèrent, et d’incompréhension, il avança pour en apprendre plus.

— Les parfums, quels qu’ils soient, ont une consistance comme tout ce qui nous entoure. Analoum les appelle malgré elle. Ils arrivent en nombre. Elle fait le tri.

— Peuvent-ils vibrer ? s’inquiéta Suan en jetant un regard à Xin-Shen.

Elle aussi écoutait attentivement.

— Je n’en sais rien. Ils sont autour de nous, ils s’animent. Il y’en a qui sentent le désarrois, d’autre le bonheur… Ici, les senteurs sont égales au décor. Maintenant, tais-toi. Je ne peux pas me concentrer sur toi, Analoum et les éventuels dangers.

Trysol dévoila la harpe dissimulée sous sa cape et l’agita devant Suan pour le tranquilliser.

L’instrument pouvait bien éloigner les créatures de la forêt, il ne les sauverait pas des cheveux. Ceux-là se confondaient avec la végétation sous la brume toujours plus opaque à mesure qu’ils avançaient dans leur cheminement.

— Si nous réussissons à échapper à ce monde, je promets d’être reconnaissant même à la pluie, s’apitoya Suan en retenant la main de sa sœur.

— Ne sois pas si morose. Dis-toi que tu auras une belle histoire à raconter à notre mère et Shi-Huan. Notre sœur est si friande des aventures. Il suffit de voir ses yeux s’écarquiller de curiosité quand viennent les voyageurs dans notre cher village. Oubli la peur et les incertitudes, on nous a choisi pour vivre cet instant.

— Si c’est pour mourir, je préfère le faire dans le clame. Qui saura ce que nous avons vécu ici, si nous ne sommes plus là pour en parler ? Je n’ai jamais été téméraire comme toi. Tout ça pour une fiole et l’espoir que notre famille soit encore debout.

Xin-Shen s’arrêta net, faisant se tendre le bras de Suan.

—Tu n’en as pas marre de toujours te plaindre, de te morfondre ? Ce n’est pas pour une fiole ou pour la famille que tu as accepté.

Elle avait raison, mais Suan avait du mal à assumer qu’il suivait Analoum et Trysol par pur curiosité. Il avait ce cœur pusillanime qui, pour prévoir la suite des choses, n’osait rien entreprendre. Aujourd’hui, était-il soigné de ce mal ? N’était-ce pas sa sœur qui l’avait convaincue ? N’avait-il pas suivi comme il savait si bien le faire ? Il essayait de prouver sa bravoure dans ses propres yeux, cependant, y parviendrait-il ou se décevrait-il encore une fois ?

Il s’accommoda des frissons qui traversaient son corps, quant à Grenouille, elle s’appliquait à ne pas sursauter à chaque fois que la vibration ténébreuse d’une odeur serpentait tout proche de leur groupe.


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