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Shaeln sentait le regard perçant de Suan sur lui. Il y décelait l’envie d’un baiser et le désir d’en apprendre plus.

— Füjin est descendu, mais il était incapable de tuer. Ce n’était pas dans son code moral. Un jour, les Grydiens se sont regroupés et d’un sort, ils ont repoussé les attaquants, qui mit en déroute, ont capitulé. Füjin était heureux. Il savait qu’il retrouverait son nuage, mais par méchanceté son père lui fit couper les ailes et le laissa sur les terres du Mont. Il s’envola avec ses troupes sur leurs immenses oiseaux.

— Pauvre garçon. Il n’avait rien demandé, murmura Suan.

Pourquoi le mauvais sort s’acharnait sur les bonnes personnes. Était-ce une épreuve pour voir si leur beau cœur ne cachait rien d’aigre ?

— Comme tu dis. Parce que ce n’est pas tout. Füjin a tant supplié les nuages et les vents sauvages que l’un d’eux est monté jusqu’au royaume de la lune. Sa cousine, Kaguya a intercepté le message. Même si son cœur s’était à nouveau enfermé dans l’indifférence, elle avait la nostalgie de sa vie ici-bas. Elle ne pouvait pas écouter le chant des pleurs sans revoir ses parents adoptifs. La princesse lunaire a chevauché le vent sauvage et a offert une pierre de lune à son cousin si misérable.

Suan réagit. Une pierre de lune. C’était ce qu’il avait promis à Shi-Huan.

— Elle lui a enfoncé dans la gorge.

— Pourquoi faire ?

— Pour qu’il n'ait plus à ressentir ses émotions. Pour le soulager de ses maux. Elle s’est trompée, parce qu’aujourd’hui son acte de bienveillance a rendu un homme bon, en une cruelle créature.

— Est-ce lui la cendre ? Qu’a voulu dire Gerelle hier ? Les statues de sel ?

— Il est dit que les habitants de sang royal là-haut sont porteurs de don particulier. Füjin en était dépossédé, mais le jour où Kaguya lui a donné la pierre et que ses sentiments se sont figé, son don est apparu.

Shaeln laissa un temps de pause et se tourna vers Suan. Le voyageur se tenait si près de lui qu’il pouvait inspirer son étrange odeur. Son sang était bien plus fort que celui de nulle personne ici. Il le humait avec délice, aurait volontiers plongé son nez contre la parcelle de peau la plus fine. Dans le royaume des lianes, on ne se choisissait pas pour un attrait de beauté physique, on se désirait par la force du sang qui appelait à s’aimer.

— Ne fais pas durer le suspense ! Raconte.

Suan agissait comme un enfant pendant l’histoire du soir. Ses yeux ne captaient plus que Shaeln et sa bouche révélatrice.

Le cœur gelé, seul dans une terre éloignée des siens, Füjin a perdu la tête. Son pouvoir s’est créé à l’image de sa peine. D’un seul regard, il fige pour l’éternité. Kaguya fut la première à gouter à ce fléau, puis les Grydiens et même les troupes du pays des nuages revenu conquérir le bas.

— Pour quoi ne pas avoir fermer les yeux ?

— T’es-tu déjà battu les yeux fermés ?

— Seulement dans mes rêves.

— Gagnais-tu ?

— Je perdais toujours, souffla Suan. Pourquoi ne pas lui avoir tiré une flèche dans le dos ?

— Parce que ses vents domestiqués le protègent.

— Est-ce que le vent est un animal ? ironisa-t-il.

— Les vents le sont pour un homme qui sait les comprendre.

Shaeln avait beau être plus jeune que lui, il détenait une sagesse propre à un homme plus mûr. Il avait vécu plus de tourments que Suan n’imaginait à n’en pas douter.

— Bien. Il est invincible. Mais il mourra un jour.

— D’ici deux cents ans. Nous serons morts, mais pas lui. Et en soi, il n’est pas une menace pour nous qui sommes au bas de la montagne. Cette cendre n’est rien en comparaison des cheveux ou des oiseaux noirs. Je crois qu’il ne cherche plus que la solitude. Voilà pourquoi, il brûle les statuts de ces victimes qui tombent en cendre sur nous. S’il meurt, elles revivront surement. Mais étant dépourvu de sentiments, il s’en moque bien. Il erre sur son royaume conquis.

— Et s’il lui prenait l’envie de descendre ?

— Va savoir ? Les cheveux le tueront peut-être. Il ne doit pas ignorer leurs existences.

Shaeln se redressa, panier en main, et invita Suan à rentrer.

Le voyageur suivit le pas, le regard rivé vers le haut de la montagne dont il ne distinguait pas le sommet. Il y avait ici des dangers contrôlables à la différence de chez lui où le temps et la nature faisaient bon leur semblaient. Un jour quelqu’un de plus téméraire qu’Analoum et Trysol trouverait le moyen de rendre le royaume des lianes à nouveau vivable. Quant au mont, il serait dirigé pour un siècle de plus, puis rendu à sa liberté. Ce n’était qu’une question de patience et de génération chanceuse. Il y songea profondément, lorsqu’il parvint à s’avouer que son village retrouverait le soleil d’antan… La vie continuerait dans un éternel renouveau. À cela, il se demanda s’il n’était pas plus simple de vivre le moment présent sans s’y attacher. Un humain est éphémère comme les pensées fugaces d’un enfant. Il tendit sa main vers le ciel qui pleurait les larmes grises. Il ne chercherait pas à en savoir plus sur le concept de l’univers. La connaissance est infinie.

De retour dans la grotte, Suan et Shaeln trouvèrent place dans la cuisine. La bouche à demi-fermée du tunnel envoyait un son guttural vers eux et donna le ton au récit de Suan. L’adolescent l’écouta avec grand intérêt. Il observa à travers les paroles du brun le monde qu’il ne connaîtrait jamais : les rizières, les toits de chaume, la verdure, le ciel bleu… Il y avait tant de beauté dans ce que lui décrivait Suan, mais il y avait cet aspect sombre quand il parlait du travail, des mœurs et des valeurs de la tradition. Il consentit à croire que Suan était un original qu’y ne s’adapterait jamais aux commandes des lois au bas.

— Je sais bien que tu as encore de la famille en bas, mais si un jour tout est trop dur, reviens ici. Après tout, il y a de quoi vivre bien éloigné de tout.

— Tu veux dire enfermé loin de tout ? Je ne pense pas. Chez moi, j’aurais au moins la possibilité de marcher sans avoir la crainte qu’on m’enlève ou que des créatures me tuent… Il y a bien plus de liberté dans mon monde que dans le tien. Les hommes sont respectés en bas. Ici, vous êtes réduit en esclavage. Je ne me trompe que rarement. J’ai l’impression que tout est inversé. Les femmes font la loi…termination exhalait de ses ports.

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