chapitre 5 (1)

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Les branches s’agitèrent au-dessus de Suan. Elles paraissaient l’inviter à poursuivre sa route comme le vent qui soufflait dans son dos. Le jeune homme fixait encore les silhouettes d’Analoum et Trysol avec la conviction qu’elles partaient pour ne plus jamais réapparaitre. Et il se rappela les personnes qu’elles avaient laissées dans leur campement. Car à l’évidence ce n’était pas un village comme lui avait quitté. On fuyait plus que des cheveux mortels ou une horde des cavaliers voleurs, ici. On survivait à la mort et à ce qu’elle avait déclenché.

Peut-être était-ce le regard insistant de Grenouille qui le fit hésiter à rejoindre les filles. N’aurait-il lui-même, pas tout tenter pour sauver les siens ? Si un habitant de là-haut, porteur d’un don, était descendu, n’aurait-il pas voulu le convaincre de l’aider quitte à employer la force ? Il était clair qu’elles n’avaient pas réfléchi en lui forçant la main. Pas assez. Elles avaient sans doute compris qu’il n’avait rien à donner, rien à perde de visible…

La culpabilité s’étira en lui. La chasser lui aurait valu moins de tracas, mais elle le toisait de son étrange corps vaporeux. Les émotions avaient un étrange pouvoir. Elle flottait dans son esprit. L’ignorer était sa seule option, sans quoi, elle en ferait à nouveau son esclave.

— Vers quoi je me dirigerais si j’y allais ? soupira-t-il, le regard posé sur des traces de sabots.

— Est-ce vraiment important ? le surpris une voix familière.

Suan ouvrit grand ses yeux. Son cœur palpitait dans un mélange d’incertitude et de joie.

Cette voix ! Il ne l’avait pas entendu depuis très longtemps. Il douta un instant de sa véracité, voulut se gifler pour réaliser...

— Sois lucide. Elles t’offriront bien plus que le soleil, plus que de la nourriture, poursuivit-elle sur un ton confiant.

Suan déglutit. Il se tourna lentement vers Grenouille. Elle l’observait, une main sur la taille, l’autre agitant un doigt pointé sur lui.

— Xin-Shen ? Tu reparles ?

Elle avait perdu sa voix enfantine, mais infiniment douce peu après la mort des filles aînées de la famille. Il y avait moins d’un an. L’entendre à nouveau éveillait une joie qu’il n’avait plus ressentie depuis longtemps.

— Enfin ! Je désespérais que tu m’écoutes à nouveau. Je n’ai jamais arrêté de parler. C’est toi qui as bouché tes oreilles. Tu préférais pleurer plutôt qu’entendre raison. Tu sais, j’ai beau être plus jeune, il y a plein de choses que j’ai comprises. Je n’ai plus six ans. Si je suis montée jusqu’ici, c’est pour t’aider, mais bien entendu, tu n’as rien compris. Ça fait des mois que je te force à me suivre.

Suan baissa la tête. Il était à la fois soulagé et perplexe.

— Pourquoi as-tu voulu que je vienne ici ?

— Pour manger, pardi ! Je voulais que tu reprennes des forces. Alors quand j’ai entendu la fille du marchand de toile raconter son histoire à son père avec dans les mains des légumes pourris, j’ai pensé à toi. Évidement tout aurait été plus simple si tu m’avais entendu.

— C’est certain. Mais ça n’aurait rien changé à ce que nous vivons. Nous sommes dans de beaux bras. Tu aurais dû te renseigner avant de m’emmener ici.

— Je ne pouvais pas savoir que tout était plus dangereux. La fille du marchand n’a rien dit de tout ça. En revanche, ces deux femmes, elles ont une fiole qui pourrait tout changer. Tu disais vouloir connaître le monde… Si on les aide, peut-être que…

Xin-Shen tira sur la tunique de Suan.

— Tu y as songé toi aussi. On pourrait les sauver. Il n’est peut-être pas trop tard. Je peux aller n’importe où. Et maintenant que tu m’entends à nouveau, plus besoin de te faire de dessin. Je ne suis clairement pas doué dans cet art.

— Tu dessines comme un pied, voulut-il faire un trait d’humour.

En reprenant son sérieux et remerciant intérieurement la providence, il se laissa happer par la réflexion. Elle se précisait sans vraiment se stabiliser.

— Ce qui m’inquiète, c’est que je ne connais pas les règles d’ici. J’ai peur. Je le sais bien qu’il n’y a pas grand espoir chez nous, mais regarde autour de nous. On ne nous promet rien de plus qu’une mort certaine.

— Ne pars pas du principe que comme ça a commencé mal, alors ça finira mal. C’est toi qui disais toujours : « c’est sur un visage le plus fade qu’on trouve la plus belle lumière ». On est d’accord que cet endroit ne dégage rien de lumineux, mais on se trompe peut-être ? Va savoir quel genre de beauté il recèle. Ces femmes, où qu’elles aillent, ce sera bien mieux que tourner en rond. La brume nous entoure. Je sens la présence de mille dangers. Elles ont une harpe qui éloigne le mauvais sort.

— Je ne crois pas être à l’abri avec elles. Elles veulent quelque chose de moi que je ne saurai pas leur donner.

— Elles veulent ton aide pour récupérer leurs frères. Tu es bien mieux placé que n’importe qui pour les comprendre.

Xin-Shen s’approcha de Suan et agrippa sa main. La sienne laissa frémir le jeune homme. Elle était toujours aussi froide.

— Pense à Shi-Huan. Elle est si forte. Elle pourrait vivre encore des semaines. Peut-être un mois ou deux.

— Comment ?

— Ne la sous-estime pas. Son corps est mille fois plus robuste que celui d’aucun de nous. Je sais notre mère capable de se tuer pour lui permettre de vivre.

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