Chapitre 4

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Nous restons quelques secondes à nous observer en silence, sans qu'aucun mot ne s'échappe de nos lèvres. Mon regard se pose à nouveau sur la toile, préférant m'abandonner à l'admiration de l'œuvre plutôt que de m'engager dans une conversation avec lui. Je me demande d'ailleurs ce qu'il fait ici, dans ce vernissage dédié à l'art délicat et à l'élégance.

Nate est différent des autres hommes présents dans la salle, c'est indéniable. Sa présence dénote, tant par son allure décontractée que par sa désinvolture. Ce n'est pas seulement une question de cheveux poivre et sel ou de costume coûteux, mais plutôt une attitude, un contraste saisissant avec le raffinement de l'événement.

Tandis que la majorité des invités tiennent une coupe de vin à la main et discutent élégamment avec leurs partenaires sur les magnifiques œuvres d'art ornant les murs du musée, Nate se tient les mains dans les poches, comme s'il était dénué de tout intérêt pour cette atmosphère artistique.

Je garde le silence, mon attention fixée sur la toile qui représente mon père et moi, main dans la main. La petite fleur de lotus rose sur ma tête rappelle les souvenirs heureux de mon enfance, cette innocence qui m'a été volée si tôt.

— C'est étonnant de voir que tu avais un talent artistique à cet âge-là, ironise-t-il avec un sourire en coin.

Je me demande ce qu'il peut bien penser en voyant cette toile, en lisant le message chaleureux de mon père à mon égard. Sans le regarder, je devine son air suffisant et moqueur face à ce qu'il doit considérer comme une scène de famille sentimentale et démodée. Je sens une pointe de colère monter en moi, mais je choisis de garder mon calme et de ne pas lui accorder l'importance qu'il semble chercher à obtenir.

— Tu ne comprendras jamais rien à ça, marmonné-je, les yeux toujours rivés sur le tableau.

— Peut-être, admet-il d'un ton désinvolte. Les sentiments et les liens familiaux, ce n'est pas vraiment mon domaine.

Je respire profondément pour garder mon sang-froid, évitant de penser à la gravité de ses paroles. Je préfère l'ignorer et détourner mon attention du tableau, prétextant un intérêt soudain pour une autre peinture à proximité. Pourtant, je sens son regard insistant sur moi, ce qui me met mal à l'aise.

— Pourquoi es-tu là ? lui demandé-je sèchement.

Nate hausse un sourcil, comme s'il était évident qu'il puisse se trouver ici.

— Et bien, je suis ici pour la même raison que toi, non ? Paul a organisé cet événement pour présenter les œuvres de ton père, répond-il d'un ton nonchalant.

Mon cœur rate un battement. Paul a peut-être organisé l’événement, mais tout ça n’a rien à voir avec les Éditions PB. Pourquoi Nate croit-il que ça explique quoi que ce soit ?

— Tu n'as pas à rester là, lâché-je, doucement. Tu as certainement bien mieux à faire.

— C'est touchant, plaisante-t-il finalement. Ton père a su capturer quelque chose de spécial dans cette peinture.

Je ne le regarde pas, mais je sens qu'il est toujours derrière moi. Pourquoi suis-je obligée de supporter sa présence et ses remarques désagréables ? Paul avait-il vraiment besoin de le mêler à tout ça ?

— Je ne vais pas répondre à ça, Nate.

— On dirait que c'est une habitude pour toi de ne pas vouloir me répondre.

Je tourne la tête, réalisant que la remarque de Nate fait probablement référence à notre première conversation, il y a quatre jours. C'est vrai, je n'aime pas me disputer avec des personnes qui ne méritent pas mon temps et mon énergie. Pour moi, choisir mes combats est d'une importance capitale. C'est pourquoi je ne suis pas intéressée par une éventuelle confrontation avec Nate. Je travaille avec lui sur un projet pendant seulement trois semaines avant que nos chemins ne se séparent à jamais.

Tout ce qu'il dit n'a donc pas d'importance à mes yeux.

— En effet, je ne prends pas la peine de répondre aux conneries, lancé-je.

Il hausse les sourcils, visiblement surpris.

— Oh, mais c'est qu'elle est impolie, en plus.

Mon regard lui fait comprendre à quel point je n'ai pas envie de tout ça.

— Écoute, je n'ai aucune intention de jouer à ce jeu avec toi. Notre collaboration ne dure que quelques semaines, alors autant la rendre la plus agréable possible en évitant les tensions inutiles, répliqué-je d'un ton mesuré.

Nate croise les bras sur son torse, un sourire en coin qui trahit son amusement face à ma réaction.

— Je vois, dit-il d'un air taquin. Alors, tu es du genre à éviter les conflits, c'est ça ? On dirait que tu as encore des choses à apprendre de moi.

Je décide de ne pas relever sa dernière phrase.

— Peut-être que tu devrais te concentrer sur le projet plutôt que sur mes réactions, suggéré-je. Tu verras, ça te sera plus bénéfique.

Il fait un pas devant pour arriver à ma hauteur et lève les yeux vers l'énorme toile peinte de toutes les couleurs. Puis, à ma grande surprise, il dit :

— J'aime beaucoup les mélanges d’aquarelle et d’acrylique.

Je fronce les sourcils. Tiens, il sait reconnaitre les différents types de peinture, lui ? Ah, mais bien sûr, j'oubliais. C'est un dessinateur. Il a ce petit côté artistique qui échappe à plusieurs hommes.

— Quoi ? ajoute-t-il, en remarquant ma réaction. Tu croyais que j'étais ici en tant qu'amateur ? Regarde simplement autour de toi, la plupart de ces gens sont là juste pour étaler leur richesse, leur tenue sophistiquée. Mais en réalité, ils ne savent même pas faire la différence entre une peinture acrylique et une huile.

Je suis épatée de constater qu'il a raison. Plus je les observe, plus je réalise qu'ils ne sont pas vraiment intéressés par les œuvres qui les entourent. Je trouve ça triste. Pour mon père.

— Donc ? ajoute Nate, en se penchant vers moi, un peu trop près. Je peux rester, finalement ?

Je lève les yeux. Je n'aime pas comment il me regarde, mais je m'abstiens de faire un commentaire. Je hoche simplement la tête en signe d'approbation, puis tourne définitivement les talons. Lui peut rester, mais pas moi.

— Tu me fuis ? lance-t-il, dans mon dos, alors que je passe devant une magnifique toile noire, où un énorme cygne est peint en blanc.

— Non, répondis-je, en crispant la mâchoire. Nous sommes dans un musée, j'observe les œuvres. Silencieusement.

Je sens son sourire dans mon dos quand je précise que je ne veux pas lui parler.

— Oh, murmure-t-il. D'accord.

Il pose son index contre ses lèvres et reste planté là, à ma gauche. Pourquoi s'accroche-t-il autant à moi ? J'essaie de l'ignorer et de me concentrer sur la toile suivante, mais je ne suis pas surprise de le voir me suivre. Il va vraiment rester avec moi longtemps ? Je ne suis pas d'humeur à subir sa présence suffocante et ses manières agaçantes toute la soirée.

— Tu peux rester. Mais ça ne signifie pas que tu dois me suivre partout, rétorqué-je.

Il esquisse un sourire amusé, puis observe la toile devant nous.

— Shh, souffle-t-il, en posant un doigt sur mes lèvres. Silence.

Je recule ma tête instantanément en plissant les yeux, et les lèvres. Bon sang ! Je ne veux pas qu'il me touche. Les yeux ronds et exorbités, je fais quelques pas derrière. Je lâche un léger soupir et décide de m'éloigner, espérant qu'il comprendra que je ne souhaite pas sa présence près de moi. Je veux simplement profiter de cette soirée dédiée à l'art et à l'amour paternel, sans qu'il vienne ternir l'instant.

C'est ainsi que je déambule dans la salle, m'éloignant de Nate et me perdant dans la contemplation des autres œuvres. Chacune d'elles raconte une histoire, transmet une émotion, et j'essaie de m'en imprégner. J'essaie d'ignorer Nate chaque fois qu'il revient dans mon champ de vision, préférant me concentrer sur les souvenirs heureux.

En remarquant la copine de mon père, quelques mètres devant moi, je me dirige, un peu trop précipitamment, dans sa direction.

— Lory, on dirait que tu as vu un fantôme ! Tu vas bien ?

J'essaie de bien me tenir sur mes hauts talons et étire mon bras vers une coupe de champagne en équilibre sur le plateau doré que tient un homme tout vêtu de noir.

— Je prends ça pour un non, conclut-elle, en touchant mon coude, pour attirer mon attention.

Je suis stupéfiée de constater qu'il n'y a aucune trace de rouge à lèvres sur le rebord de ma coupe. Sienna s'y connaît en maquillage, à ce que je vois ! Heureusement qu'elle était là pour s'occuper de moi. Dans le cas contraire, je me serais certainement pointée ici avec un jean, un gros chandail en laine et des yeux cernés.

Je lève les yeux vers elle, qui me regarde avec les traits étirés et inquiets.

— Ça va, ne t'en fais pas. J'ai fait une mauvaise rencontre.

— Oh, une mauvaise rencontre, dis-tu ? sourit-elle, en déviant sa grande paire d'yeux bleus derrière mon épaule. Pourtant, elle n'a pas l'air si mal, cette mauvaise rencontre.

Sidérée, je manque presque de recracher mon champagne dans la coupe. Comment ça, pas si mal ? Je sais qu'elle est magnifique et curieusement séduisante pour son âge, mais franchement, elle pourrait être sa mère ! Et puis, ce n'est pas parce qu'il a une apparence charmante et plaisante à regarder qu'il est agréable à fréquenter. Jusqu'à présent, il m'a fait voir tout le contraire.

— Sienna, s'il te plait ! Arrête de le regarder.

— Je le regarde, plaisante-t-elle, en prenant une gorgée de sa coupe de vin.

Je lui lance un regard réprobateur.

— Oui, tu le regardes ! Arrête de le regarder !

Elle repose son regard vers moi avec un mince sourire sur les lèvres. Mon cœur rate un battement quand une grande silhouette se dessine à ma droite.

— Bonjour, se présente Nate, en tendant la main vers ma belle-mère. Je m'appelle Nate, je suis un collègue de Lory.

Je sais que mon visage est rouge pivoine. Je ne voulais même pas m'imaginer cette scène.

— Enchantée Nate. Je suis Sienna, la belle-mère de Lory.

Ils se serrent la main, et dans les expressions de Nate et le sourcil qu'il lève sans le vouloir, je sais qu'il était loin de se douter qu'elle était assez âgée pour être ma belle-mère. Il a forcément dû la prendre pour ma grande sœur. C'est toujours ce qu'on nous dit lorsque nous sortons en public.

Il lui sourit et me lance un regard en biais. Je détourne les yeux.

— Et donc, enchaîne Sienna. Dans quel département travailles-tu ?

— Je suis assistant d'édition. Nous travaillons présentement en collaboration sur une série de livres collector qui doit paraitre dans deux semaines.

Au petit sourire de Sienna, je sais qu'elle s'apprête à dire une connerie.

— Ah oui ? En étroite collaboration, donc ?

Je lui pile sur le pied, et elle recrache la gorgée qu'elle s'apprêtait à avaler. Nate pousse un rire qui me prend à la gorge, mais j'essaie de ne pas le laisser paraitre. Je ne crois pas l'avoir déjà vraiment entendu rire. Quelqu'un l'a-t-il non seulement déjà entendu rire réellement ?

Il vérifie sa montre, et après quelques secondes, il s'excuse auprès de Sienna et moi, puis s'éloigne rapidement pour sortir du musée. Je ne sais pas si je trouve ça mystérieux ou tout simplement étrange.

— Il est mignon, dit Sienna.

Je soupire.

— Il est agaçant, la corrigé-je. Et arrogant. Et bizarre. Et agaçant.

Elle sourit.

— Tu l'as dit deux fois.

— Oui, parce qu'il est doublement agaçant.

Sienna sourit à nouveau, avec des yeux pétillants de malice qui me prouvent qu'elle s'amuse beaucoup à me faire marcher. Et moi, je cours, d'ailleurs.

Son petit jeu est interrompu par mon père, qui s'avance pour nous présenter au propriétaire du musée. C'est un homme particulièrement grand, avec des cheveux poivres et sels à la Richard Gere à l'époque de Pretty Woman, et des fossettes saillantes sur les deux joues. Il se met à parler de son fils, West, qui vient d'être promu PDG d'une entreprise influente de New-York spécialisée dans la technologie et l'électronique. Mon père suggère un dîner afin de pouvoir nous rencontrer, mais je n'écoute que d'une oreille...

Mes pensées divaguent curieusement vers la toile que mon père a faite en se basant sur l'un de mes vieux dessins. Mais, étrangement, ce n'est pas vraiment la toile qui retient mon attention en ce moment...


Il est vingt-trois heures lorsque je franchis la porte de mon immeuble et me retrouve face à madame Mora, cette petite femme d'une incroyable vitalité malgré ses quatre-vingt-cinq ans bien sonnés, qui vit en face de chez moi. Elle est d'origine latine, retraitée et diffuse toujours l'odeur sucrée de fraises. Bien que je réside ici depuis un moment, je n'ai jamais eu l'occasion de rencontrer sa famille. Pourtant, elle vient souvent frapper à ma porte pour me gâter avec ses délicieuses tartes aux pommes et ses pâtés au poulet.

Elle est sans méchanceté, simplement un peu... désorientée. Ses chats errent régulièrement dans les couloirs de l'immeuble, tandis qu'elle-même se balade à des heures où même moi, je n'oserais pas sortir.

— C'est la première fois que je te vois avec de la peinture sur le visage, ma petite Lory, me lance-t-elle, avec son accent du Costa Rica, le dos courbé et ses cheveux gris rassemblés dans un chignon maladroit.

Je lui offre un sourire en retour.

— Et probablement la dernière fois aussi, madame Mora. Si j'avais pu l'éviter !

Elle me touche doucement la main de ses longs doigts plissés, et je souris en sentant son affection chaleureuse. Elle me tapote la paume avec un petit sourire, puis reprend sa marche vers l'escalier. Je ne l’ai jamais vu prendre l'ascenseur, malgré son âge avancé ! Je la suis. Après trois étages, j'ouvre la porte derrière madame Mora, qui me remercie en me soulignant que ce n'était pas nécessaire. Je ne réagis pas, j'ai l'habitude.

Arrivées devant sa porte, elle me propose de partager un morceau de tarte aux bleuets, comme elle le fait régulièrement. Cependant, je décline poliment son invitation en prétextant qu'il se fait tard, et que je dois aller dormir. La dernière fois que j'ai accepté sa tarte, j'ai eu la désagréable surprise de découvrir au moins trois poils de son chat, Toufu. Depuis, j'ai préféré éviter cette expérience culinaire !

Enfin de retour dans mon appartement, Stella, ma fidèle compagne à quatre pattes, m'accueille avec un miaulement sonore et insistant. Je lui caresse doucement le dessus de la tête, me demandant pourquoi elle n'est pas en train de roupiller dans son sac de voyage habituel. Sa petite tête noire et blanche se frotte contre mes pieds, cherchant visiblement mon attention.

Tandis que je me dirige vers la cuisine, mon ventre se met à gronder bruyamment. Mon dernier repas remonte à il y a sept heures, et je réalise que je suis affamée. En ouvrant le réfrigérateur, mon regard s'arrête sur un reste de pâté à la viande. C'est mieux que rien.

Je m'installe confortablement sur le canapé et allume la télévision. En parcourant la liste de mes enregistrements, mon choix se porte sur un épisode de Gossip Girl. J'ai toujours été curieuse de savoir si B réussira finalement à faire avouer à Chuck qu'il est amoureux d'elle ! Et avouons-le, l'idée de voir la belle binette de Chace Crawford ne me déplaît pas non plus.

La soirée se déroule paisiblement, plongée dans le monde glamour de l'Upper East Side à critiquer les comportements de Serena et Dan, et de baver devant les beaux yeux de Nate. Puis, sans prévenir, mon esprit se met à divaguer en direction d'un Nate très différent...

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