Le Saviez vous : Le voyage retour est toujours plus long que l'aller.

7 minutes de lecture

Maritxu émergea lentement du voile de l'inconscience. Elle se sentit d'abord au sec, au chaud, enveloppée dans des couvertures douces comme des nuages. Elle savait bien que ça ne pouvait être qu’un rêve très bizarre, les monstres n’existaient pas !

À demi-éveillée, elle remarqua ses vêtements soigneusement pliés à côté d'elle. Elle fronça légèrement les sourcils, voilà qui était étonnant, pour quelle obscure raison les aurait-elle laissé là ? Trop épuisée pour s’inquiéter de cette énigme matinale, la jeune femme se retourna pour se blottir contre son oreiller préféré. Ne trouvant que le vide, elle rouvrit les yeux avec un grognement de désappointement. Et ce qu'elle vit alors fit disparaître toute envie de replonger dans les bras de Morphée. Une douzaine de paires d'yeux rouges la fixaient avec une curiosité aussi intense qu'un jury d'un incroyable talent. Elle resta figée un instant, comme si son cerveau refusait de traiter l'information. Puis, la réalité de la situation s'imposa brusquement : elle était face à une araignée gigantesque.

Son réflexe fut immédiat et viscéral. Elle hurla. Un cri si perçant et si fort qu'il aurait pu réveiller un cimetière entier, ou au moins alerter tout être-vivant dans un rayon de plusieurs kilomètres. Sa voix atteignit des octaves dignes d'une soprano en pleine performance.

Le « monstre bleu » et la « fille de Satan », comme les avait baptisés l'esprit paniqué de Maritxu et son sens aigu des priorités, surgirent dans la pièce, alertés par le vacarme. La femme aux yeux rouges se plaça entre Maritxu et l'araignée.

— Zirighriix ! Qu'as-tu fait pour l'effrayer ainsi ? demanda-t-elle, sa voix trahissant une pointe de reproche.

L'araignée, malgré son immense gabarit semblait soudain chercher à se faire toute petite. Ce fut un échec spectaculaire.

— Je n'ai rien fait ! J'étais juste en train de tricoter un pull pour elle, parce que les humains, c'est très fragile ! begaya-t-elle comme une enfant prise en faute.

Elle brandissait un ouvrage étonnant de finesse, qu'elle abaissa en se recroqueillant un peu plus. Maritxu n'aurait jamais cru ça possible, mais... l'araignée avait quelque chose... de touchant. Celle-ci releva timidement le regard .

— Tu m'en veux Ylr'y ?

Puis elle poursuivit ses explications avec un enthousiasme non dissimulé en constatant que personne n’était fâché après elle et qu’elle n’allait pas être grondée.

— Mamie m'a raconté plein d'histoires sur eux. Elle a même eu des humains de compagnie avant qu’ils ne soient considérés comme une espèce protégée !

Maritxu, toujours recroquevillée sous les couvertures – et avec une intention ferme de ne pas les quitter, vu qu'elle était aussi vêtue qu'une statue grecque – écarquilla les yeux, tentant de digérer ce torrent d'informations ahurissantes. Son esprit vacillait entre l'incrédulité et un sentiment sidérant d'absurdité. Que devait-elle trouver le plus perturbant ? L'existence même d'une araignée presque aussi grande que sa voiture ? Que la dite araignée semble terrifiée par la créature la moins horrifiante des trois ? Ou la révélation saugrenue que posséder un humain comme animal de compagnie était autrefois aussi banal que d’avoir un Tamagotchi ?

Le “Monstre bleu” se pencha vers elle avec une expression qui se voulait rassurante, mais qui, avec sa dentition à terroriser un requin et ses yeux jaunes, réussit surtout à propulser l'anxiété de Maritxu dans la stratosphère.

— Pas peur, humaine. Nous amis, aider toi.

Ah, la poésie incarnée. Son langage était aussi raffiné que son apparence. Subtilité quand tu nous tiens.

— Moi Ashaorem, être Troll, ajouta-t-il avec une fierté non dissimulée.

Ben voyons. Maritxu n'avait jamais vraiment réfléchi à quoi pouvait bien ressembler un troll, mais elle était presque certaine que ça ne ressemblait pas à ça. Puis elle se rappela qu’en fait, ils n'étaient même pas censés exister ! Et qu’elle avait d’autres chats à fouetter. Tout ce qu'elle voulait, c'était s’habiller, rentrer chez elle, ou n'importe où ailleurs, pourvu qu'il n'y ait pas d'araignées géantes, de trolls, ou de... dieu-sait-qu’elle-obscure-créature-a-les-yeux-rouges. Oui, un endroit peuplé uniquement d'humains lui paraissait soudain le paradis sur terre.

Pendant ce temps, les deux autres poursuivaient leur débat animé, ignorant complètement la crise existentielle de Maritxu.

— Il faut l'emmener à l'OMSU, suggéra “Fille de Satan”.

— Mais pourquoi ? Elle est si mignonne et perdue, comme un bébé lapin, protesta l’araignée, agitant deux de ses nombreuses pattes de manière presque théâtrale. On pourrait la garder, lui apprendre à vivre ici. Ma mamie disait toujours que les humains étaient super intéressants !

Maritxu, encore sous le choc, tenta de rationaliser.

— Ça doit être l'hypothermie, murmura-t-elle, se raccrochant à la logique. Je suis certainement en haut de la montagne, en train d'halluciner à cause du froid. C'est juste le délire le plus bizarre que j'ai jamais eu.

Elle se pinça discrètement, espérant se réveiller de ce rêve étrange. Mais la douleur qu'elle ressentit était bien réelle, et les créatures devant elle ne disparurent pas en un nuage de fumée. Elles étaient toujours là, bien vivantes et discutant de son sort avec un sérieux déconcertant.

Ashaorem, avec une gravité qui contrastait étrangement avec son apparence, se lança dans ce qui semblait être les présentations officielles.

— Ici Ylr'anore, elle Angiris, dit-il en désignant la femme aux cornes. Et elle Zirighriix, être Zihadyana.

Si Maritxu se référait à la façon dont-il s'était présenté lui-même, en premier venait le nom, puis ensuite, l'espèce. Enfin, normalement. Comme elle essayait encore de s'accrocher à un semblant de normalité, elle ne put s'empêcher de penser que “Angiris” ne semblait pas du tout le mot adéquat pour désigner Ylr'anore. Dans son monde, les cornes et les yeux rouges n’étaient pas associés à des anges, elles évoquaient plutôt les démons. Les méchants, quoi, ceux qui faisaient bouillir des enfants pour leur petit-déjeuner.

Quant à Zirighriix, elle avait cru jusqu'à maintenant que son nom était une sorte d'exclamation surprise ou, peut-être, un juron exotique.

Soudain, elle prit conscience de l'absurdité de ses pensées. Elle était là, dans un monde aussi étrange qu'une hallucination sous LSD, et elle se préoccupait de la sémantique des noms et des espèces. Cette réalisation déclencha en elle un rire nerveux, presque hystérique.

Les trois créatures la fixèrent, visiblement perplexes face à cette explosion d'hilarité. Entre deux hoquets, Maritxu prit une grande inspiration, tentant de reprendre son souffle. Vainement, car à chaque fois qu'elle croisait le regard ahuri de l'une des créatures, elle repartait dans un fou rire.

Il lui fallut bien quelques minutes pour enfin se calmer, et elle évita soigneusement de relever les yeux.

— Bon, puisque je suis là, dit-elle enfin, essuyant ses larmes. Autant essayer de comprendre ce qui se passe. Vous pouvez commencer par m'expliquer ce que c'est, l'OMSU ?

Ylr'anore et Zirighriix échangèrent un regard qui trahissait une pensée commune : « les humains sont vraiment des créatures étranges. »

Ashaorem se redressa, prenant une grande inspiration, comme s'il s'apprêtait à livrer le discours de sa vie. Ses yeux jaunes sérieux, et malgré un vocabulaire qui aurait pu tenir sur un post-it, il semblait visiblement résolu à éclairer Maritxu. Celle-ci lança un regard implorant vers Ylr'anore et Zirighriix, espérant que l'une d'entre elles prenne le relais, mais elles ne bronchèrent pas, laissant le troll se lancer dans son explication.

— OMSU... Organisation Mondiale Surnaturel Unifié, commença-t-il, articulant chaque mot avec soin, comme s'il récitait une leçon apprise par cœur. OMSU garder paix. Toutes espèces, pays, factions d'Arcana.

Il fit une pause, cherchant ses mots.

— Aussi, OMSU garder séparé. Monde humains, monde Arcanien. Pas mélanger. Important.

Maritxu l'écoutait attentivement, essayant de saisir le sens complet de ses explications tout en ayant l’impression de devoir traduire un texte à trou dans une langue étrangère.

— Donc, si je comprends bien, l'OMSU est une sorte de... Nations-Unies Surnaturelles et interdimensionnelle ? Ils veillent à ce que votre monde et le mien ne se mélangent pas ? Et je suppose qu’Arcana est le nom de votre monde ?

Ashaorem hocha la tête.

— Oui, OMSU fort. Eux savoir comment ramener humaine dans monde humain.

Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres de Maritxu. Enfin, une bonne nouvelle ! Mais son soulagement disparut aussi vite qu'un bonbon dans une salle d'attente quand Ylr'anore s'approcha, avec l'air sérieux d’un banquier sur le point de refuser un prêt.

— Le problème, c'est qu'il faut se rendre à un de leurs sièges. Le plus proche est à environ quatre cent kilomètres d'ici, de l'autre côté de la chaîne de montagnes.

— Et laissez-moi deviner, on n'y va pas en Uber, hein ? intervint Maritxu avec un sourire jaune. Vous n'avez pas de voiture, pas vrai ? Ni de train, ni de... téléporteur magique ou quelque chose du genre ?

Ylr'anore secoua la tête.

— Nous voyageons principalement à pied. Ou, dans le cas de Zirighriix, à pattes.

— Génial, soupira Maritxu. Dire qu’il y a quelques heures, mon plus gros problème était de savoir si je prenais un boulot dans un restaurant ou dans une station de ski pour la saison hivernale…

Zirighriix, qui avait suivi la conversation, tenta de la rassurer avec sa voix douce.

— T'inquiètes pas, humaine. On va te protéger, en plus, les voyages à Arcana peuvent être... enrichissants.

Maritxu esquissa un sourire incertain.

— Enrichissants, hein ? J’ai la vague impression que c’est la façon politiquement correcte de dire « dangereusement mortels » par ici.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Lucie Fer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0