La Neige, la source chaude et les monstres. Comme quoi, Narnia, c'est pas vraiment tiré par les cheveux

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Dans le cocon de son appartement, lové au cœur d'un village décoré avec l'enthousiasme d'un elfe de Noël sous l'effet d'un triple expresso, Maritxu contemplait sa vie avec un mélange d'ironie et de désespoir. Vautrée dans un pyjama pilou-pilou d'un rose criard, constellé de licornes – fruit d'une frénésie nocturne d'achats en ligne – elle scrutait une tache de chocolat chaud malencontreusement échouée sur la licorne aux lunettes de soleil.

— Parfait, grogna-t-elle en laissant son regard vagabonder par la fenêtre.

Dehors, une valse de flocons blancs entamait son ballet hivernal, dessinant des arabesques dans le ciel gris. Ces danses givrées ne faisaient que rappeler à Maritxu l'arrivée de cette période, qui loin de lui évoquer magie et festivités, invoquait une inévitable confrontation avec la réussite écrasante de sa famille.

Elle reposa sa tasse avec résignation et se leva, balayant du regard son atelier improvisé dans le salon. Des toiles en attente d'inspiration, pinceaux en désordre, tubes de peinture éparpillés... un chaos créatif régnait en maître.

Artiste dans l'âme, rêveuse invétérée, elle avait toujours suivi un chemin parsemé de couleurs vives et de décisions impulsives, à des années-lumière des carrières linéaires de ses frères et sœurs. Si ceux-ci collectionnaient les diplômes et les succès comme d'autres les timbre, Maritxu, elle, collectionnait les "et si..." et les "peut-être qu'un jour". Pour elle, la plus grande réalisation de l'année avait été de réussir une tarte aux pommes sans incendier sa cuisine.

Ses pensées dérivèrent vers les repas de famille où elle devenait invariablement la cible privilégiée de questions sur sa carrière, son avenir, et – horreur ultime – son statut amoureux. « Alors, toujours pas de petit-ami ? » était le refrain favori de sa tante Josiane, qui semblait croire que le bonheur se mesurait en carats et années de Mariage. Et oui, on entendait la majuscule dans sa voix nasillarde à chaque fois qu'elle prononçait le mot sacré.

Poussée par un élan de détermination, Maritxu se dirigea vers sa chambre pour s'habiller. Elle enfila des vêtements chauds, adéquats pour une randonnée en montagne : un pull en laine épais, un pantalon de ski qui avait connu de meilleurs jours, et des chaussures de marche robustes. Elle attacha ses cheveux en une simple queue de cheval, attrapa son sac à dos et se prépara un casse-croûte sommaire avec tout ce qui trainait dans ses placards. Elle était prête à affronter le monde, ou du moins, les sommets enneigés.

Avant de sortir, elle se planta devant le miroir de l'entrée, ajusta son bonnet et se donna un sourire d'encouragement. Une journée sans peinture, sans réseaux sociaux, juste la montagne et la nature, se promit-elle en fermant la porte de son appartement.

Elle rejoignit sa voiture, une relique qui semblait avoir traversé plus d'époques qu'un fossile, dont elle caressa le capot avec une affection digne d'une vieille amie.

— Allez, Titine, on part à la montagne aujourd'hui, murmura-t-elle en tournant la clé.

Le véhicule répliqua avec une série de toussotements protestataires et un nuage de fumée qui aurait fait pâlir un mécanicien. Mais, fidèle malgré son grand âge, Titine consentit à démarrer.

Le trajet vers les montagnes était un savant mélange de routes sinueuses et de panoramas à couper le souffle – littéralement, compte tenu de la performance de Titine. La vieille voiture grimpait avec l'élégance d'un escargot souffrant d'asthme sévère. Maritxu, pied au plancher, ignorant sciemment la création de la cheville automobile qu'elle dirigeait, chantonnait au rythme de la radio, qui alternait entre grésillements et éclats de musique.

Ce fut un périple capable de rivaliser avec une odyssée – ou du moins le temps pour Titine de jouer sa propre tragédie grecque. Maritxu atteignit enfin son point de départ pour la randonnée et le moteur rendit un soupir de soulagement.

— Bon travail, Titine. Repose-toi maintenant, tu l'as bien mérité, je reviens dans l'après-midi.

Maritxu, sac à dos bien arrimé et regard déterminé, s'engagea sur le sentier. Le début de la randonnée se présentait comme un charmant chemin bucolique. Cependant, elle ne tarda pas à découvrir qu'il avait été conçu par quelqu'un qui confondait « randonnée pédestre » et « escalade extrême ». La pente était si raide qu'elle se demanda à mi-chemin si elle n'était pas en train de gravir un mur.

— Je parie que même les brebis prennent un téléphérique pour éviter de passer par là, souffla-t-elle, essuyant une goutte de sueur en train de faire une audacieuse descente en rappel sur son front.

À mesure qu'elle avançait, la neige se faisait plus présente, transformant le sentier en un piège d'un blanc trompeur. Chaque pas était un calvaire, la jeune femme s'enfonçant jusqu'aux chevilles, parfois jusqu'aux genoux, dans la maudite neige.

— Génial, c'est comme faire de la randonnée avec des poids aux pieds. Du sport extrême version Antartique, grommela-t-elle en essayant de secouer la neige qui s'accumulait sur ses chaussures.

Elle avançait péniblement, la neige crissant sous ses pas, les joues rougies par l'effort et le froid. À chaque pas, elle sentait ses muscles protester, lui rappelant qu'elle était plus en condition pour un marathon Netflix que pour une expédition polaire.

Finalement, après une ascension qui aurait certainement mis à l'épreuve l'endurance d'un alpiniste chevronné, Maritxu atteignit enfin le point de vue tant convoité. Elle fut accueillie par un véritable chef-d'œuvre de la nature aux montagnes enneigées et aux vallées s'étirant jusqu'à l'horizon. Le ciel commençait à se charger de lourds nuages gris, mais le soleil transformait encore la neige en un océan scintillant de diamants.

— Ça valait chaque goutte de sueur, admit-elle, un sourire épuisé, mais satisfait aux lèvres.

Perchée sur le sommet de la montagne, Maritxu profitait d'une brise fraîche dont la caresse était comme une douce récompense après sa randonnée de la mort. Elle ferma les yeux, s'abandonnant un instant à la sérénité des hauteurs.

Se remémorant l'époque où la randonnée était son évasion préférée, avant que la monotonie du quotidien et le découragement ne la submergent, Maritxu inspira profondément. Un sentiment de paix l'envahit, chassant momentanément les nuages de doutes et de frustrations qui obscurcissaient habituellement son esprit.

Elle se laissa aller à quelques pas distraits dans la neige, ses pieds traçant des motifs éphémères. Chaque flocon semblait danser autour d'elle, comme pour célébrer sa conquête de la montagne. Un sentiment de liberté l'envahit, accompagné d'un désir vague mais puissant de changement.

— J'avais oublié à quel point c'était magnifique, souffla-t-elle, un sourire naissant sur ses lèvres gercées par le froid. Je ne veux pas rentrer à la maison...

Perdue dans ses pensées et incapable de préciser ce qu'elle désirait vraiment, elle ne remarqua pas le changement subtil dans l'air, ni la façon dont les ombres s'allongeaient autour d'elle. À peine avait-elle exprimé son désir de nouveauté que l'univers, apparemment très à l'écoute, prit sa demande avec énormément de zèle. Le sol sous ses pieds s'ouvrit, la précipitant dans un abîme sans fond. Avant qu'elle ait le temps de crier ou même de réfléchir, son monde fut bouleversé. Une sensation de vertige la saisit et...

Plouf ! Elle atterrit dans un petit bassin d'eau chaude. « Une source thermale ici ? dans la montagne ? » pensa-t-elle, soulagée de ne pas être réduite en bouillie au fond d'une crevasse et perplexe face à cette situation absurde. Ses interrogations furent rapidement balayées par une révélation bien plus surprenante. Devant elle se tenait une femme... ou du moins, une créature qui aurait pu être une femme si on omettait les yeux rouge sang, les cornes et, bien sûr, l'araignée gigantesque qui fredonnait en lui frottant le dos.

Maritxu, les yeux écarquillés de terreur, fit un bond en arrière. Son demi-tour la plaça face à face – enfin, très exactement nez à nombril – avec une créature qui semblait être la version horrifique d'un des personnages de Monstres et Cie : Immense, couvert d'une fourrure verte et des crocs à faire pâlir d'envie un tigre a dents de sabre.

— OK, c'est un cauchemar. Je vais me réveiller, et tout ira bien, gémit-elle.

La randonneuse du dimanche ferma les yeux et secoua la tête, dans l'espoir de dissiper ces visions délirantes.

Mais lorsqu'elle rouvrit les yeux, les créatures étaient toujours là, la regardant avec une curiosité qui frôlait l'impolitesse. Son cerveau, dépassé par les évènements, opta pour une stratégie de survie discutable : il prit une pause. Elle s'évanouit.

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