L'ultime coffre

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Le vent en leur faveur, l'étonnant équipage du Krak'N Volant arriva rapidement à destination. L'Île Rouge s'apparentait en un vertigineux caillou particulièrement instable, puisqu'il s'agissait en réalité d'un volcan qui entrait régulièrement en éruption. Il valait mieux faire au plus vite !

Quand Berboz mit les pieds sur terre, il n'en crut pas ses yeux : une immense baleine trônait sur les hauteurs de l'île.

« Nom d'un tonneau ! Comment elle est arrivée là, c'te sale bête ?!
— OUAH trop géniale la baleine !
Sébastien tremblait d'excitation. Sa mère n'en croyait pas ses yeux.
— Quelle mise en scène monsieur, bravo ! »

Tandis que le Second gardait le bateau (et se préparait à un éventuel départ en catastrophe), le groupe escaladait les niveaux de lave refroidie pour se rapprocher de l'impassible animal. Sculptée d'un seul bloc de pierre, la tête de l'immense baleine rapetissait progressivement et terminait en une large nageoire caudale. Les courbes de son corps lui donnaient une forme élégante de croissant de lune. On se sentait tout petit à côté d'elle. Impressionné, Berboz passa sa main sur la pierre lisse dont il ne reconnut pas précisément l'origine. Ses doigts touchèrent des lettres creusées en relief. Le pirate décrypta un message : « Voyageurs, la baleine regarde le Nord, prenez la route vers le... » Nord ! Trop facile. Il se moqua de la simplicité de la devinette. C'était l'occasion rêvée de filer en douce et d'abandonner ses encombrants invités ici avant la prochaine éruption. Il tenta de s'éclipser sans se faire remarquer.

« Maman ! Regarde !
Berboz se raidit.
— La queue de la baleine, elle montre ce côté ! Et il pointa la direction du soleil. Sa mère acquiesça.
— Tu as raison mon oiseau, sa nageoire est tournée vers l'Est.
— J'suis sûr que c'est par là ! Allez, maman, viens vite ! M'sieur le pirate, revenez, c'est par là, l'Est ! »

Repéré, Berboz n'avait d'autre choix que de suivre ses compagnons du jour. Quelle barbe ! Il racontait n'importe quoi ce môme ! Le pirate se ravisa bien vite : il avait suffi de quelques minutes de marche pour que le trio tombe sur une sorte de niche en lave séchée. À l'intérieur, un coffre attendait patiemment son heure. Ce mécanisme, identique au premier, fut déjoué par Sébastien en un rien de temps. Et voilà, les novices venaient de réussir une deuxième épreuve ! Le garçon sautillait de joie ; Berboz boudait dans son coin.

Il en fut ainsi durant tout l'après-midi : étape après étape, le garçon parvint à déjouer tous les pièges, à surmonter toutes les épreuves, et à résoudre toutes les énigmes. Berboz, lui, enchaînait lamentablement les échecs : un labyrinthe à franchir, il tournait en rond à l'infini pendant que Sébastien et sa mère s'extasiaient devant le coffre fraîchement découvert ; une jarre à fouiller à l'aveugle, c'était lui qui recevait des piqûres de scorpion venimeux ; un crâne à remplacer, des pierres à empiler, des flèches à éviter, il finissait brûlé, noyé, molesté, et toujours le dernier ! Ses oreilles de pirate aguerri ne parvinrent même pas à le guider vers le « clic » du seul vrai coffre caché parmi une salle remplie de faux. Rude déchéance. Tandis qu'il tentait de sortir désespérément d'un énième champ de toiles d'araignée, Berboz fulmina de colère :

« Sacré nom d'une pipe de tonnerre de tonnerre ! Je vais trouver le sombre imbécile derrière tout ça et l'étriper de mes mains, moi, le fier et impitoyable Capitaine Berboz ! Je le ferai bouillir dans une marmite remplie de crabes, de piranhas et de requins, et après, je le ferai griller au-dessus d'un feu de camp, et après, je jetterai tous ses os dans le désert, ils ne méritent même pas d'être jetés à la mer ! Raaaah ! »

Un long silence suivit son déchaînement de rage. Aucun public n'avait écouté ses lamentations. Une fois de plus, Hélène et Sébastien avaient pris de l'avance sur lui et tentaient d'ouvrir un nouveau coffre :

« Mais non maman ! Ça marche pas non plus ! Ça s'ouvre pas !
— Attends, laisse-moi essayer, on va bien finir par y arriver. »

Le pirate se débarrassait encore de quelques fils de soie en rejoignant ses acolytes. Ils semblaient bloqués face à ce coffre, qui, chose étonnante dans cette chasse au trésor, avait un cadenas. Seulement la serrure était vraiment minuscule ; plus petite qu'un doigt, même pour Sébastien. Aucun objet de leur poche n'était adapté à une cavité si petite.

« Il va commencer à faire nuit mon oiseau, nous allons devoir rentrer.
— Non ! Attends maman, on y est presque ! »

La situation était d'autant plus frustrante pour le garçon qu'ils se trouvaient sur la légendaire Dernière Île, une île remplie de mystères qui abritait le fabuleux trésor d'un ancien pirate mort depuis des siècles. Malgré les milliers de fouilles opérées à travers les époques, rien n'avait jamais été trouvé. Berboz avait lui aussi tenté sa chance par le passé, mais il ne se souvenait pas que la traversée de la grotte avait été si... ardue. Elle était même plutôt tranquille d'habitude. La présence de ce coffre ici ne signifiait qu'une seule chose : c'était lui, l'ultime coffre.

Sans grande conviction, le capitaine s'approcha. Il avait à peine pu apercevoir un coffre de la journée, alors en ouvrir... Il s'assit le temps d'un long soupir. Personne ne faisait attention à lui. Il n'avait même plus la force de s'énerver, d'agiter sa fierté bafouée aux yeux de tous pour leur rappeler qui était le pirate le plus sanguinaire de toutes les régions du monde, bla, bla, bla... Il fixait le cadenas fièrement fermé, l'esprit volage.

« Sébastien, écoute-moi, il n'y a rien à faire, cette serrure est inaccessible ! Rentrons chercher un outil ce soir, nous reviendrons demain.
— Non ! C'est de la triche !
— Demandons de l'aide au monsieur alors ! Regarde, il est revenu de sa balade.
— Non, non et non ! C'est trop de la triche, et moi j'suis pas un tricheur ! J'suis un pirate, même si j'ai pas de chapeau, ni de cache-œil, ni de perroquet, ni de navire, ni de... »

Tandis que Sébastien listait le kit complet du parfait pirate, le capitaine saisit son chapeau. Son chapeau. Son fier chapeau de fier pirate, avec sa belle plume qui avait bien pris de l'âge, depuis le temps.

« Ma plume ! »

Berboz bondit, attrapa l'accessoire, l'inséra dans la serrure et tourna d'un coup sec... « clic ». « Clic » ? Le vrai « clic », doux son mélodieux, sec mais accueillant, dur mais délicat, d'un coffre qui s'ouvre ? Nom d'un tonneau, il s'était ouvert ! Berboz s'en empara, et en un instant, un lourd tremblement de terre annonça un phénomène extraordinaire : un rectangle de pierre, découpé dans la paroi de la grotte, plongea dans le sol. Les nuances rouges et violettes du début de soirée illuminèrent les lieux. Berboz avait ouvert le coffre et trouvé la sortie, mais quel génie il était ! Le pirate s'enflamma d'orgueil :

« Bande de vieilles biques inutiles ! C'est moi qui récupère le trésor ! Oui, moi, le Capitaine Berboz, le cruel roi des mers, le pirate sanguinaire et sans pitié qui s'en va, sous vos yeux, avec son butin faire un pied de nez à cette sournoise de Margret Rikka ! Tandis que vous, vous êtes les bleus les plus nuls que j'ai jamais rencontrés : doublés en un rien de temps ! Hahaha ! »

Perdu, Sébastien s'avança, les yeux mouillés.

« Mais m'sieur, pourquoi vous avez ouvert le coffre ? Il est à nous, c'est pas juste !
Hélène toussota de gêne.
— Monsieur, vous allez un peu trop loin dans la mise en scène. Sébastien n'est qu'un enfant, vous allez le traumatiser !
— Qu'est-ce que ça peut bien m'faire, hein ? J'suis un pirate, moi, pas un clown ! Je pille, je mens, je vous parle avec de beaux yeux charmeurs pendant que je vous enlève votre collier de perles. Ah ça, on peut dire que j'vous ai bien eus ! Vous avez fait tout le travail à ma place, et c'est quand même moi qui récupère le magot ! J'suis pas le plus grand corsaire de tous les temps pour rien ! Hahaha ! »

Là-dessus, il se tourna vers Sébastien, lui montra le coffre et lui tira la langue. Le garçon fondit en larmes. Sa mère le prit dans ses bras. Elle était hors d'elle. Comment pouvait-on faire ça à un enfant ?! Ignorant les rires goguenards du pirate, elle s'en alla sans demander son reste, sortant par l'ouverture du mur fraîchement apparue.

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